Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Mino da FIESOLE

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 425-428).
MINO da FIESOLE
Né en 1431, mort en 1484


Mino[1], sculpteur de Fiesole, avait l’esprit apte à faire tout ce qu’il voulait ; mais amoureux de la manière de Desiderio da Settignano, son maître, à cause de la grâce que celui-ci donnait à ses figures de femmes et d’enfants et qui lui sembla supérieure à la nature, il resta toujours en arrière de celle-ci, ne cherchant pas et considérant comme superflu de se rapprocher des choses naturelles qu’il jugeait inutiles. Aussi, fut-il plus gracieux que profond dans son art.

Sur la montagne donc de Fiesole, cité très ancienne, voisine de Florence, naquit Mino di Giovanni, sculpteur. Placé auprès de Desiderio da Settignano, jeune homme excellent dans la sculpture, pour y apprendre l’art de tailler les pierres, comme y ayant de l’inclination, tout en se livrant à ce métier, il s’exerçait à modeler, en terre, les objets que Desiderio avait sculptés en marbre et il les faisait si semblables que son maître, le jugeant apte à faire des progrès, s’occupa particulièrement de lui et le mit à travailler, en marbre, sur ses propres œuvres. Dans ce travail. Mino faisait toujours extrêmement attention à conserver la ressemblance. Ses progrès furent très rapides et, comme il était en train de devenir tout à fait habile, son malheur voulut que Desiderio passât à une meilleure vie. Cette perte fut d’un grand dommage pour Mino qui, comme désespéré, quitta Florence et s’en alla à Rome, où il aida des maîtres à sculpter, en marbre, des tombeaux de cardinaux qui, après avoir été longtemps dans l’église de Saint-Pierre, ont été jetés à terre, pour la nouvelle construction. Il fut alors reconnu pour un maître très habile ; le cardinal Jérôme d’Estouteville, auquel sa manière plaisait, le chargea d’élever, à Sainte-Marie-Majeure, l’autel en marbre où se trouve le corps de saint Jérôme et de l’orner de basreliefs, représentant divers traits de la vie de ce saint[2], travail qu’il exécuta à la perfection et dans lequel il introduisit le portrait du cardinal.

À cette époque, le pape Paul II, Vénitien, faisant construire son palais de San Marco, employa Mino à sculpter quelques armoiries. Après la mort du pape[3], il dut faire son tombeau qu’il termina après deux années de travail et qui fut placé à Saint-Pierre : on le regarda alors comme la sépulture la plus riche en ornements et en figures qui ait été élevée à un pape. Elle fut jetée à terre par Bramante, lors de la destruction du vieux Saint-Pierre et elle resta ensevelie dans les gravats pendant plusieurs années. En 1547, elle fut rétablie par quelques Vénitiens, à Saint-Pierre, sur une paroi voisine de la chapelle du pape Innocent[4].

Mino, ayant acquis, à Rome, un grand renom, à cause de ce monument et pour le tombeau[5] qu’il fit à la Minerva et qui est surmonté de la statue en marbre de Francesco Tornabuoni, retourna à Fiesole, avec une grosse somme d’argent et s’y maria. Il ne se passa pas beaucoup de temps qu’il fit, pour les religieuses delle Murate, avec tout le soin dont il était capable, un tabernacle de marbre en demi-relief, destiné à renfermer le Saint-Sacrement[6]. Il ne l’avait pas encore fixé au mur, quand les religieuses de Sant’ Ambruogio, qui étaient désireuses de faire exécuter une œuvre semblable de composition, mais plus riche d’ornement, pour y tenir enfermée la relique du miracle du Saint-Sacrement[7], et qui avaient appris l’habileté de Mino, lui confièrent ce travail[8]. Il les satisfit si bien qu’elles lui donnèrent tout ce qu’il demanda pour le prix de cet ouvrage.

Peu après, à la demande de Messer Diotisalvi Neroni, il entreprit un petit bas-relief, représentant la Vierge tenant son Fils, entre saint Laurent et saint Léonard[9] ; cette œuvre était destinée aux prêtres ou au chapitre de San Lorenzo, mais elle est restée dans la sacristie de la Badia. Pour ces moines, il sculpta en relief une Madone et l’Enfant Jésus[10] dans un cadre circulaire, en marbre, qu’ils placèrent ju-dessus de la porte principale de leur église. Il plut généralement, et attira à Mino la commande d’un tombeau pour le magnifique Messer Bernardo, chevalier des Giugni[11], qui, pour avoir été une personne honorable et très estimée, obtint cet hommage de la part de ses frères. Outre le sarcophage et la statue du mort représenté au naturel, Mino exécuta une figure de la Justice, qui rappellerait complétement la manière de Desiderio, si ses draperies n’était pas mesquinement attaquées au ciseau.

Cette œuvre fut cause que l’abbé et les moines de la Badia, où fut placé ce tombeau, lui donnèrent à faire le monument[12] du comte Ugo, fils du marquis Hubert de Brandebourg, qui laissa à la Badia quantité de biens et de privilèges. Désireux donc de l’honorer le mieux qu’ils pourraient, ils firent faire à Mino, en marbre de Carrare, un mausolée qui est la plus belle œuvre sortie de ses mains. On y voit quelques enfants soutenant les armes du comte, qui sont campés fièrement et avec une grâce toute enfantine ; outre la statue du comte, couchée sur la bière, il y a au-dessus la figure de la Charité, environnée d’enfants, qui est d’un travail très soigné et s’accorde parfaitement avec le reste. On peut en dire autant d’une Madone tenant l’Enfant Jésus et contenue dans un demi-cintre, que Mino s’efforça de faire la plus semblable qu’il put à la manière de Desiderio. Certes, s’il s’était plus aidé de la nature et s’il avait plus étudié, il est hors de doute qu’il aurait fait de grands profits dans l’art. Ce mausolée coûta 1.600 livres et fut achevé en 1481[13], pour la plus grande renommée de l’auteur.

On lui commanda peu après, dans une chapelle de l’évêché de Fiesole, près du chœur, à main droite en montant les degrés, un autre tombeau, pour Leonardo Salutati, évêque de cette ville[14]. Il le représenta, en habits sacerdotaux, semblable au vif autant qu’il est possible. Il sculpta, en marbre, pour le même évêque, une tête de Christ, de grandeur naturelle, très bien travaillée, qui resta à l’hôpital degli Innocenti[15], entre les autres choses de son héritage.

Dans l’église paroissiale de Prato, Mino fit une chaire[16] entièrement en marbre, sur laquelle sont représentés des sujets tirés de la vie de la Vierge, exécutés avec grand soin et si bien assemblés, que toute l’œuvre paraît d’un seul bloc. Cette chaire est placée dans un coin du chœur, presque au milieu de l’église et repose sur certains ornements dont la composition est due au même Mino.

Il fit le buste de Piero di Lorenzo de’ Médici et celui de sa femme, au naturel et très ressemblants[17]. On lui doit encore une Vierge en marbre[18] qui est actuellement dans la salle d’audience de l’Art des Fabricants. Il envoya à Pérouse, à Messer Baglione Ribi, un tabernacle en marbre[19], entre un saint Jean et un saint Jérôme, en demi-relief, qui fut placé à San Piero, dans une chapelle du Saint-Sacrement ; ce sont deux bonnes figures de demi-relief. Semblablement, dans le Dôme de Volterra, il y a de lui un tabernacle du Saint-Sacrement entre deux anges[20], cette œuvre est exécutée avec tant de soin qu’à juste titre elle est louée par tous les artistes.

Finalement, Mino voulant, un jour, remuer certaines pierres sans recourir aux aides dont il avait besoin, se fatigua de telle sorte qu’il y gagna une pleurésie dont il mourut[21]. Il fut honorablement enseveli, l’an 1486, par ses amis et ses parents, dans le cloître de Fiesole[22].


  1. Di Giovanni di Mino, né à Poppi en 1481 [déclaration au Castato de 1470] ; inscrit à la matricule des maîtres en pierre et en bois, le 15 juillet 1464 : Minus Johannis Mini de Pupio, habitator in populo Sancte Marie in campo intagliator.
  2. Ces bas-reliefs n’existent plus.
  3. En 1471.
  4. Actuellement dans la Grotte Vaticane ; tombeau commandé par Marco Barbo, cardinal de San Marco et neveu de Paul II.
  5. Existe encore ; attribution douteuse, Francesco Tornabuoni étant mort après 1513.
  6. Actuellement dans le noviciat de Santa Croce, signé OPVS MINI.
  7. Voir pour ce miracle, survenu en 1230, Giovanni Villani, livre VI, chap. VIII.
  8. En place, signé opvs mini : commandé, le 22 août 1481, par Madonna Maria Barbadori, abbesse de Sant’Ambruogio, pour 160 florins di suggello.
  9. Existe encore à la Badia Fiesolana, dans une petite chapelle du premier étage.
  10. Au Musée National.
  11. Mort en 1466 ; ce tombeau existe encore.
  12. Tombeau commandé en 1469 pour 1.600 livres ; existe encore.
  13. Date portée sur l’épitaphe.
  14. Mort en 1466 ; ce tombeau, qui existe encore, fut commandé par l’évêque de son vivant. Signé OPVS MINI. Il y a, en face du tombeau, un grand autel, en marbre, également de Mino.
  15. Y est encore, dans le bureau de la garde-robe.
  16. Elle lui fut commandée conjointement avec Antonio Rossellino ; terminée en 1473. En place.
  17. Tous deux au Musée National.
  18. Sculpture perdue.
  19. Existe encore, 1473.
  20. Actuellement dans le Baptistère. Signé M.CCCCLXXI OPVS MINI DE FLORENTIA. Les anges sont dans le Dôme, de chaque côté du grand autel.
  21. Le 11 juillet 1484 (Livre des Morts de Florence et Nécrologe de Sant Ambrogio). Il avait fait son testament la veille.
  22. Erreur, à Sant’Ambrogio, son nom est porté sur une dalle du sol, dans l’église, avec la date 12 juillet 1484.