Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Pietro CAVALLINI

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 194-196).


Pietro CAVALLINI
Peintre romain, né en…, mort en 1364 ( ?)

Depuis des siècles, Rome était privée de la gloire que donnent les lettres, les armes, les sciences et les beaux-arts, lorsque, par la volonté de Dieu, naquit dans ses murs Pietro Cavallini [1], à la même époque où Giotto, après avoir rénové la peinture, tenait le premier rang entre les peintres d’Italie. Élève de Giotto, avec lequel il travailla à la Navicella de Saint-Pierre, il fut le premier, après lui, à faire briller la mosaïque et il se montra digne d’un tel maître, en peignant dans l’église d’Ara-Coeli [2], au-dessus de la porte de la sacristie, quelques fresques aujourd’hui détruites par le temps, et d’autres qui ne leur sont pas inférieures, à Santa Maria di Transtevere. Dans sa décoration en mosaïque de la grande chapelle et de la façade principale de cette même église [3], travail qu’il entreprit sans l’aide de Giotto, il montra qu’il savait mener à aussi bonne fin la mosaïque que la peinture ; on lui doit aussi les fresques de San Crisogono, de Santa Cecilia, qu’il peignit presque entièrement, et de San Francesco a Ripa. À Saint-Paul hors les murs, il orna la façade de mosaïques [4] et la grande nef d’une foule de sujets tirés de l’Ancien Testament. Dans la salle du chapitre du premier cloître, il exécuta des fresques qui lui acquirent un tel crédit que les prélats lui confièrent le soin de peindre l’intérieur de Saint-Pierre, entre les fenêtres de la façade. Il y représenta à fresque, et d’une grandeur extraordinaire pour l’époque, les quatre évangélistes, saint Pierre et saint Paul, et, dans une nacelle, nombre de figures où l’on trouve, mêlée au bon style de Giotto, l’ancienne manière grecque qu’il affectionnait beaucoup. Et, pour donner à ses figures le plus de relief possible, il n’épargna aucun effort. Ses meilleures œuvres, à Rome, sont les fresques d’Ara-Coeli, où il peignit sur la voûte de la grande tribune la Vierge tenant son fils et entourée de rayons de soleil ; au-dessous, l’on voit l’empereur Auguste auquel la sibylle de Tibur montre l’Enfant Jésus. Il se rendit ensuite en Toscane, pour voir les œuvres de Giotto et de ses autres élèves et, à cette occasion, peignit dans l’église de San Marco, à Florence, plusieurs figures que plus tard on passa au plâtre, à l’exception d’une Annonciation[5], près de la porte principale, qui est couverte par un tableau. À San Basilio encore[6], au canto alle Macine, il fit sur un mur une autre Annonciation à fresque, absolument semblable à celle qu’il avait faite auparavant à San Marco et à une autre qui est à Florence, et que certains croient, non sans quelque vraisemblance, être entièrement de la main de Piero. En vérité, la ressemblance ne saurait être plus parfaite. Parmi les figures qu’il fit à San Marco de Florence, il y a le portrait du pape Urbain V, avec les têtes de saint Pierre et de saint Paul, au naturel. Ce portrait fut reproduit par Fra Giovanni da Fiesole, dans son tableau sur bois, qui est à San Domenico de Fiesole. C’est une aventure heureuse, parce que le portrait qui est à San Marco, ainsi que beaucoup d’autres figures peintes à fresque, qui étaient par l’église, furent passées au plâtre, quand ce couvent fut enlevé aux moines Silvestrini, qui y étaient auparavant et donné aux Frères Prêcheurs ; à ce moment on passa tout au plâtre, avec peu de jugement et de prévision.

En retournant à Rome, il s’arrêta quelque temps à Assise, non seulement pour voir l’édifice et les œuvres notables qui y avaient été faites par son maître et ses condisciples, mais aussi pour y laisser une œuvre de sa main. Dans l’église inférieure, et dans le bras du transept qui est voisin de la sacristie, il peignit à fresque un crucifiement de Jésus-Christ[7], où l’on voit des cavaliers dont les costumes et les armes sont d’une grande variété, et qui appartiennent à diverses nations. Au sommet sont les anges planant sur leurs ailes, dans diverses attitudes, dont les uns se frappent la poitrine, d’autres se tordent les mains, en pleurant amèrement la mort du fils de Dieu. On dirait que cette fresque a été exécutée en un jour, tant le coloris en est frais et vivace, et tant les joints de l’enduit sont habilement dissimulés. J’y ai trouvé les armes de Gauthier, duc d’Athènes. Mais, comme il n’y a ni millésime, ni aucune inscription, je ne peux pas affirmer que cette peinture ait été faite pour lui.

Il peignit ensuite à fresque dans l’église Santa Maria d’Orvieto, qui conserve la sainte relique du Corporal, quelques épisodes de la vie de Jésus-Christ[8]. Ce travail fut fait, à ce qu’on dit, pour Messer Bene Benedetto, fils de Messer Buonconte Monadelschi, tyran d’Orvieto. On affirme également qu’il fit quelques œuvres de sculpture et avec succès, ce qui n’est pas étonnant, parce qu’il réussissait tout ce qu’il entreprenait, et on lui attribue ainsi le crucifix [9] qui est à Saint-Paul hors les murs, celui qui parla à sainte Brigitte, l’an 1370, comme il faut le croire.

Pietro était grand travailleur et n’épargna aucune fatigue pour rendre son nom glorieux dans les arts. Bon chrétien, ami des pauvres, il fut vénéré, non seulement par ses compatriotes, mais encore par tous ceux qui le connurent. Dans sa vieillesse, il se distingua par une si profonde piété et par une vie si exemplaire qu’on le regardait comme un saint.

Son principal disciple fut Giovanni da Pistoia, qui, dans sa patrie, exécuta des œuvres peu importantes. Cavallini mourut à Rome, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans, d’un refroidissement causé par l’humidité des murs sur lesquels il travaillait, et pour n’avoir pas voulu interrompre son travail. Il fut honorablement enseveli dans l’église Saint-Paul hors les murs. Ses peintures datent de l’an 1364 environ.



    Ugolino di Prete Ilario, Fra Giovanni Leonardelli, Domenico di Meo, 1356-1364. Le nom d’Ugolino y a été déchiffré, avec la date 1364.

  1. Mentionné pour la première fois en 1308 ; il est à Naples au service du roi Robert.
  2. Il ne reste rien de ses œuvres à Rome, tant mosaïques que peintures.
  3. Attribution fort incertaine ; travail commandé en 1290, par Bartolo Stefaneschi qui y est représenté.
  4. Détruites par l'incendie du 15 juillet 1823.
  5. Existe encore, mais repeinte, en entrant à droite : le tableau qui la recouvrait a été enlevé récemment.
  6. L’église San Basilio a été détruite.
  7. Existe encore, attribué également à Pietro Lorenzetti.
  8. Ces peintures, qui existent encore, ont été restituées à trois maîtres orviétains :
  9. Disparu.