Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/RAPHAEL D'URBIN

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (2p. 119-149).
RAPHAEL D’URBIN
Peintre et Architecte, né en 1488, mort en 1520

Si l’on veut se rendre compte combien le ciel peut se montrer large et bienveillant, en accumulant sur une seule tête la richesse infinie de ses trésors et de ses grâces qu’il répartit ordinairement dans un long laps de temps entre plusieurs individus, on peut le voir dans le non moins excellent que gracieux Raphaël Sanzio d’Urbin. Il fut doté par la nature de cette modestie et de cette aménité que l’on remarque quelquefois chez les hommes qui, plus que d’autres, à une certaine bienveillance naturelle savent joindre l’admirable ornement d’une gracieuse affabilité, se témoignant douce et agréable, avec toute sorte de personnes et en n’importe quelle circonstance. La nature fit ce présent au monde, lorsque, vaincue par l’art de Michel-Ange Buonarroti, elle voulut l’être simultanément par l’art et l’amabifité de Raphaël. En vérité, la majeure partie des artistes antérieurs avaient eu de nature une certaine étrangeté et sauvagerie, qui non seulement les avait rendus extravagants et fantasques, mais encore était cause que souvent la noirceur et l’horreur des vices apparaissaient en eux plus que l’éclat et la splendeur de ces vertus qui rendent les hommes immortels. Il était donc tout naturel que, par opposition, dans Raphaël, brillassent les plus rares qualités du cœur et de l’esprit, accompagnées de tant de grâce, d’amour de l’étude, de beauté, de modestie et d’excellentes mœurs, qu’elles auraient suffi pour cacher tout vice, si honteux qu’il fût, et toute tache quelque grande qu’elle pût être. Aussi peut-on affirmer que ceux qui sont si bien doués ne sont pas des hommes, mais des dieux mortels, s’il est permis de s’exprimer ainsi. Ceux qui laissent sur la terre, grâce à leurs œuvres, un nom célèbre et honoré, peuvent espérer au ciel une récompense digne de leurs travaux et de leur mérite.

Raphaël naquit à Urbin[1], cité illustre d’Italie, le vendredi saint de l’an 1483, à trois heures après minuit. Son père, Giovanni de’ Santi, peintre assez ordinaire, mais homme de sens et de jugement, se trouva capable de le diriger dans la bonne voie, que malheureusement on ne lui avait pas montrée dans sa jeunesse. Comme il savait combien il importe de nourrir les enfants, non avec le lait de nourrices, mais avec celui de la mère, son fils, né et baptisé du nom de l’ange Raphaël, qui lui parut d’un heureux présage, il voulut que ce fils unique, car il n’en eut pas d’autres, par la suite, fût allaité par sa mère, et que dans ses premiers ans il s’inspirât des mœurs paternelles à la maison, plutôt que de contracter des habitudes basses et grossières, dans une maison de paysans ou d’hommes du peuple. Quand il fut un peu plus grand, son père le mit à la peinture, remarquant en lui une inclination vers cet art et un beau génie ; il ne se passa pas beaucoup d’années que Raphaël, encore très jeune, lui fût d’un grand secours, pour de nombreux travaux qu’il exécuta dans l’état d’Urbin. Finalement, ce bon et tendre père, reconnaissant que son fils ne pouvait plus rien acquérir auprès de lui, résolut de le placer chez Pietro Perugino qui, à ce qu’on lui dit, tenait le premier rang parmi les peintres d’alors. Étant allé à Pérouse, et n’y trouvant pas Pietro, il s’occupa de quelques travaux à San Francesco, pour l’attendre plus commodément. Pietro étant revenu de Rome, Giovanni, qui était aimable et de bonnes manières, se lia d’amitié avec lui, et quand le moment lui parut convenable, il lui fit part de ce qu’il désirait. Pietro, homme très courtois et qui aimait les gens de génie, accepta de prendre Raphaël, en sorte que Giovanni retourna tout joyeux à Urbin, prit l’enfant et l’emmena de suite à Pérouse, non sans beaucoup de larmes de la part de sa mère qui l’aimait tendrement. Pietro, ayant vu la manière de dessiner de Raphaël, et ses gentilles manières, porta de lui le jugement que le temps, depuis, a fait reconnaître vrai. Il est à remarquer que Raphaël, en étudiant la manière de Pietro, l’imita si bien et en toutes choses, que l’on ne pouvait distinguer les copies de l’élève des originaux du maître, et que leurs ouvrages semblaient sortis d’une seule main, comme en font foi, manifestement, à San Francesco de Pérouse, quelques figures qu’il peignit à l’huile sur un tableau destiné à Madonna Maddalena degli Oddi, et qui représente la Vierge montant au ciel et couronnée par son Fils, tandis qu’au-dessous les douze Apôtres, placés autour du sépulcre, contemplent la gloire céleste[2]. La prédelle est divisée en trois petites histoires, l’Annonciation de la Vierge, l’Adoration des Mages, et la Présentation au Temple. Certes cette œuvre est faite avec un soin extrême, et celui qui n’est pas absolument familiarisé avec son style pourrait la croire sortie des mains de Pietro, quoiqu’elle soit, sans aucun doute, de la main de Raphaël. Après cette œuvre, Pietro étant retourné à Florence pour quelques affaires, Raphaël quitta Pérouse et se rendit avec quelques amis à Citta di Castello, où il fit, dans l’église Sant’Agostino, un tableau du même style[3], et de même un Christ en Croix[4], pour San Domenico, que l’on attribuerait à Perugino, si l’on n’y lisait le nom de Raphaël. À San Francesco de la même ville, il fit encore un petit tableau représentant le Mariage de la Vierge[5], dans lequel on reconnaît manifestement le progrès de son talent, qui va en s’affinant et surpasse la manière de Pietro. Dans cette œuvre, il y a un temple dessiné en perspective avec tant d’amour que c’est une chose admirable à voir les difficultés qu’il cherchait à résoudre.

Tandis qu’il avait ainsi acquis une grande réputation en pratiquant cette manière, le pape Pie II[6] venait d’allouer à Pinturicchio[7] les fresques de la Libreria, dans le Dôme de Sienne. Celui-ci, ami de Raphaël, qu’il savait excellent dessinateur, le conduisit à Sienne, où Raphaël fit pour lui quelques-uns des dessins et des cartons de cette œuvre. La raison qui le fit cesser fut que quelques peintre lui vantèrent l’admirable groupe de chevaux du carton fait par Léonard de Vinci dans la salle du pape, à Florence, et destiné au palais, et les nus infiniment supérieurs du carton fait par Michel-Ange Buonarroti, en concurrence de celui de Léonard. Raphaël, poussé par l’amour qu’il porta toujours à l’excellence de l’art, éprouva un tel désir de voir ces œuvres, qu’ayant laissé de côté ce travail, ainsi que les avantages qu’il devait en retirer, il s’en alla à Florence[8]. Comme, à son arrivée, la ville ne lui plut pas moins que ces œuvres, qui lui parurent divines, il se décida à y habiter quelque temps, et se lia d’amitié avec quelques jeunes peintres, entre autres Ridolfo Ghirlandajo et Aristotile San Gallo. Il fut très honoré dans cette ville et particulièrement de la part de Taddeo Taddei, qui voulut l’avoir constamment chez lui et à sa table, en homme qui aima toujours les gens de talent. Raphaël, qui était l’amabilité même, ne voulant pas se laisser vaincre en courtoisie, fit pour lui deux tableaux[9] qui tiennent à la fois de la manière de Pietro et de celle bien supérieure que lui-même adopta ensuite ; ces peintures sont encore aujourd’hui chez les héritiers de Taddeo. Raphaël contracta encore une grande amitié avec Lorenzo Nasi, qui venait de prendre femme ; il peignit pour lui un tableau[10] où l’on voit la Vierge tenant entre ses jambes l’Enfant Jésus, auquel le petit saint Jean tend un oiseau, à la grande joie de l’un et de l’autre. Dans leur attitude, on remarque une simplicité enfantine et aimable, outre qu’ils sont si bien peints et exécutés avec tant de soin qu’ils paraissent être de chair vive plutôt que dessinés et peints. La Vierge a de même une expression pleine de grâce et de divinité ; tout, enfin, jusqu’au paysage et au reste de la peinture, est de la plus grande beauté. Ce tableau a toujours été conservé avec une grande vénération par Lorenzo Nasi, tant qu’il vécut, en mémoire de Raphaël, son intime ami, aussi bien que pour la beauté de l’œuvre. Malheureusement, le 17 novembre 1548[11], un éboulement du Monte San Giorgio engloutit, avec toutes les magnifiques habitations des héritiers de Marco del Nero, le palais de Lorenzo Nasi et plusieurs bâtiments voisins ; on retrouva cependant, parmi les décombres, les morceaux du tableau de Raphaël, et Batista, fils de Lorenzo, les fit rejoindre et rajuster entre eux le mieux qu’il fut possible.

Après cette œuvre, Raphaël fut forcé de quitter Florence et d’aller à Urbin, où la mort de son père et de sa mère[12] laissait toutes ses affaires à l’abandon. Pendant son séjour dans cette ville, il fit pour Guidobaldo da Montefeltro, alors capitaine des Florentins[13], deux petites Vierges très belles, peintes dans sa seconde manière, qui sont actuellement chez Guidobaldo, duc d’Urbin[14]. Il fit pour celui-ci un petit tableau du Christ au Mont des Oliviers, avec, dans le lointain, les trois Apôtres dormant[15]. Cette peinture est d’un tel fini, qu’une miniature ne saurait être plus parfaite. Lorsqu’il eut mis en ordre ses affaires il retourna à Pérouse où il fut chargé de trois grands ouvrages. Le premier, dans l’église des Servi, est un tableau placé dans la chapelle degli Ansidei et représentant la Vierge, saint Jean-Baptiste et saint Nicolas[16]. Le second est une peinture à fresque[17], pour la chapelle de la Vierge, à San Severo, petit monastère de l’ordre des Camaldules ; on y voit le Christ dans sa gloire. Dieu le Père environné de quelques anges et six saints assis, trois de chaque côté, à savoir : saint Benoît, saint Romuald, saint Laurent, saint Jérôme, saint Marc et saint Placide. Sur cette œuvre, qui fut très estimée comme peinture à fresque, il inscrivit son nom en lettres majuscules très apparentes[18]. Enfin il fit, dans la même ville, pour les religieuses de saint Antoine de Padoue, un tableau de la Vierge tenant son Fils habillé, ce que demandèrent ces saintes et vénérables filles[19]; aux côtés de la Vierge, on voit saint Pierre, saint Paul, sainte Cécile et sainte Catherine. Il donna aux têtes de ces deux vierges un caractère de douceur, avec les ajustements les plus variés que l’on puisse voir, chose rare à cette époque. Au-dessus du tableau, dans un cadre demi-circulaire, il peignit un Dieu le Père très beau, et sur la prédelle, trois petites histoires[20] représentant le Christ priant au Mont des Oliviers, un Portement de Croix, où l’on admire la beauté des mouvements des soldats qui entraînent le Sauveur, et le Christ mort sur les genoux de sa Mère, œuvre admirable et pleine de dévotion, tenue par les sœurs en grande vénération et louée par tous les peintres.

Je ne cacherai pas que l’on reconnaît, après son séjour à Florence, qu’il changea et embellit sa manière, grâce à l’étude qu’il fit des œuvres des plus grands maîtres, au point qu’elle n’avait plus rien de commun avec sa première manière, tout comme si elles appartenaient à des peintres différents, et de plus ou moins de talent. Avant son départ de Pérouse, Madonna Atlanta Baglioni lui demanda un tableau pour sa chapelle de l’église San Francesco ; comme il ne put alors l’exécuter, il lui promit de la satisfaire dès qu’il serait de retour de Florence où il était forcé de se rendre pour quelques affaires. Étant donc venu à Florence, où il se livra avec une ardeur incroyable à l’étude de son art, il fit le carton pour la dite chapelle, avec l’intention de venir exécuter le tableau aussitôt qu’il en aurait le loisir.

Pendant son séjour à Florence, Agnolo Doni, qui était aussi parcimonieux en autre chose qu’il dépensait volontiers, mais en épargnant le plus possible, quand il s’agissait de peinture et de sculpture, auxquelles il se plaisait beaucoup, lui fit faire son portrait et celui de sa femme[21]. Raphaël fit encore, pour Domenico Canigiani, un tableau[22] représentant la Vierge et l’Enfant Jésus accueillant avec joie le petit saint Jean porté par sainte Élisabeth qui, tout en le soutenant, regarde expressivement saint Joseph ; celui-ci, les deux mains appuyées sur un bâton, incline la tête vers elle, en s’émerveillant et en louant Dieu d’avoir permis à une vieille femme d’avoir un si petit enfant. Tous deux paraissent étonnés en voyant avec quel sens, dans un âge si tendre, les deux petits cousins se font fête, l’un révérant l’autre. Ce peintre excellent étudia à Florence les anciennes peintures de Masaccio ; ce qu’il vit des travaux de Léonard de Vinci et de Michel-Ange le fit encore étudier davantage, et, par suite, perfectionner sa manière d’une façon extraordinaire. Il se lia en outre d’une étroite amitié avec Fra Bartolommeo de San Marco, dont il cherchait à imiter le coloris qui lui plaisait infiniment, tandis qu’en revanche il enseignait les règles de la perspective à ce bon père qui ne s’y était pas attaché jusqu’alors.

Mais, au plus fort de cette intimité, Raphaël fut rappelé à Pérouse où, d’abord, il acheva, à San Francesco, le tableau de Madonna Atalanta Baglioni, dont il avait fait le carton à Florence, comme nous l’avons déjà dit. Cette divine peinture, qui a encore la fraîcheur d’un ouvrage qui vient d’être terminé, représente une Déposition du Christ au tombeau[23]. Raphaël imagina, dans la composition de cette œuvre, la douleur qu’éprouvent les parents les plus proches et les plus aimants en déposant au tombeau le corps d’une personne très chère et par laquelle on peut vraiment constater la grandeur, l’honneur et l’union de toute une famille. On y voit la Vierge évanouie, et les têtes de tous les personnages sont gracieuses dans leur douleur, particulièrement celle de saint Jean, qui, les mains croisées, baisse la tête d’une manière à remplir de pitié le cœur le plus dur. En vérité, celui qui considère le soin, l’amour, la grandeur d’art et la grâce dont cette œuvre est pleine, peut s’émerveiller à bon droit, parce qu’elle remplit d’étonnement qui la regarde, pour la majesté des figures, la beauté des draperies, et, en somme, par l’extrême bonté de toutes ses parties. Ce travail terminé, Raphael retourna à Florence où les Dei, citoyens de cette ville, lui commandèrent, pour leur chapelle de l’église de Santo Spirito, un tableau d’autel qu’il commença et dont il avança beaucoup l’ébauche[24]. Il fit en même temps un autre tableau que l’on envoya à Sienne ; mais, Raphaël étant parti, il fut remis à Ridolfo Ghirlandaio, qui eut à terminer la draperie bleue de la Vierge[25]. Ce départ précipité fut causé par Bramante d’Urbin, qui était au service de Jules II, et qui écrivit à Raphaël, son compatriote et quelque peu son parent, qu’ayant parlé de lui au pape pour les peintures de certaines chambres, il pourrait y montrer tout son talent[26]. Cette proposition plut à Raphaël, en sorte qu’il abandonna tous ses travaux de Florence et laissa inachevé le tableau des Dei. Arrivé à Rome, il trouva qu’une grande partie des chambres du palais étaient déjà peintes ou en train de l’être par d’autres maîtres. Ainsi Pietro della Francesca avait achevé un sujet, Luca da Cortona une paroi, don Bartolommeo della Gatta, abbé de San Clemente d’Arezzo, avait commencé quelque chose, et Bramantino de Milan avait peint aussi quelques figures dont la plupart étaient des portraits d’après nature que l’on estimait beaucoup.

Raphaël, à son arrivée, ayant reçu du pape Jules force caresses, commença dans la chambre de la Signature[27] une fresque représentant l’accord de la Théologie avec la Philosophie et l’Astrologie. Tous les savants du monde sont reproduits, et argumentent entre eux. À l’écart, quelques astrologues ont tracé des figures de géomancie et d’astrologie sur des tablettes que des anges portent aux Évangélistes qui les expliquent. Entre eux, Diogene, avec son écuelle posée auprès de lui, est couché sur des degrés, figure remarquable par l’expression de sa pensée et le désordre de ses vêtements. Aristote et Platon, l’un avec le Timée en main, l’autre avec l’Éthique, sont là entourés d’une nombreuse école de philosophes. On ne saurait décrire la beauté de ces astrologues et de ces géomètres, qui dessinent avec des compas quantité de figures et de caractères sur des tablettes. Parmi eux, sous les traits d’un jeune homme, d’une beauté souveraine, qui ouvre les bras d’admiration et penche la tête, est représenté Frédéric II, duc de Mantoue, qui se trouvait alors à Rome ; celui qui est penché à terre et qui, un compas à la main, trace des cercles sur des tablettes, est, dit-on, le portrait de Bramante, architecte, rendu d’une manière si frappante qu’il ne saurait être plus ressemblant, s’il était en vie. À côté d’une figure qui se retourne en tenant le globe céleste et représente Zoroastre, on voit Raphaël, l’auteur de cette fresque, peint à l’aide d’un miroir. Il a un aspect jeune, rempli de modestie, mais accompagné d’une grâce aimable, et sa tête est couverte d’une barrette noire. Il serait impossible d’exprimer la beauté et la bonté que l’on remarque dans les têtes et les figures des Evangélistes, auxquels le peintre a donné une attention et une gravité toutes naturelles, particulièrement à ceux qui écrivent. Sans nous arrêter à des détails qui seraient trop nombreux, nous pouvons dire que Raphaël prouva par cet essai qu’il voulait occuper le premier rang parmi tous ceux qui tenaient des pinceaux. Il orna encore cette œuvre d’une belle perspective et de nombreuses figures terminées avec une manière si delicate et si douce, que le pape Jules fit jeter à terre toutes les peintures des autres maîtres, anciens et modernes, et voulut que Raphaël eut seul la gloire de tous les travaux qui avaient été faits jusqu’alors. Comme on devait aussi détruire les œuvres de Giovan Antonio Sodoma da Vercelli, qui étaient au-dessus de celles de Raphaël, celui-ci voulut au moins se servir de la distribution des peintures et des grotesques. Dans chacun des quatre médaillons, il peignit une figure allégorique, expliquant le sujet placé au-dessous, et tournée du même côté. Au-dessus du panneau représentant l’Accord de la Philosophie et de la Théologie, il y a une femme qui figure la Connaissance deschoses ; elle est assise sur un siège dont chaque montant est formé par une déesse Cybèle, ayant autant de mamelles que les anciens en donnaient à Diane Polymathe. Ses vêtements sont de quatre couleurs, symbole des quatre éléments : de la tête à la ceinture le peintre a figuré la couleur du feu, sous la ceinture celle de l’air, plus bas celle de la terre, et des genoux aux pieds celle de l’eau. Elle est accompagnée d’enfants très beaux. Au-dessus du Parnasse, du côté de la fenêtre qui donne sur le Belvédère, est représentée la Poésie, sous la figure de Polymnie couronnée de lauriers ; d’une main, elle tient un livre, et de l’autre une lyre antique. Les jambes croisées, elle lève les yeux au ciel, avec une beauté de visage immortelle, et elle est accompagnée de deux enfants pleins de grâce et de vivacité. Au-dessus de la Dispute du Saint-Sacrement, la Théologie, avec deux petits enfants, est entourée de livres et de plusieurs autres attributs ; elle est non moins belle que les deux autres. Au-dessus de la fenêtre qui donne sur la cour, on voit la justice tenant ses balances et levant l’epée ; accompagnée, comme les autres, d’enfants d’une suprême beauté, elle surmonte le sujet de la jurisprudence. Dans les angles de la voûte sont quatre compartiments renfermant des sujets dessinés et peints avec le plus grand soin, mais dont les figures ne sont pas très grandes. Dans le premier compartiment, pour répondre à la figure de la Théologie, Raphaël a représenté le Péché originel. À l’école d’Athènes correspond l’Astrologie, posant les étoiles fixes et errantes à leur place. Relativement au Parnasse, on voit Marsyas qu’Apollon fait écorcher à un arbre. Enfin, à la peinture des Décrétales correspond le jugement de Salomon, quand il veut faire couper en deux un petit enfant. Ces quatre sujets sont pleins de sens et de sentiment ; ils sont exécutés avec un dessin excellent et un coloris charmant.

La description de la voûte terminée, il nous reste à décrire ce que Raphaël peignit, paroi par paroi, au bas des choses indiquées ci-dessus. Sur la paroi qui est du côté du Belvédère, où se trouvent représentés le mont Parnasse et la fontaine d’Hélicon, il fit, autour de cette montagne, une forêt ombreuse de lauriers, dont le vert feuillage semble doucement agité par un vent frais. Dans les airs, une infinité de petits Amours nus, ayant d’admirables visages, cueillent des rameaux de lauriers, en font des guirlandes, et les jettent çà et là sur la montagne. Il semble vraiment qu’un soufile divin s’exhale de la beauté des figures et de la noblesse de cette peinture, qui plonge dans l’admiration celui qui la regarde attentivement, et l’on ne peut comprendre comment il a été possible à un homme, avec les moyens imparfaits dont nous disposons, de forcer, grâce à l’excellence du dessin, des choses peintes à paraître vivantes. Ils sont également très vivants, ces poètes qu’on voit çà et là sur la montagne, les uns debout, d’autres assis, écrivant ou raisonnant, chantant ou discourant entre eux, par groupes de quatre ou de six, suivant qu’il a paru bon à Raphaël de les assembler. On y voit reproduits au naturel tous les plus fameux poètes, anciens et modernesqui vécurent jusqu’à son époque, et dont les portraits furent extraits, soit de médailles, de statues ou de peintures antiques, soit d’après l’original, pour les contemporains que Raphaël put peindre vivants. En commençant d’un côté, il y a Ovide, Virgile, Ennius, Tibulle, Catulle, Properce, Homère aveugle et chantant, la tête levée, ses vers qu’un autre écrit à ses pieds. Viennent ensuite, toutes en un groupe, les neuf Muses et Apollon, avec tant de beauté et de divinité dans les figures que la grâce et la vie émane de leur soufile, puis la docte Sapho, le divin Dante, le gentil Pétrarque, l’amoureux Boccace, qui sont réellement vivants, Tibaldeo[28] et une infinité de modernes. Toute cette histoire est peinte avec une grâce extrême et terminée à la perfection.

Sur une autre paroi, Raphaël représenta le ciel, avec le Christ, la Vierge, saint Jean-Baptiste, les Apôtres, les Evangélistes et les Martyrs sur les nuages, avec au sommet Dieu le Père, qui envoie l’Esprit saint sur tous, et particulièrement sur une foule de bienheureux qui adoptent le sacrifice de la Messe et disputent au sujet de l’Eucharistie placée sur l’autel. Parmi ces derniers, sont les quatre Docteurs de l’Eglise, qui ont autour d’eux une infinité de saints, à savoir : saint Dominique, saint François, saint Thomas d’Aquin, saint Bonaventure, Scot, Nicolo de Lira, Dante, Fra Girolamo Savonarola, et tous les théologiens chrétiens, dont quantité sont peints d’après nature. Dans les airs, quatre enfants tiennent ouverts les Evangiles ; aucun peintre n’aurait pu former avec leurs figures chose plus gracieuse, ni de plus grande perfection. Les saints assis en cercle dans les airs, outre qu’ils paraissent vivants, sont vraiment mis en raccourcis et en perspective, de manière qu’ils ne seraient pas plus vrais s’ils étaient en relief ; ils sont en outre drapés très diversement avec de beaux plis dans les étoffes, et leurs têtes reflètent un air plus céleste qu’humain, comme on le voit dans celle du Christ, qui est pleine d’autant de clémence et de piété que la représentation de la Divinité peut le montrer aux humains. Vraiment Raphaël reçut de la nature le don de douer les têtes d’un air infiniment doux et gracieux, comme le prouve encore la Vierge qui, les mains posées sur son sein, regarde et contemple son Fils ; ajoutons qu’il donna à l’ensemble une grandeur admirable, en imprimant aux saints Patriarches le caractère solennel de l’antiquité, aux Apôtres celui de la simplicité, aux Martyrs celui de la foi. Mais il montra encore plus de savoir et de génie dans les saints Docteurs chrétiens groupés de différentes manières, et discutant sur le sujet. Leurs têtes expriment bien une certaine curiosité, le tourment qu’ils éprouvent, en voulant atteindre la certitude de ce qui les tient en doute, appuyant leurs discussions de gestes, les oreilles attentives et les sourcils froncés ; seuls les quatre Docteurs de l’Eglise, illuminés par l’Esprit saint, résolvent et dénouent toutes les difficultés, à l’aide des Saintes Ecritures que soutiennent les enfants qui volent dans les airs. Sur la face où est l’autre fenêtre, on voit d’un côté Justinien donnant les lois aux Docteurs qui les corrigent et au-dessus la Tempérance, la Force et la Prudence ; de l’autre côté, le pape[29] donnant les Décrétales. Raphaël y représenta le pape Jules II, ainsi que le cardinal Jean de Médicis, qui devint pape sous le nom de Léon X, le cardinal Antonio di Monte et le cardinal Alexandre Farnèse, élevé plus tard à la papauté sous le nom de Paul III.

Son talent prit alors un tel essor que, par ordre du pape, il peignit la deuxième chambre, du côté de la grande salle. À la même époque, il fit le portrait à l’huile du pape[30], d’une telle vérité qu’il faisait trembler, comme s’il était vivant ; on le voit aujourd’hui à Santa Maria del Popolo, avec un très beau tableau de la Nativité fait à la même époque. La Vierge couvre d’un voile l’Enfant Jésus, dont la beauté est telle, tant dans la tête que dans tous ses membres, qu’il montre être le vrai fils de Dieu[31]. La tête et le visage de la Vierge ne sont pas moins beaux, et respirent l’allégresse et la piété. Saint Joseph, les deux mains appuyées sur son bâton, contemple tout pensif le roi et la reine du ciel ; on ne montre ces deux peintures que les jours de fêtes solennelles.

Raphaël avait alors acquis cà Rome une grande renommée, et, bien qu’il eût une manière gracieuse que l’on trouvait très belle, bien qu’il eût vu et étudié sans cesse les antiques si nombreux de cette ville, il n’avait cependant pas encore donné à ses figures cette grandeur et cette majesté qu’il leur donna depuis. Il arriva dans ce temps que Michel-Ange fut forcé de fuir à Florence, après le tapage et la frayeur qu’il causa au pape dans la chapelle, et dont nous parlerons dans sa Vie. Bramante, qui avait la clef de la chapelle, la fit voir à Raphaël, en ami, afin qu’il pût comprendre les modes de peinture de Michel-Ange. Cette vue fut cause que Raphaël recommença aussitôt le prophète Isaïe[32], qu’il avait déjà terminé dans l’église Sant’Angostino, au-dessus de la sainte Anne d’Andrea Sansovino. Dans cette œuvre, ayant vu les peintures de Michel-Ange, il améliora et agrandit considérablement sa manière, à laquelle il donna plus de majesté. Aussi Michel-Ange, à son retour, en voyant l’ouvrage de son rival, pensa-t-il, et avec raison, que Bramante lui avait joué ce mauvais tour pour rendre service et augmenter la gloire de Raphaël.

Peu de temps après. Agostino Chigi, riche marchand siennois et ami de tous les hommes de mérite, confia la décoration d’une chapelle à Raphaël, et cela parce que celui-ci avait peint peu auparavant, dans une loggia de son palais, connu aujourd’hui sous le nom de Chigi in Trastevere[33], dans une très douce manière, Galathée sur la mer, sur un char tiré par deux dauphins et entouré de tritons et d’une foule de dieux marins[34]. Raphaël ayant donc fait le carton pour cette chapelle, qui est à l’entrée de Santa Maria della Pace, à main droite en entrant par la porte principale, la peignit à fresque dans une nouvelle manière plus magnifique et plus grande que sa première. Il fit entrer dans cette composition, avant que la chapelle de Michel-Ange, qu’il avait cependant vue, ne fût livrée au public, des Prophètes et des Sibylles[35] qui sont considérés comme la meilleure et la plus belle de tant d’œavres qu’on lui doit ; on remarque dans les femmes et les enfants une grande vivacité et un coloris parfait. Il fit ensuite, à la prière d’un camérier du pape Jules II, le tableau du maître-autel d’Ara Cœli, sur lequel il représenta la Vierge portée sur des nuages, au milieu d’un admirable paysage, saint Jean, saint François et saint Jérôme, qu’il a peint sous la figure d’un cardinal[36]. La Vierge a ce caractère d’humilité et de modestie qui est vraiment celui de la mère du Christ, et l’enfant, dans une belle attitude, joue avec son manteau ; on découvre, en outre, dans la figure de saint Jean-Baptiste, les traces du jeûne qu’il s’impose comme pénitence ; ses traits laissent éclater la sincérité d’esprit et la franchise propres à ceux qui, vivant loin du monde, le méprisent, ou qui ne s’y montrent que pour flétrir le mensonge et proclamer la vérité. Saint Jérôme a la tête levée et les yeux tournés vers la Madone, dans une attitude contemplative ; on y lit la science et la sagesse dont il a donné des preuves dans ses écrits ; il a posé ses deux mains sur le camérier, ayant l’air de le recommander. Le portrait de ce dernier est si vivant, qu’on ne dirait pas que c’est une peinture. Raphaël ne manqua pas d’en faire autant dans la figure de saint François ; à genoux, avec un bras étendu et la tête levée, il regarde la Vierge, brûlant d’amour, comme le montre bien la peinture, par le dessin et le coloris ; on voit qu’il se sent ranimé et consolé par le regard plein de mansuétude de la Mère, par la vivacité et la beauté du Fils. Au milieu du tableau et au-dessous de la Vierge, Raphaël a représenté un enfant debout, qui lève la tête vers elle et tient un cartel : pour la beauté de son visage, correspondant à celle du corps, on ne saurait peindre d’enfant plus gracieux ni plus beau ; en outre, le paysage est unique comme perfection et beauté.

Continuant ensuite les chambres du Vatican, Raphaël représenta l’histoire du miracle du corporal d’Orvieto, ou de Bolsena[37], comme on l’appelle. On reconnaît sur le visage enflammé du prêtre, pendant qu’il dit la messe, la honte qu’il ressent de voir, à cause de son incrédulité, l’hostie distiller du sang sur le corporal ; hors de lui-même, les yeux hagards, devant toute l’assistance, il paraît rempli de confusion : le mouvement de ses mains rend admirablement le tremblement et l’effroi si naturels en pareille occasion. Raphaël groupa autour divers personnages, les uns servent la messe, d’autres, tant d’hommes que femmes, à genoux sur des degrés, troublés par la nouveauté de cet événement, font divers gestes dans de belles attitudes, quelques-uns exprimant le désir de s’avouer coupables. Une des femmes, assise à terre, dans le bas de la composition, tient un enfant à son cou et, entendant le propos que paraît tenir une de ses compagnes, au sujet de ce qui arrive au prêtre, se tourne, tout en écoutant, avec une grâce féminine, parfaitement appropriée et vivement rendue. De l’autre côté, se trouve le pape Jules, qui entend la messe, peinture admirable, où Raphaël reproduisit les traits du cardinal San Giorgio[38] et d’autres. Dans la partie interrompue par la fenêtre, il plaça une montée à deux rampes, que le sujet laisse apercevoir en entier, et on peut se rendre compte que, si le vide de la fenêtre n’existait pas, il s’ensuivrait un mauvais effet. On peut donc dire avec raison que, dans la composition de quelque sujet que ce soit, jamais personne ne s’est montré, en peinture, plus savant ni plus habile que lui, comme le montre encore la peinture placée vis-à-vis et représentant saint Pierre en prison par l’ordre d’Hérode et gardé par des hommes en armes[39]. L’architecture du cachot est si grande et simple, que les autres artistes, comparés à Raphaël, semblent en vérité mettre dans leurs ouvrages plus de confusion encore qu’il n’y met de beauté. Sans cesse il s’est efforcé de représenter les sujets tels que l’histoire nous les décrit, et d’y unir la grâce à la perfection. Qu’il a bien rendu l’horreur du cachot, dans lequel le vieillard est attaché avec des chaînes de fer et gardé par deux soldats, ainsi que le profond sommeil des gardiens ! La splendeur éblouissante de l’ange est si vive qu’elle éclaire, au milieu des ténèbres de la nuit, jusqu’aux moindres détails de la prison, et fait briller les armes, qui sont polies au point qu’elles paraissent vraies plutôt que peintes. Il n’y a pas moins d’art et de talent dans la figure de l’Apôtre délivré de ses chaînes et sortant de la prison, accompagné de l’ange ; le visage de saint Pierre montre qu’il se croit le jouet d’un songe. On remarque encore la terreur et l’épouvante des autres gardiens en armes, qui entendent du dehors le bruit de la porte de fer ; une sentinelle, la torche à la main, réveille les autres, et tandis qu’elle les éclaire, les rayons de la torche se reflètent sur toutes les armes ; dans les endroits où ils ne pénètrent pas, ils sont remplacés par un rayon de lune. La Délivrance de saint Pierre étant placée au-dessus d’une fenêtre est moins bien éclairée que les autres peintures : le jour donne dans le visage du spectateur et lutte si bien avec les effets de lumière, représentés par le peintre, que l’on croit voir la fumée de la torche, la splendeur de l’ange et les profondes ténèbres de la nuit. Tout cela est si naturel et si vrai, telle est aussi la difficulté de l’entreprise réalisée par Raphaël, que l’on ne croirait jamais être en présence d’une peinture. Les ombres et lueurs, la fumée et la chaleur des flambeaux se reflètent si bien sur les armes, au milieu de la nuit qui les enveloppe, que l’on est en droit de regarder Raphaël comme le maître des autres peintres ; en ce qui concerne l’imitation de la nuit, la peinture n’a jamais produit d’œuvre plus divine, ni plus universellement appréciée.

Dans la même salle, Raphaël représenta encore, sur une des parois restées nues, le Culte divin, l’Arche des Hébreux avec le candélabre, et le pape Jules II chassant l’Avarice de l’Eglise ; la beauté et la bonté de cette peinture ne le cèdent en rien à l’effet de nuit dont nous venons de parler. On y voit les portraits de quelques estafiers de l’époque, qui portent sur une litière le pape Jules, dont l’image est vivante[40]. Tandis que des gens du peuple et des femmes font place pour lui livrer passage, on voit la furie d’un cavalier en armes, qui, accompagné de deux jeunes hommes à pied, heurte avec violence et frappe le superbe Héliodore, qui, par ordre d’Antiochus, veut dépouiller le temple de tous les dépôts faits par les veuves et les orphelins. Déjà l’on emporte des coffres et des trésors, mais la vue du châtiment d’Héliodore, abattu et durement frappé par les trois susdits, qui, étant une vision, ne sont vus et entendus que de lui, frappe les ravisseurs d’épouvante ; ils veulent fuir, mais trébuchent et tombent avec leurscharges, saisis du subit effroi qui s’est levé parmi les gens d’Héliodore. On aperçoit, à part d’eux, le grand prêtre Onias, revêtu de son costume pontifical, qui, les mains jointes et les yeux tournés vers le ciel, prie avec ferveur, en compassion des infortunés que l’on dépouille, et joyeux ensuite du secours inespéré que le ciel lui envoie. Par un caprice heureux, Raphaël a placé sur les soubassements plusieurs figures qui se tiennent aux colonnes, dans des attitudes pleines d’aisance, pour contempler cette scène, et tout un peuple qui, avec une curiosité mêlée d’étonnement et de crainte, attend le résultat de l’événement. Sur la voûte, il représenta quatre sujets : Dieu apparaissant à Abraham et lui promettant la multiplication de sa race, le Sacrifice d’Isaac, l’Échelle de Jacob et le Buisson ardent de Moïse, dans lesquels on distingue autant de science, d’invention, de dessin et de grâce que dans les autres ouvrages exécutés par lui.

Pendant qu’il créait avec bonheur tant de merveilles, le sort jaloux trancha les jours de Jules II[41], qui avait si libéralement encouragé son génie et qui était amateur de toute belle chose. Léon X fut élu pape[42], et voulut que l’œuvre suivît son cours. Raphaël se crut porté au ciel, heureux de rencontrer un si grand prince, chez qui l’amour de l’art était héréditaire, et qui lui accorda toute sa faveur. Aussi Raphaël prit à cœur de continuer son œuvre. Sur l’autre paroi, il représenta la marche d’Attila sur Rome, et sa rencontre au pied du Monte Mario avec le pape Léon III, qui, par ses seules exhortations, le força à rebrousser chemin[43]. Il y figura saint Pierre et saint Paul dans les airs, l’épée à la main, et volant au secours de l’Église. Bien que l’histoire de Léon III ne rapporte pas ce fait, Raphaël l’introduisit dans sa composition, comme une fiction permise aux poètes et aux peintres, comme ornement et ne s’écartant pas de l’intention première de son œuvre. On voit dans les Apôtres cette fierté et cette hardiesse céleste que la divine volonté imprime à la face de ses serviteurs pour défendre la sainte religion. Attila en est impressionné ; monté sur un cheval noir à balzanes, et marqué d’une étoile au front, aussi beau qu’il soit possible, il lève la tête dans une attitude épouvantée et se tourne pour prendre la fuite. À côté sont d’autres chevaux très beaux, un genêt surtout, tacheté et monté par un cavalier couvert d’écaillés comme un poisson, dont la figure a été tirée de la colonne Trajane, sur laquelle on voit des hommes armés de la sorte : on croit que ce sont des armures faites en peau de crocodile. Le Monte Mario est en feu et rappelle qu’au départ des soldats les cantonnements restent toujours la proie des flammes. Raphaël peignit encore d’après nature les massiers qui accompagnent le pape, les cardinaux, les courtisans et les estafiers qui tiennent la haquenée sur laquelle est assis Léon X, en habits pontificaux. Tous ces portraits sont vivants, et une pareille œuvre est aussi agréable à l’œil qu’utile dans notre art, en particulier pour ceux qui sont privés de pareilles choses.

Dans le même temps, il fit, à Naples, un tableau qui fut placé à San Domenico, dans la chapelle où est le crucifix qui parla à saint Thomas d’Aquin. Il représente la Vierge, saint Jérôme vêtu en cardinal et l’ange Raphaël qui accompagne Tobie[44]. Pour Leonello da Carpi, seigneur de Meldola, il peignit une Vierge, sur le visage de laquelle on remarque une dignité et une modestie dans l’attitude inimaginables[45]. Elle est représentée adorant, les mains jointes, son Fils qui est assis sur ses genoux et caresse un petit saint Jean, en adoration devant lui, avec sainte Elisabeth et saint Joseph. Lorenzo Pucci, cardinal de Santi Quattro, ayant été nommé grand pénitencier, obtint de Raphaël qu’il fît un tableau pour la chapelle de San Giovanni in Monte, à Bologne, dans laquelle est déposé le corps de la bienheureuse Elena dall’Olio ; cette œuvre montre ce que pouvait produire la grâce et l’art par les mains délicates de Raphaël. On y voit sainte Cécile[46], éblouie par un chœur d’anges dans les cieux, s’arrêter à les écouter, absorbée par l’harmonie ; ses traits offrent cette contraction que l’on remarque chez les gens en extase. À terre sont épars des instruments de musique qui paraissent non en peinture, mais réels et véritables ; il en est de même des voiles et des vêtements d’or et de soie de la sainte, recouvrant un cilice merveilleux. Saint Paul, le bras droit reposant sur une épée nue, et la tête appuyée sur la main, reflète autant la profondeur de sa science que sa fierté transformée en gravité ; il a les pieds nus et il est vêtu d’un simple manteau rouge sous lequel on aperçoit une tunique verte, à la manière apostolique. On voit ensuite sainte Marie-Madeleine tenant à la main un vase de pierre fine, dans une pose gracieuse ; elle tourne la tête et semble toute joyeuse de sa conversion. On ne saurait faire mieux dans ce genre et de même les têtes de saint Augustin et de saint Jean, évangéliste, sont très belles. En vérité, si le nom de peinture s’applique aux ouvrages des autres artistes, ceux de Raphaël peuvent être appelés des choses vivantes ; dans ses figures, la chair frémit ; on sent le souffle ; les sens sont en action ; en un mot, on y découvre une vivacité vivante. Outre la gloire qu’il avait déjà, cette œuvre lui attira une renommée infinie.

Raphaël fit ensuite un petit tableau, qui est maintenant chez le comte Vincenzio Ercolani, à Bologne, et qui représente un Christ en manière de Jupiter dans le ciel, environné des quatre Évangélistes sous la forme d’un homme, d’un lion, d’un aigle et d’un taureau, tels que les décrit Ezéchiel[47]. Le petit paysage, qui est au-dessous et doit représenter la terre, est d’une rare beauté et ce tableau est aussi beau dans sa petitesse que ses autres œuvres dans leur grandeur. Il envoya à Vérone, aux comtes de Canossa, un grand tableau de la même valeur, représentant la Nativité du Christ, qui renferme une sainte Anne et un effet d’aurore, admirables[48]. On ne saurait faire de cette œuvre un éloge plus complet que de dire qu’il sort de la main de Raphaël. Il fit à Bindo Altoviti, lorsqu’il était jeune, son portrait qui passe pour un chef-d’œuvre[49], et un tableau de la Vierge[50] qu’il envoya à Florence, que l’on voit aujourd’hui dans le palais du duc Cosme, sur l’autel de la chapelle des salles neuves. Il représente une sainte Anne vieille et assise qui présente à la Vierge son Fils dont la beauté de corps et les traits pleins de charme communiquent leur gaieté à quiconque les regarde. Il mit, en outre, dans la figure de la Madone toute la beauté que l’on peut imprimer à la physionomie d’une vierge : ses yeux expriment la modestie, son front la pureté de l’âme, sa bouche la grâce et la candeur, outre que ses vêtements sont tels qu’ils montrent une simplicité et une pudeur infinie ; enfin, je crois qu’il serait impossible de faire mieux. Il y a encore un saint Jean nu et assis, ainsi qu’une sainte non moins remarquable ; dans le fond, une fenêtre avec un rideau éclaire la chambre où se passe la scène.

Il fit à Rome un tableau de bonne grandeur, dans lequel il renferma les portraits du pape Léon X, du cardinal Jules de Médicis, et du cardinal de Rossi[51]; ces figures ne paraissent pas peintes mais en relief. On peut distinguer le tissu du velours et on croit entendre le froissement du damas dont le pape est revêtu. Les fourrures sont d’une souplesse parfaite ; l’or, la soie et le lustre des étoffes sont rendus avec une vérité incroyable. Il y a encore un livre relié en vélin et orné de miniatures, et une sonnette d’argent peinte de manière qu’on ne saurait dire combien c’est beau. Mais ce qui est au-dessus de tout éloge, c’est la boule d’or du fauteuil où siège le pape, et qui reflète en guise de miroir [si grande est sa clarté] les fenêtres, les épaules de sa Sainteté et les murailles de la salle. On peut dire avec assurance qu’aucun maître ne pourra jamais atteindre à cette perfection. Ce tableau, qui est encore à Florence dans la garde-robe du duc, valut une riche récompense à Raphaël. Il mit autant de perfection dans les portraits des ducs Laurent et Julien ; on les voit aujourd’hui, à Florence, chez les héritiers d’Ottaviano de’ Medici[52]. La gloire et la fortune de Raphaël s’accroissaient chaque jour ; aussi, pour laisser de lui un monument, éleva-t-il un palais dans le Borgo Nuovu, à Rome, que Bramante construisit en béton[53]. La réputation que tant de beaux ouvrages avaient acquise à Raphaël s’étant étendue jusqu’en France et en Flandre, Albert Durer, peintre allemand d’un haut mérite, et graveur sur cuivre d’admirables estampes, lui paya son tribut d’hommages et lui envoya son portrait peint à la gouache, par lui-même, sur une toile extrêmement fine[54]. Les lumières étaient obtenues au moyen de la transparence de la toile, sans employer de blanc, et les ombres étaient faites à l’aquarelle. Cette œuvre parut admirable à Raphaël, qui envoya à Durer plusieurs dessins de sa main[55], ce qui fut très agréable à Durer. La tête de Durer est actuellement à Mantoue, entre les mains de Jules Romain héritier de Raphaël.

Ayant considéré la manière des estampes faites par Albert Durer, et désireux de montrer ce qu’il pouvait faire dans ce genre, il le fit étudier à Marc Antoine de Bologne, dont les progrès furent si rapides que bientôt il lui fit graver ses premières œuvres, telles que le Massacre des Innocents, la Cène, le Neptune et la sainte Cécile dans l’huile bouillante. Marc Antoine exécuta ensuite un certain nombre de gravures pour Raphaël, qui les remit à Baviera, un de ses compagnons. Celui-ci avait soin d’une femme que Raphaël aima jusqu’à la mort[56], et dont il fit un très beau portrait qui paraissait vivant ; ce portrait est aujourd’hui conservé à Florence, chez Matteo Botti, marchand florentin, et ami de tous les hommes de mérite, particulièrement des peintres.

Raphaël fit ensuite, pour le monastère des frères de Monte Oliveto, à Palerme, appelé Santa Maria dello Spasimo, un Portement de Croix que l’on regarde comme un chef-d’œuvre[57]. On y reconnaît l’impiété et la rage des bourreaux qui conduisent le Christ au Calvaire ; le Christ, agonisant de son supplice prochain, est tombé à terre, succombant sous le poids de la croix, et se retourne, baigné de sueur et de sang, vers les deux Maries qui pleurent amèrement. On y voit en outre Véronique qui tend les bras et lui présente un linge, avec un sentiment d’ardente charité. La composition est pleine de soldats à cheval et à pied qui débouchent de la porte de Jérusalem avec les étendards de la justice, dans des attitudes variées et admirables. Ce tableau terminé, mais non conduit à sa place, courut les plus grands risques, car le vaisseau qui devait le conduire à Palerme fut battu d’une violente tempête et s’ouvrit en donnant contre un écueil. Tout périt, hommes et marchandises, le tableau seul échappa au danger ; renfermé dans sa caisse, il fut porté par les flots sur la côte de Gênes, y fut repêché et tiré à terre. On trouva la peinture intacte : la fureur des vents et de la mer semblait avoir voulu respecter sa divine beauté. Le bruit de cet événement arriva à Palerme et les moines s’empressèrent de réclamer leur tableau ; mais il fallut l’intervention du pape pour le faire rendre au couvent qui récompensa largement ceux qui l’avaient sauvé. Rembarqué de nouveau et conduit en Sicile, il fut placé à Palerme, où il est plus renommé que le Mont de Vulcain.

Tandis que Raphaël travaillait à ces œuvres qu’il ne pouvait refuser de faire, car elles étaient demandées par des personnages d’importance et parce qu’il aurait compromis ses intérêts, il continuait néanmoins à poursuivre ses travaux, dans l’ordre qu’il les avait commencés au Vatican. Il employait continuellement des auxiliaires qui avançaient le travail d’après ses propres dessins, et il revoyait toujours ce qu’ils avaient fait, se servant ainsi des meilleurs aides qu’il pouvait trouver pour se soulager d’un pareil fardeau. Il ne tarda pas à livrer au public la chambre de la Tour Borgia, dans laquelle il avait peint un sujet sur chaque paroi : deux au-dessus des fenêtres et deux sur les grandes parois. L’un représente l’incendie du Borgo Vecchio, à Rome, ne pouvant être éteint, mais arrêté par le pape saint Léon IV, qui paraît à la loge pontificale du Vatican[58]; elle retrace diverses scènes de désolation. D’un côté, des femmes, apportant de l’eau dans des vases qu’elles tiennent dans leurs mains ou sur leurs têtes, ont leurs cheveux et leurs vêtements mis en grand désordre par un vent furieux ; d’autres personnages, qui cherchent à jeter de l’eau sur les flammes, sont aveuglés par la fumée qui les empêche de se reconnaître eux-mêmes. D’un autre côté, tel que Virgile décrit Enée portant Anchise, un vieillard infirme, mis hors de lui par sa maladie et la vue du feu, est enlevé par un jeune homme dans la figure duquel on reconnaît le courage, l’énergie et l’effort qu’il fait de tous ses membres pour résister au poids de ce corps qui s’abandonne sur lui ; une vieille femme, pieds nus et à moitié vêtue, le suit, fuyant le feu, avec un jeune enfant entièrement nu. Au sommet d’un mur en ruine une femme toute nue et les cheveux en désordre va jeter son enfant emmailloté dans les bras d’un homme échappé aux flammes et qui se dresse dans la rue sur la pointe des pieds, les bras étendus pour le recevoir. Le désir de sauver son fils et la souffrance causée par la chaleur ardente qui l’entoure se peignent énergiquement dans les traits de cette femme ; sur le visage du père, on voit la lutte du dévouement pour l’enfant avec la crainte de la mort. On ne saurait assez louer l’idée ingénieuse qu’a eue Raphaël de représenter une mère qui, les pieds nus, à peine vêtue, sans ceinture, les cheveux flottants et tenant une partie de ses habillements à la main, pousse ses fils devant elle en les frappant, pour les forcer à courir loin des flammes et des ruines : enfin quelques femmes agenouillées se tournent vers le saint pontife et le supplient de mettre fin à un si terrible incendie.

L’autre peinture[59] se rapporte également à Léon IV et représente le port d’Ostie occupé par une armée de Sarrazins venus pour s’en emparer. On voit les chrétiens se battre avec eux sur mer ; une quantité de prisonniers sont déjà venus au port et sortent habillés en galériens de certaines barques, sous l’escorte de soldats à la mine martiale qui les tirent par la barbe et les conduisent devant saint Léon, peint sous les traits de Léon X. Les deux autres peintures représentent le sacre de François Ier par Léon X[60] et le couronnement de ce monarque. Le roi et le pape, l’un couvert de ses armes et l’autre de ses habits pontificaux, ont été peints d’après nature, ainsi que la plupart des assistants. On ne saurait décrire tous les détails des œuvres de Raphaël, mais elles parlent d’elles-mêmes. Ainsi les soubassements de cette salle portent les images des défenseurs et des bienfaiteurs de l’Église[61], placés entre des termes. Comme la voûte de la salle avait été peinte par Pietro Perugino, Raphaël ne voulut pas la détruire, par reconnaissance et affection pour son ancien maître qui avait été le promoteur du haut rang qu’il tenait dans l’art.

La grandeur de cet homme était telle qu’il entretenait des dessinateurs dans toute l’Italie, à Pouzzoles et jusqu’en Grèce, afin de se procurer tout ce qui pouvait être utile à son art. Il peignit encore une salle du Vatican avec des figures faites en grisaille et représentant des apôtres et d’autres saints[62] dans des niches. Avec l’aide de Jean d’Udine, son élève, qui excellait à peindre les animaux, il représenta tous ceux qui se trouvaient dans la ménagerie du pape. Outre les grotesques et les pavements variés dont il embellit le palais, il donna aussi le dessin des escaliers et des nouvelles loges[63] commencées par Bramante et restées inachevées à la mort de celui-ci, pour lesquelles il fit un modèle en bois, avec un ordre plus grand et plus orné que celui de Bramante. Léon X voulant montrer la grandeur de sa magnificence et de sa générosité, Raphaël fit les dessins des stucs, des sujets qui y furent peints et des distributions[64]; quant aux stucs et aux grotesques, il en chargea Jean d’Udine et confia les figures à Jules Romain, quoique ce dernier s’en occupât peu. Ainsi Giovan Francesco, le Bologna, Ferino del Vaga, Pellegrino, Vincenzio da San Gimignano, Polidoro da Caravagio et beaucoup d’autres artistes travaillèrent aux sujets, aux figures et à tout ce qui était relatif à ce travail, que Raphaël voulut mener à fin avec une telle perfection qu’il appela Luca della Robbia de Florence[65] pour exécuter les carreaux du parquet. Certes, en ce qui concerne les peintures, les stucs, l’ordre et les compositions, on ne saurait faire ni imaginer œuvre plus belle. Aussi Raphaël fut-il chargé de la direction de tous les travaux de peinture et d’architecture que l’on faisait dans le palais. On raconte que sa bonté était telle que les maçons, pour qu’il pût obliger quelques-uns de ses amis, ne construisirent pas la muraille pleine et continue, mais laissèrent, au-dessus des anciennes chambres d’en bas, des vides et des ouvertures pour pouvoir y placer des tonnes, des conduits et des bois, et on se trouva forcé de remplir plus tard ces vides, qui affaiblissaient tellement le bas de l’édifice qu’il commençait à se crevasser de toutes parts. Il fit faire par Gian Barile, pour toutes les portes et les plafonds de bois, quantité de choses sculptées et terminées avec une grâce extrême.

Il donna des dessins d’architecture pour la Vigne du pape[66] et pour plusieurs maisons du Borgo, entre autres le palais de Messer Giovan Batista dall’Aquila, qui est une œuvre admirable[67]. Il en dessina encore unpour l’évêque de Troja, qui le fit exécutera Florence, dans la Via San Gallo[68]. Puis il peignit, pour les moines noirs de San Sisto, à Plaisance, le tableau du maître-autel représentant la Vierge entre saint Sixte et sainte Barbe, œuvre vraiment rare et admirable[69]. Pour la France, il fit plusieurs tableaux, et, particulièrement pour le roi, un saint Michel combattant avec le démon[70], que l’on regarde comme une chose merveilleuse. Il y a représenté une roche brûlée dans les entrailles de la terre, dont les crevasses laissent échapper des flammes sulfureuses qui jettent les teintes les plus variées sur les membres de Lucifer brûlant. Lucifer manifeste la rage et la fureur de son orgueil envenimé contre celui qui s’acharne sur l’ange privé du royaume de paix et condamné aux peines éternelles. Le contraire se voit dans saint Michel qui, revêtu d’une armure d’or et de fer, joint à son air céleste un caractère de force et de courage qui imprime la terreur, ayant jeté Lucifer à la renverse, à l’aide de sa lance. Cette œuvre est si remarquable qu’elle lui valut, de la part du roi, une honorable récompense. Il fit ensuite plusieurs portraits de femmes, entre autres ceux de sa maîtresse et de Béatrix de Ferrare[71]. Raphaël était d’un tempérament amoureux, très porté sur les femmes et empressé à les servir, ce qui fut cause que, se livrant à ses plaisirs, il rencontra chez ses amis plus d’indulgence et de complaisance peut-être qu’il ne convenait. Agostino Chigi, son ami intime, lui faisant peindre la première galerie de son palais[72], Raphaël ne pouvait se consacrer beaucoup à ce travail, à cause de l’amour qu’il portait à une femme. En sorte qu’Agostino se désespérait et que, par le moyen d’autrui et par d’autres expédients, il eut peine à obtenir enfin que cette femme vînt habiter chez lui, dans le lieu même où Raphaël travaillait ; grâce à cet arrangement, l’ouvrage parvint à sa fin. Il y fit tous les cartons et peignit lui-même plusieurs figures à fresque. Sur la voûte, il représenta l’Assemblée des dieux ; on y remarque nombre de formes et de draperies inspirées de l’antique et rendues avec un dessin et une grâce admirables. Il peignit aussi les Noces de Psyché, avec les serviteurs de Jupiter et les Grâces qui répandent des fleurs sur la table. Sur les pendentifs de la voûte, il figura plusieurs sujets, entre autres Mercure qui, en volant, paraît descendre du ciel, Jupiter embrassant Ganymède avec une gravité céleste, le char de Vénus, Psyché transportée dans l’Olympe par Mercure et les Grâces. Dans les lunettes des arcs qui font le tour du portique, on voit des Amours en raccourci, volant et portant les armes et les attributs des dieux, la foudre et les éclairs de Jupiter, les casques, les épées et les targes de Mars, les marteaux de Vulcain, la massue et la peau de lion d’Hercule, le caducée de Mercure, la cornemuse de Pan, les râteaux agrestes de Vertumne : tous ces enfants sont accompagnés d’animaux dont le caractère est en rapport avec les attributs qu’ils portent, peinture et poésie vraiment admirables. Il fit faire par Jean d’Udine un entourage aux sujets avec des assemblages de fleurs, de feuillage et de fruits en festons qui ne sauraient être plus beaux. Raphaël donna encore le dessin des écuries des Chigi et d’une chapelle qui appartenait à Agostino, dans l’église de Santa Maria del Popolo, dans laquelle, outre les peintures[73], on éleva un magnifique tombeau. Il fit faire à Lorenzetto, sculpteur florentin, deux statues qui sont encore dans son atelier, au Macello de Corbi à Rome[74]. Cet ouvrage échut à Sebastiano de Venise, après la mort de Raphaël et celle d’Agostino[75].

Raphaël était alors parvenu à un tel point de grandeur que Léon X voulut qu’il commençât la grande salle supérieure du Vatican, où se trouvent les victoires de Constantin[76]; il s’y mit aussitôt. Le pape désira pareillement faire tisser de riches tapisseries d’or et de soie de haute lisse, pour lesquelles Raphaël dessina et coloria lui-même tous les cartons, en même grandeur. On les envoya en Flandre et les tapisseries furent transportées à Rome aussitôt leur achèvement. Cette œuvre fut si admirablement exécutée qu’elle excite l’admiration à la regarder et à penser qu’on soit arrivé à rendre, avec de simples fils, tous les détails des cheveux et de la barbe, toute la souplesse des chairs, et ces eaux, ces bâtiments, ces animaux que l’on ne croit pas tissés, mais peints au pinceau. Ces tapisseries coûtèrent 70.000 écus, et sont conservées dans la chapelle du pape[77].

Raphaël peignit sur toile, pour le cardinal Colonna, un saint Jean[78] qui est actuellement à Florence, chez Messer Francesco Benintendi. Il fit ensuite, pour le cardinal Jules de Médicis[79], vice chancelier, la Transfiguration du Christ[80] qui devait être envoyée en France ; il poussa à la dernière perfection ce tableau auquel il travaillait sans relâche. On y voit le Christ transfiguré sur le mont Thabor au pied duquel les onze Apôtres attendent son retour ; un jeune possédé leur est amené, afin que le Christ le délivre, lorsqu’il sera descendu. Agité par des convulsions violentes, l’enfant se jette en arrière, en poussant des cris et en roulant des yeux hagards ; il montre sa souffrance par sa chair, ses veines et son souffle qui dénotent la présence de l’esprit malin, et tout pâle il fait ce geste de frayeur. Un vieillard le soutient, qui le tient embrassé et assure son courage, les yeux grands ouverts et pleins de lumière. Ses sourcils relevés et son front plissé indiquent à la fois la résolution et la frayeur ; en même temps, regardant fixement les Apôtres, il semble mettre son espérance en eux et reprendre courage. Une femme, la principale figure de ce tableau, à genoux devant les disciples, se tourne vers eux, et, indiquant du bras le possédé, appelle leur attention surson malheureux état ; les Apôtres, les uns debout, les autres assis ou agenouillés, témoignent la plus vive compassion. À la vérité, il y a dans cette peinture des figures si belles et des têtes d’un style et d’un caractère si neuf et si varié, qu’elle a été regardée avec raison par tous les artistes comme l’ouvrage le plus célèbre, le plus beau et le plus divin qu’ait produit Raphaël. Que celui qui veut représenter le Sauveur resplendissant de l’éclat de sa divinité, aille le contempler dans cette œuvre ; il est sur la montagne, un peu réduit dans cette atmosphère lumineuse, entre Moïse et Elie, qui, illuminés, paraissent vivants dans sa clarté. Pierre, Jacques et Jean sont prosternés dans des attitudes belles et variées ; l’un se jette la face contre terre, un autre porte sa main devant ses yeux, comme pour se garantir des rayons et de la lumière intense qui émanent de la splendeur du Christ. Vêtu d’une robe plus blanche que la neige, les bras ouverts et la tête levée, il semble manifester l’Essence et la Divinité des trois personnes strictement réunies dans la perfection de l’art de Raphaël. Il semble s’être efforcé de mettre tout son génie à montrer la grandeur et la puissance de l’art dans la tête du Christ, après laquelle, une fois terminée, comme dernière chose restant à faire, il ne toucha plus à ses pinceaux, ayant été frappé par la mort.

Après avoir décrit les œuvres de cet artiste excellent, et avant de raconter les autres particularités de sa vie et de sa mort, il me semble utile, dans l’intérêt de nos artistes, de parler quelque peu de sa manière. Ayant dans sa jeunesse imité celle de Pietro Perugino, son maître, et l’ayant améliorée dans le dessin, la couleur et l’invention, il crut avoir fait beaucoup, mais il reconnut ensuite, dans un âge plus avancé, qu’il était encore bien loin du vrai. En voyant les peintures de Léonard de Vinci, qui n’eut pas d’égal pour ses têtes d’hommes et de femmes, et qui, pour la grâce des figures et des mouvements, surpassa tous les autres artistes, il resta émerveillé ; et comme la manière de Léonard lui plut infiniment plus qu’aucune autre qu’il ait vue, il se mit à l’étudier. Peu à peu, et à grand’peine, il abandonna la manière de Pietro, et chercha à imiter, autant qu’il sut et put le faire, celle du Vinci ; mais malgré ses efforts et son application, il ne put jamais le surpasser dans quelques difficultés. Bien qu’il paraisse à quelques-uns l’emporter de beaucoup en moelleux et dans une certaine facilité naturelle, par contre il ne lui fut point supérieur dans ce que j’appellerai une puissance terrible de composition et dans la grandeur de l’art, où peu d’artistes se sont élevés à la hauteur de Léonard. Tout ce que l’on peut dire, c’est que Raphaël est de tous celui qui s’en est le plus rapproché, particulièrement par la grâce du coloris. La manière qu’il prit de Pietro, quand il était jeune, fut longtemps une grande gêne et un embarras pour lui, d’autant plus qu’il l’avait saisie avec facilité, car elle était maigre, sèche et pauvre de dessin. Aussi, ne parvenant pas à s’en défaire, eut-il beaucoup de difficulté à comprendre la beauté des nus et à triompher des difficultés des raccourcis, d’après le carton que fit Michel-Ange pour la salle du Conseil, à Florence. Tout autre qui eût manqué de courage, croyant jusqu’alors avoir perdu son temps, n’aurait jamais tenté ce que fit Raphaël, quelle que fût la grandeur de son esprit. S’étant dégagé de la manière de Pietro pour apprendre celle de Michel-Ange, pleine de difficultés dans toutes ses parties, de maître il devint pour ainsi dire nouveau disciple, et il s’efforça, avec une ardeur incroyable, de faire, étant déjà un homme, et en peu de mois, des études pour lesquelles il aurait eu besoin de longues années, et d’être encore à l’âge tendre où l’on apprend facilement toute chose. Lorsqu’il voulut changer et améliorer son style, il ne s’était pas encore adonné à l’étude du nu, avec cette application qui est indispensable, et il s’était borné seulement à le dessiner d’après le modèle, dans la manière de Pietro, son maître, en y ajoutant cette grâce qu’il tenait de nature. Il s’attacha donc à étudier le nu, à comparer les muscles des pièces d’anatomie et des écorchés aux sujets vivants, qui ne paraissent pas constitués de la même façon, quand ils sont sous la peau, que lorsqu’ils sont à découvert. Voyant ensuite de quelle manière ils sont recouverts de chair, et moelleux, étant en place, se rendant compte comment, en modifiant les points de vue, on arrive à d’agréables raccourcis, constatant les effets du gonflement, de l’abaissement ou de l’élèvement d’un membre, ou de toute la personne, en outre examinant l’enchaînement des os, des nerfs et des veines, il devint excellent dans toutes les parties qui sont nécessaires à un grand peintre. Mais reconnaissant qu’à l’égard de la science anatomique il ne pouvait arriver à la perfection de Michel-Ange, en homme de grand jugement, il considéra que la peinture ne consiste pas seulement dans la représentation du nu, qu’elle a un champ plus large, et que parmi les plus grands peintres on peut compter ceux qui savent rendre avec intelligence et facilité les inventions de leurs sujets et tous leurs caprices ; il se convainquit que ceux qui, dans la composition de leurs sujets, savent ne pas les rendre confus par l’excès, ni pauvres par la sobriété, mais bien les approprier avec une belle invention et une sage ordonnance, peuvent être appelés des artistes pleins de talent et de jugement. Après y avoir longuement pensé, il s’appliqua à réunir dans ses peintures la variété et l’originalité des perspectives, des édifices et des paysages, l’élégante manière de draper les figures, leur disposition, tantôt allant en se perdant dans les ombres, tantôt venant plus avant dans les parties éclairées, la beauté et la vivacité des têtes chez les femmes, les enfants, les jeunes gens et les vieillards, enfin à leur donner, selon le besoin, le mouvement et l’énergie nécessaires. Il sentit encore combien est important l’art de peindre avec vérité la fuite des chevaux dans les batailles et la férocité des soldats, de savoir rendre toutes sortes d’animaux, et surtout de peindre les portraits si ressemblants qu’ils paraissent vivants et que l’on puisse reconnaître pour qui ils sont faits. Il étudia avec soin comment sont faits les vêtements, les chaussures, les armures, les coiffures de femme, les cheveux, les barbes, les vases, les arbres, les cavernes, les rochers, les feux, l’air troublé ou calme, les nuages, les pluies, la foudre, le temps serein, la nuit, les clairs de lune, les effets de soleil et beaucoup d’autres choses dont on a constamment besoin dans l’art de la peinture. D’après toutes ces considérations, Raphaël, ne pouvant égaler Michel-Ange dans la partie qu’il avait entreprise, résolut de chercher à l’égaler et peut-être à le surpasser autre part. Il se mit donc, non pas à imiter la manière de celui-ci, pour ne pas perdre inutilement son temps, mais à travailler de façon à devenir parfait dans les autres parties que nous avons énumérées. Si l’on avait vu agir ainsi quantité d’artistes de notre époque, qui, pour n’avoir voulu s’inspirer que des œuvres de Michel-Ange, ne sont pas arrivés à l’imiter, ni à atteindre à tant de perfection, ils n’auraient pas peiné en vain, ni produit cette manière si dure, toute pleine de difiBcultés, sans charme, sans coloris et pauvre d’invention que nous voyons à présent. Ils auraient pu, au contraire, en cherchant à être universels et à imiter ses autres qualités, être de la plus grande utilité au monde autant qu’à eux-mêmes. Ayant reconnu que Fra Bartolommeo de San Marco avait un bon procédé de peinture, un dessin correct et une couleur agréable, quoiqu’il employât quelquefois trop de teintes obscures pour donner un plus grand relief à ses figures, il lui emprunta tout ce qui lui parut pouvoir lui servir et être conforme à ses idées, c’est à dire une manière mixte tant pour le dessin que pour le coloris ; en y mêlant des qualités puisées dans les belles œuvres d’autres maîtres, de plusieurs manières, il s’en créa une que l’on considéra ensuite toujours comme étant la sienne propre et qui a été et qui sera toujours infiniment admirée de tous les artistes. Cette manière se montre parfaite dans les Sibylles et les Prophètes de la fresque qu’il fit dans l’église della Pace, pour l’exécution de laquelle il tira un grand profit d’avoir vu les peintures de Michel-Ange dans la chapelle du pape. S’il avait su s’arrêter à cette manière et n’eût pas cherché à l’agrandir et à la varier, pour montrer qu’il entendait les nus aussi bien que Michel-Ange, il ne se serait pas privé d’une partie de sa renommée, car les nus qu’il exécuta dans la chambre de la Tour Borgia où se trouve l’incendie du Borgo, quoique bons, ne sont pas parfaits en tout point. On ne peut pas non plus être satisfait de ceux qu’il fit sur la voûte du palais d’Agostino Chigi, dans le Transtevère, qui manquent de cette grâce et de cette douceur qui lui étaient propres ; ce qui fut en grande partie causé parce qu’il faisait exécuter les peintures par ses élèves d’après ses dessins, erreur qu’il reconnut en homme sensé, car il voulut travailler seul et sans l’aide d’aucun autre à son tableau de la Transfiguration [actuellement à San Pietro a Montorio], où l’on trouve réunies toutes les qualités que doit présenter une bonne peinture. Si dans cette œuvre, comme par caprice, il n’avait employé le noir de fumée des imprimeurs, qui, de sa nature, devient tous les jours plus obscur et altère les couleurs auxquelles il est mêlé, je crois que cette œuvre serait encore aussi fraîche que lorsqu’il l’exécuta, tandis qu’aujourd’hui elle a beaucoup trop poussé au noir.

Après nous être ainsi étendu sur ces questions de l’art, plus peut-être qu’il n’était nécessaire, pour en revenir à la vie et à la mort de Raphaël, je dis qu’ayant contracté une intime amitié avec Bernardo Divizio, cardinal de Bibbiena, celui-ci le tourmentait depuis plusieurs années pour le marier. Raphaël, sans avoir jamais expressément repoussé les propositions du cardinal, avait gagné du temps, en disant qu’il voulait attendre trois ou quatre ans, avant de se décider. Ce terme arrivé, au moment où il s’y attendait le moins, le cardinal lui rappela sa promesse, et Raphaël, se voyant lié, en galant homme, ne voulut pas manquer à sa parole, et consentit à épouser la propre nièce du cardinal[81]. Comme il fut toujours peu désireux de subir cette chaîne, il en différait l’accomplissement, de sorte’que plusieurs mois se passèrent sans que le mariage eût lieu. Ce n’était pas sans un motif honorable qu’il agissait ainsi ; après avoir servi pendant tant d’années la cour pontificale, il était créancier du pape Léon pour une forte somme et on lui avait donné à entendre qu’aussitôt qu’il aurait terminé les peintures de la salle auxquelles il travaillait, le pape lui donnerait un chapeau de cardinal, en récompense de ses peines, et pour honorer son mérite. Léon X, en effet, projetait une promotion nombreuse, et, parmi les candidats, certes plus d’un avait moins de mérite que Raphaël.

Celui-ci, pendant ce temps, continuait à se livrer, en secret et sans mesure, aux plaisirs de l’amour, et il arriva, une fois entre autres, qu’il abusa de ses forces ; étant retourné chez lui avec une fièvre ardente, les médecins crurent qu’il s’était refroidi[82]. Mais lui ne voulant pas avouer le désordre auquel il s’était livré, les médecins le saignèrent imprudemment, en sorte qu’il s’affaiblit encore davantage, alors qu’il avait besoin de réparer ses forces. Il fit donc son testament, et tout d’abord, en bon chrétien, renvoya de chez lui sa maîtresse, en lui laissant de quoi vivre honnêtement. Il partagea ensuite sa fortune entre deux de ses élèves, Jules Romain, qu’il aima toujours beaucoup, Giovan Francesco de Florence, surnommé Il Fattore, et je ne sais quel prêtre d’Urbin, son parent. Il ordonna de restaurer de ses deniers, dans l’église de Santa Maria Ritonda[83], une des chapelles, qu’il choisit pour sa sépulture et repos éternel, et d’y élever un autel avec une statue en marbre de la Vierge ; il institua son exécuteur testamentaire Messer Baldassare da Pescia, qui était alors dataire du pape. Enfin, après l’aveu de ses fautes et ayant reçu l’absolution, il termina ses jours[84] à l’âge de trente-sept ans, le même jour que celui de sa naissance qui fut le vendredi-saint ; il est à croire que son âme a orné le ciel, comme son génie a embelli le monde. Raphaël mort fut exposé dans la salle même où il travaillait ; derrière sa tête se trouvait le tableau de la Transfiguration, qu’il avait terminé pour le cardinal de Médicis ; le rapprochement de cette image en quelque sorte vivante et du corps inanimé causait une douleur poignante à tous les assistants. Ce tableau fut placé ensuite par le cardinal au maître-autel de San Pietro in Montorio. Les obsèques de Raphaël furent célébrées avec tous les honneurs dus à son noble génie : il n’y eut pas d’artistes qui ne pleurât de douleur et ne tint à l’accompagner jusqu’à sa dernière demeure. Cette mort accabla également toute la cour du pape, parmi laquelle Raphaël avait tenu un office de cubiculaire ; il était si cher au pape que sa mort le fit pleurer amèrement. O heureuse, ô bienheureuse âme, comme chacun se plaît à parler de toi, à célébrer tout ce que tu fis, à admirer tout ce que tu as laissé ! La peinture, elle aussi, pouvait bien mourir, quand mourut ce noble ouvrier, car, en lui fermant les yeux, elle demeura comme aveuglée. Maintenant, c’est à nous, à nous qui restons après lui, d’imiter la bonne, que dis-je ! l’excellente manière dont il nous a laissé l’exemple ; c’est à nous, comme sa vertu le mérite et comme l’exige notre gratitude, de conserver dans l’âme son aimable souvenir et de tenir toujours sur nos lèvres sa mémoire hautement honorée ! Car, en vérité, c’est par lui que nous avons la science, la couleur, l’invention poussées ensemble à cette perfection féconde qu’on pouvait à peine espérer ; quant à le dépasser jamais, qu’aucun génie n’y pense ! Et ce bienfait n’est pas le seul qui lui ait mérité notre reconnaissance. Il ne cessa, tant qu’il vécut de nous offrir le meilleur exemple à suivre dans nos rapports avec nos égaux et avec ceux qui sont placés au-dessus et au-dessous de nous. Parmi ses qualités si rares, j’en trouve une qui m’étonne : le ciel lui donna le pouvoir de se comporter d’une manière tout à fait différente de la nôtre, à nous autres peintres. Tous les artistes qui travaillaient en commun, sous la direction de Raphaël, quel que fût leur degré de talent, étaient unis dans une telle concorde que toutes les mauvaises pensées s’évanouissaient à sa vue, et que cette union n’exista jamais que de son temps. Et cela provenait de ce qu’ils sentaient la supériorité de son caractère affable et de son talent, mais surtout à cause de sa bonne nature pleine de gentillesse et si débordante de charité que les hommes, les animaux mêmes l’affectionnaient. Si un peintre, même de ceux qui lui étaient inconnus, lui demandait un dessin, il laissait de côté ses propres ouvrages pour venir à son aide. Il eut constamment de nombreux élèves qu’il aidait et dirigeait avec un amour quasi-paternel. Aussi n’allait-il pas à la cour sans être accompagné d’une cinquantaine de peintres, tous hommes bons et vaillants, qui lui faisaient escorte pour l’honorer. En somme, il vécut non en peintre mais en prince. O peinture, art divin, tu pouvais t’estimer heureuse, possédant un maître dont le talent et les grâces aimables l’élevaient jusqu’au ciel ! Oui, tu pouvais te dire vraiment heureuse, car tes disciples, en marchant dans ses traces, s’inspiraient du grand exemple d’un homme qui, par la puissance de son génie et ses qualités attirantes, arriva à séduire la grande âme de Jules II et à s’acquérir la libéralité de Léon X. Heureux encore celui qui, guidé par ses leçons, put s’exercer sous ses yeux à la pratique de l’art, car, selon moi, quiconque a suivi ses traces est arrivé à bon port. Enfin, ceux qui l’imiteront dans ses travaux seront honorés dans ce monde, et ceux qui l’imiteront dans ses excellentes mœurs seront récompensés par le ciel.


  1. Le 6 avril 1483. Sa mère s’appelait Magia di Gio. Battista Ciarla, et mourut en 1491. Giovanni se remaria et mourut en 1494.
  2. Ce tableau, peint vers 1502, est actuellement dans la Galerie du Vatican. La prédelle, séparée du tableau, est également dans cette Galerie.
  3. Couronnement de saint Nicolas de Tolentino ; tableau perdu.
  4. Actuellement à Londres, collection Dudley, signé : RAPHAEL. VRBINAS. P.
  5. Actuellement au Musée de Brera, à Milan, signé : RAPHAEL. VRBINAS. MDIII. C’est la copie d’un tableau que Perugino peignit en 1495, pour le Dôme de Pérouse, et qui est actuellement au Musée de Caen.
  6. Non pas Pie II, mais le cardinal Francesco Piccolomini, qui fut plus tard pape sous le nom de Pie III.
  7. Le 29 juin 1502.
  8. En 1504, d’après une lettre de Giovanna, femme de Giovanni della Rovere, préfet de Rome, en date du 1er octobre 1604, dans laquelle elle recommande Raphaël à Piero Sederini, gonfalonier de Florence.
  9. La Madone du jardin, au Musée de Vienne, datée MDVI, et la Madone d’Orléans, actuellement dans la collection Bridgewater, à Londres.
  10. La Madone du Chardonneret, aux Offices.
  11. Le 12 novembre 1547.
  12. Ils étaient morts bien avant.
  13. De 1495 à 1498.
  14. Une est actuellement à l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg, et l’autre à Chantilly.
  15. Collection Woodburn, à Londres, actuellement à la Galerie Nationale, à Londres ; copie de l’original perdu.
  16. Actuellement à la Galerie Nationale de Londres, datée MDV.
  17. Existe encore, au-dessus de la fresque de Perugino.
  18. RAPHAEL DE URBINO, etc… PINXIT A. D. MDV.
  19. Appartenait au duc de Ripalda, acheté en 1902 par M. Pierpont Morgan.
  20. Actuellement dispersées dans différentes collections, en Angleterre.
  21. Tous deux au Palais Pitti.
  22. Actuellement à la Pinacothèque de Munich.
  23. Galerie Borghése, à Rome ; signée : RAPHAEL. VRBINAS. PINXIT. MDVII. La prédelle, renfermant les figures de la Foi, de l’Espérance et de la Charité, est à la Pinacothèque du Vatican.
  24. Madone du Baldaquin, au palais Pitti.
  25. La belle Jardinière, au Musée du Louvre, signée : RAPHAELLO VRB. MDVIII. sur la bordure de la robe.
  26. Vers 1508.
  27. Sa première fresque est la Dispute du Saint-Sacrement. La description faite par Vasari d’une manière très confuse est un mélange de cette fresque et de celle de l’École d’Athènes.
  28. Musicien et poète peu connu qui avait débuté par la médecine. Mort en 1537.
  29. Grégoire IX.
  30. Actuellement aux Offices.
  31. Madone de Lorette, original perdu.
  32. Existe encore ; fini en 1512.
  33. Ou la Farnésine, construite de 1509 à 1510.
  34. Existe encore, mais en mauvais état ; peinte vers 1514.
  35. Existent encore. Les Sibylles seules sont de la main de Raphaël ; Timo teo Vitt fit les Prophètes sur les dessins de Raphaël.
  36. Madone de Foligno, à a Pinacothèque du Vatican, peinte pour Sigismond Conti.
  37. Arrivé en 1264, sous le pontificat d’Urbain IV. — Peint en 1512. Raphaël commença la décoration de cette salle par la voûte, puis il fit la fresque d’HiiioJore et ensuite la Messe de Bolsène.
  38. Raffaello Riario.
  39. Peinte en 1514.
  40. Entre autres Marc Antoine et Jules Romain. Peinture faite en 1512.
  41. Mort le 20 février 1513.
  42. Le 11 mais 1513.
  43. Erreur de Vasari ; lire saint Léon Ier. Cette rencontre eut lieu dans le pays mantouan, près du Mincio.
  44. Madone du Poisson, au Musée du Prado, à Madrid.
  45. Actuellement au Musée de Naples.
  46. Actuellement à la Pinacothèque de Bologne.
  47. Actuellement au palais Pitti.
  48. Madone de la Perle, au Musée du Prado, à Madrid.
  49. Actuellement à la Pinacothèque de Munich.
  50. Madone dell’Impannata, au palais Pitti. Au lieu de sainte Anne, lire sainte Elisabeth.
  51. Actuellement au Palais Pitti.
  52. Ces portraits sont perdus.
  53. Ce palais n’existe plus.
  54. Ce portrait est perdu.
  55. Il y en a un, à la collection Albertine de Vienne, avec une inscription de Durer, datée 1515.
  56. Elle s’appelait Margherita. Ce portrait est peut-être celui de la tribune, aux Offices ; il y en a un autre dans la Galerie Barberini, à Rome, signé : RAPHAEL VRBINAS. Les attributions sont d’ailleurs douteuses.
  57. Actuellement au Musée du Prado, à Madrid.
  58. C’est la dernière fresque entièrement peinte de sa main.
  59. Faite par les élèves de Raphaël.
  60. Celui de Charlemagne par Léon III. Peint en 1517 par ses élèves. On y voit effectivement les portraits de François Ier et de Léon X. L’autre fresque représente la Justification de Léon III.
  61. Repeints par Carlo Maratta
  62. Détruits sous Paul IV.
  63. Loges de la Cour San Damase.
  64. Cinquante-deux sujets de l’Ancien et du Nouveau Testament, appelés la Bible de Raphaël.
  65. Luca d’Andrea, petit-fils de Luca l’Ancien.
  66. Villa Madama, actuellement en ruines.
  67. N'existe plus.
  68. Palais Pandolfini.
  69. Madone de saint Sixte, au Musée de Dresde.
  70. Au Musée du Louvre, signé : RAPHAEL. VERBINAS. PINGEBAT. MDXVIII.
  71. Portrait inconnu, peut-être d’une courtisane de Rome.
  72. De la Farnésine. L’histoire de Psyché fut peinte par les élèves de Raphaël, sur ses dessins.
  73. Les dessins de Raphaël furent exécutés en mosaïque.
  74. Les deux statues de Lorenzo Lotto (un Élie et un Jonas), vraisemblablement sculptés d’après un modèle de Raphaël, sont en place dans la chapelle Chigi.
  75. Survenue le 10 avril 1520.
  76. Peintures de ses élèves, particulièrement Jules Romain et Francesco Penni.
  77. Au nombre de dix, actuellement au Vatican. Les cartons sont au Musée de South Kensington à Londres.
  78. Aux Offices.
  79. Qui fut pape sous le nom de Clément VII.
  80. Peinte pour la cathédrale de Narbonne, actuellement à la Pinacothèque du Vatican. La partie supérieure est seule de Raphaël ; le bas a été terminé par Jules Romain.
  81. Marie Bibbiena, morte avant Raphaël.
  82. Il mourut probablement d’une fièvre paludéenne. Lettre d’Alf. Pauluzzi au duc Alphonse d’Esté, Rome, 7 avril 1520 : Raph. da Urbino e morto di una febre continuo et acuta, che già octo giorni l’assalto. Il fut malade quinze jours.
  83. Autrement dit le Panthéon d’Agrippa.
  84. Le 6 avril 1520. Après la mort de Bramante, Léon X, par bref du 1er août 1515, l'avait nommé architecte et surintendant de Saint-Pierre, aux appointements de 300 scudi d'or par an.