Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/peint15

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 85-87).
De la peinture : chapitre XV

Chapitre XV. — De la mosaïque de verre ; à quoi l’on reconnaît celle qui est bien exécutée et estimée.


Comme nous avons longuement parlé antérieurement, dans le sixième chapitre de l’Architecture, de la mosaïque, indiqué ce que c’est, et comment on la fait, nous continuerons en nous occupant maintenant de ce qui relève plus particulièrement de la peinture. C’est un art vraiment magistral de pouvoir tenir les morceaux rassemblés avec tant d’union que la mosaïque paraisse de loin être une peinture remarquablement belle. Ce genre de travail demande de la pratique et un grand jugement, ainsi qu’une profonde intelligence de l’art du dessin. Qui perd de vue dans les dessins le sens de la mosaïque, en accumulant dans les compositions une abondance de figures et en exagérant la fragmentation des morceaux, amène de la confusion. Il faut que le dessin des cartons que l’on fait en prévision du travail soit franc, large, facile et clair ; il doit avoir de l’ensemble, dans une belle et bonne manière. Celui qui saura rendre dans son dessin la puissance des ombres portées, qui leur donnera peu de lumières et beaucoup de teintes foncées, avec de grands espaces et des fonds, celui-là, plus que tout autre, fera une mosaïque qui sera belle et bien ordonnée. La mosaïque demande beaucoup de clarté en soi, avec une certaine obscurité fondue dans les ombres ; il faut la composer avec une discrétion extrême, en éloignant le point de vue, afin qu’elle paraisse être une peinture, et non pas de la marqueterie de morceaux assemblés. Aussi celles qui rempliront ces conditions seront-elles bonnes et louées de tous. Certes c’est le genre de peinture le plus durable qui soit. Tous les autres disparaissent avec le temps, tandis que celui-ci gagne continuellement une fois en place. En outre, la peinture s’affaiblit et se détruit d’elle-même ; la mosaïque, au contraire, pour sa durée indéfinie, peut être appelée éternelle. C’est pourquoi nous pouvons reconnaître, en elle, non seulement la perfection des vieux maîtres, mais encore celle des Anciens, grâce aux œuvres qui subsistent de leur temps, entre autres, dans le temple de Bacchus, à Sainte-Agnès, hors de Rome, où toutes les mosaïques qu’on y a faites ont été admirablement exécutées. Pareillement, à Ravenne, il y a du travail ancien, admirable en plusieurs endroits ; de même à Saint-Marc de Venise, au dôme de Pise, et à San Giovanni de Florence, dans la tribune. La plus belle mosaïque de toutes est celle que Giotto posa dans la nef du portique de Saint-Pierre à Rome, parce que c’est une œuvre vraiment miraculeuse dans ce genre. Citons encore parmi les travaux modernes la mosaïque de Domenico del Ghirlandaio, au-dessus de la porte extérieure de Santa Maria del Fiore, qui est du côté de l’Annunziata.

On prépare les morceaux destinés à composer la mosaïque de la manière suivante : quand les fourneaux des verres sont prêts, et les coupelles pleines de verre, on y met les couleurs, en affectant une coupelle à chaque couleur. Il faut avoir soin toujours de partir du blanc pur qui a du corps et n’est pas transparent, et de graduer les teintes foncées de la même manière que l’on prépare la palette des couleurs, dans la peinture ordinaire. Ensuite quand le verre est fondu et bien liquide, quand les teintes sont prêtes, les claires, les foncées et autres, on prend le verre chaud avec de longues cuillères de fer, on l’étend sur une plaque de marbre, et on l’aplatit avec une autre plaque de marbre. On en fait ainsi des rondelles qui soient bien plates, et qui soient hautes le huitième de la longueur du doigt. On le coupe ensuite avec une bédane de fer en petits blocs carrés, on les fend au fer chaud en leur donnant les angles que Ion veut. Ces mêmes morceaux sont coupés et taillés à l’émeri. On opère ainsi avec tous les verres dont on a besoin, et on remplit les boîtes, les ordonnant comme on fait avec les couleurs, quand on veut peindre à fresque. Des boîtes séparées contiennent les teintes plus claires et celles plus foncées. Une autre espèce de verre s’emploie pour le fond, et pour les parties des vêtements éclairées où l’on veut mettre de l’or. Quand on veut dorer ce verre, on prend de ces rondelles dont nous avons parlé, et l’on en recouvre la surface de gomme fondue, puis on y appose de l’or en feuilles. On met ensuite la rondelle sur une pelle de fer, et on l’introduit dans la bouche du fourneau, après avoir recouvert d’un verre mince toute la rondelle de verre sur laquelle on a mis de l’or. Ces couvercles ont la forme de boules ou de fragments de bouteilles, de manière à recouvrir entièrement la rondelle. Le verre est tenu au feu, jusqu’à ce qu’il devienne à peu près rouge, et si on le retire subitement, l’or vient à prendre, et à rester fixé sur le verre, de manière qu’il résiste à l’eau et à toute intempérie. On le taille ensuite et on le prépare, comme il a été dit ci-dessus. Pour fixer la mosaïque au mur, on fait d’ordinaire un carton en couleur et quelques autres non coloriés. On décalque, et on marque ce carton morceau par morceau sur le stuc, et c’est d’après ces cartons qu’on assemble les petits cubes de verre qui doivent composer la mosaïque. Le stuc que l’on pose épais sur le mur peut attendre de deux à quatre jours suivant le temps qu’il fait ; il se compose de travertin, de chaux, de brique pilée, de gomme adragante et de blanc d’œuf ; on le maintient humide avec des linges mouillés. Ainsi donc, on applique les cartons morceau par morceau sur le mur, et l’on dessine sur le stuc, en les décalquant. Ensuite, avec de petites pinces, on prend les morceaux de verre, on les assemble en les imprimant dans le stuc ; on ménage les parties éclairées, en mettant des verres de teinte intermédiaire où il faut, des verres foncés aux parties foncées, en représentant les ombres, les lumières et les parties intermédiaires soigneusement, comme elles sont sur le carton. Ainsi, en travaillant avec application, on amène peu à peu l’ouvrage à perfection. Celui qui l’exécutera avec plus d’unité, de manière à ce qu’il soit soigné et bien plan, celui-là sera le plus digne d’éloges entre tous les artistes. De fait, il y a aujourd’hui des maîtres si habiles en mosaïques qu’ils les exécutent de manière qu’elles paraissent être des peintures à fresque. Après la prise, le verre tient si bien dans le stuc que la mosaïque dure indéfiniment, comme en font foi les mosaïques antiques qui sont à Rome, et celles que l’on doit à nos anciens maîtres. D’ailleurs, les artistes modernes ont fait également, de nos jours, des œuvres absolument merveilleuses.