Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/peint14
Chapitre XIV. — De la manière de mettre l’or au bol d’Arménie et au mordant ; de quelques autres procédés analogues.
Ce fut vraiment une découverte admirable et dérivant d’une
recherche subtile, d’avoir trouvé la manière de séparer l’or en feuilles si
minces que pour un millier de feuilles battues, grandes d’un huitième
de brasse en tous sens, l’artiste n’eut pas besoin de plus de six écus de
métal. Mais ce ne fut pas une découverte moins ingénieuse d’avoir
trouvé la manière de les appliquer sur le plâtre, de telle sorte que le
bois, ou toute autre matière qui en fut recouverte, parût être une
masse d’or, ce qui se fait de la manière suivante. On plâtre le bois avec
du plâtre extrêmement fin, et rendu pâteux par l’addition de colle
plutôt légère que crue ; les couches doivent être plus ou moins nombreuses,
selon que le bois est travaillé finement ou grossièrement. Le
plâtre ayant été bien aplani, on prend du blanc d’œuf pur, on le bat
soigneusement avec de l’eau, et on y trempe du bol d’Arménie moulu,
et rendu légèrement onctueux. On le fait d’abord aqueux, c’est à dire
liquide et clair, et on en fait de l’autre, qui ait plus de consistance.
On passe ce produit au moins trois fois sur l’objet à dorer, jusqu’à ce
qu’il prenne facilement sur toute sa surface. Continuant à l’humecter
d’eau pure avec un pinceau, on y applique l’or en feuilles, et il se prend
subitement à cette substance molle. Quand il est un peu sec, mais non
entièrement, on le frotte avec une dent de chien ou de loup, jusqu’à
ce qu’il devienne brillant et beau. On dore aussi d’une autre manière
qu’on appelle du mordant, qui sert à dorer toutes sortes de choses,
pierre, bois, toile, métal quelconque, drap, cuir. On ne le polit pas
comme ci-dessus. Ce mordant qui est la matière qui retient l’or, se
fait avec des couleurs siccatives à l’huile de diverses sortes, ainsi que de
l’huile cuite avec du vernis ; on l’étend sur le bois qui a reçu d’abord deux couches de colle. Après que le mordant a été posé, non pas pendant
qu’il est frais, mais à demi-sec, on y pose l’or en feuilles. On
peut faire de même avec l’ammoniaque quand on agit rapidement, car il
est bon pendant qu’on le pose, et ce procédé sert plus à dorer des selles,
des arabesques et d’autres ornements que toute autre chose. On peut
aussi moudre de l’or en feuilles, dans une tasse de verre, avec un peu
de miel et de gomme ; ce procédé est employé par les miniaturistes, et
par quantité d’artistes qui se plaisent à dessiner au pinceau des profils,
et à faire de fines lumières dans les peintures. Tous ces procédés sont
très beaux ; mais comme ils sont nombreux, je n’en parlerai pas
davantage.