Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/arch6

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 44-45).
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De l'architecture : chapitre VI

Chapitre VI. — De la manière de faire des pavements en carreaux assemblés.

Toutes les choses qu’on a pu trouver, les Anciens les ont trouvées bien qu’avec difficulté et en tout genre, ou bien ils se sont efforcés de les trouver ; je veux parler de toutes les choses qui puissent présenter à la vue des hommes beauté et variété. Ils trouvèrent donc, entre autres belles choses, les pavements de pierres diverses, mélangées de porphyre, de serpentine et de granit, en morceaux ronds, carrés ou d’autres forme, ce qui leur fit croire qu’ils pourraient composer des frises, des feuillages, des figures et d’autres motifs de dessin. Pour pouvoir mieux étudier ce travail ils taillèrent des marbres, de manière que les morceaux étant plus petits pussent être placés droit, en rond ou de travers, selon que cela leur convenait mieux. En rassemblant ainsi ces morceaux, ils en firent une sorte de mosaïque, et s’en servirent beaucoup dans les pavements de leurs édifices, comme nous le voyons encore maintenant dans les Thermes de Caracalla, à Rome, et dans d’autres lieux. Les mosaïques qu’on y voit sont faites de petits carrés de marbre et représentent des feuillages, des masques et d’autres fantaisies. Le fond est composé de carreaux de marbre blanc et de petits carreaux de marbre noir. Voici quel était le procédé employé : on disposait d’abord une couche de stuc frais, composé de chaux et de marbre, suffisamment épais pour tenir les morceaux fortement assemblés, ceux-ci devant être aplanis à la surface libre quand l’ensemble aurait bien pris. Le stuc, en effet, prenait admirablement en séchant, et l’œuvre acquérait un aspect émaillé merveilleux que ni le frottement des pieds ni l’eau ne pouvaient altérer. Ces pavements étant venus en grande estime, les esprits des Anciens se mirent à viser plus haut, car il est toujours facile d’ajouter quelque chose de bon à une invention déjà trouvée. Ils firent alors des mosaïques de marbres plus fins, et en composèrent des pavements pour des étuves et des salles de bains. Ils les travaillaient avec une grande adresse et y mettaient beaucoup de soin, y représentant des poissons variés et imitant la peinture avec toutes sortes de couleurs qui y étaient aptes, avec plusieurs espèces de marbres, et en y mélangeant des petits morceaux taillés d’os de poisson dont le grain est brillant. Ils faisaient ainsi des pavements de couleurs vives qui le paraissaient encore plus, à travers l’eau qui les couvrait, pourvu qu’elle fût limpide. On en voit un exemple dans le Parion, à Rome, qui appartient à Messer Egidio et à Fabio Sasso. Ce genre de peinture leur paraissait devoir résister à l’eau, au vent et au soleil, à cause de sa dureté, et comme ils pensaient qu’une pareille œuvre ferait plus d’effet de loin que de près, parce que de loin on ne devait pas apercevoir la fragmentation de la mosaïque, visible de près, ils s’en servirent pour orner des voûtes et des parois de murs, où elle se trouvait dans la condition voulue. Pour que cette œuvre fut brillante et pût résister à l’humidité, ils imaginèrent de la faire en mosaïque de verre et ils l’exécutèrent ainsi. L’œuvre étant belle à voir, ils en ornèrent leurs temples et d’autres édifices, comme nous voyons encore actuellement à Rome le temple de Bacchus et d’autres. Ces mosaïques, dérivant de celles de marbre, s’appellent aujourd’hui mosaïques de verre. On a passé ensuite à celles en coquilles d’œuf et enfin un nouveau mode de traiter les figures et les sujets en clairobscur, avec des morceaux assemblés qui simulent la peinture. Nous en parlerons en son temps, dans les chapitres de la peinture.