Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/peint18
Chapitre XVIII. — De la peinture des vitraux ; comment on les enchâsse avec des plombs et des fers, pour les soutenir, sans nuire aux figures.
Les Anciens avaient déjà coutume, mais seulement pour les grands
personnages, ou tout au moins pour ceux de quelque importance, de
clore les fenêtres de manière à empêcher, tout en n’arrêtant pas la
lumière, l’entrée du vent ou du froid. Ils ne se faisaient pas seulement
dans leurs bains, leurs étuves et autres lieux reculés, dont ils fermaient
les ouvertures ou les vides avec des pierres transparentes, telles que
les agathes, les albâtres, et des marbres tendres tels que le mischio et
ceux qui tirent sur le jaunâtre. Les Modernes, qui ont eu des fourneaux
de verre en plus grande quantité, ont fait des fenêtres de verre sous
forme d’œils-de-bœuf et de vitres, en ressemblance ou en imitation
de ce que les Anciens faisaient en pierre. Des plombs cannelés de
chaque côté tenaient ces verres assemblés d’une manière solide, et
des ferrements scellés dans le mur à ce sujet, ou en réalité dans des
châssis de bois, les armaient comme nous le dirons plus loin sur ces
vitraux, que l’on faisait au début simplement de cercles blancs, avec
des angles blancs ou de couleur ; les artistes ont ensuite imaginé d’en
composer une mosaïque de figures avec ces verres diversement colorés
et assemblés, de manière à ressembler à une peinture. Leur ingéniosité
s’est tellement développée dans ce genre qu’actuellement on voit
cet art de la peinture sur verre arrivé à la même perfection que l’on
remarque dans les belles peintures de tableaux, et qu’on y rencontre
même unité de coloris et même soin dans l’exécution ; nous le
montrerons tout au long dans la Vie de Guillaume de Marcillat, artiste
français. Dans cet art, les Flamands et les Français ont mieux travaillé
que toute autre nation. Ceux-ci, en effet, grands chercheurs
dans les arts du feu et du coloris, sont arrivés à cuire au feu les
couleurs qu’ils posent sur le verre, en sorte que ni le vent, ni l’air, ni
la pluie ne peuvent les altérer, de quelque manière que ce soit. Auparavant,
ils avaient coutume de peindre leurs verres avec des couleurs
glacées à la gomme ou avec d’autres détrempes, couleurs qui s’effacent
avec le temps et que le vent, les brouillards et la pluie offensaient, si bien qu’il ne restait bientôt plus que la simple couleur du verre.
Actuellement, nous voyons cet art arrivé à ce haut point, au delà
duquel on ne peut désirer plus grande perfection de finesse et de
beauté, ou de toute particularité qu’on peut y rencontrer. On y voit
une grâce délicate et extrême, non moins de salubrité, pour protéger
les appartements des vents ou du mauvais air, que d’utilité et de
commodité, à cause de la lumière claire et aisée qui traverse ces
vitraux. Il est vrai que pour les amener à ce point trois choses sont
tout d’abord nécessaires, à savoir : une transparence lumineuse dans
les verres que l’on a choisis, une très belle composition des sujets
qu’on y représente, un coloris franc sans aucune confusion. La transparence
est produite par un choix de verres qui soient translucides
par eux-mêmes, et en cela les français, les flamands et les anglais
sont meilleurs que les vénitiens. Les flamands, en effet, sont très
clairs, et les vénitiens sont très chargés en couleur. Les premiers qui
sont clairs, si on les ombre de teintes foncées, n’arrêtent pas la lumière
entièrement, en sorte que leurs parties ombrées sont elles-mêmes
transparentes. Les verres vénitiens, au contraire, étant obscurs de
leur nature, perdent entièrement la transparence quand on les fonce
avec les ombres. Bien que beaucoup de gens se plaisent à avoir des
verres chargés en couleurs qui paraissent superposées, en sorte que,
frappés par l’air et le soleil, ils montrent je ne sais quoi de beau que
l’on ne rencontre pas dans les couleurs naturelles, il vaut mieux
néanmoins employer des verres qui soient plutôt clairs qu’obscurs de
leur nature, de façon que leur épaisseur ne leur nuise pas. Pour
exécuter une pareille œuvre, il faut avoir un carton dessiné au trait
où soient portés les contours des plis des draperies et ceux des figures,
qui doivent montrer les assemblages des verres. On prend ensuite des
verres rouges, jaunes, bleus et blancs, et on les répartit suivant le
dessin, les uns pour les draperies, les autres pour les chairs suivant le
besoin. Pour réduire les plaques de verre aux dimensions dessinées
sur le carton, on les pose sur le carton et on les délimite avec un
pinceau trempé dans de la céruse. Chaque morceau est numéroté
pour retrouver plus facilement sa place, quand on doit les assembler ;
l’ouvrage terminé, ces numéros sont effacés. Cela fait, pour tailler les
verres à leurs bonnes dimensions, on prend un outil à la pointe
rougie au feu, mais auparavant on a entaillé un peu à l’émeri la
surface sur laquelle on veut commencer le travail. L’ayant ensuite
humectée d’un peu de salive, on suit avec la pointe rougie les contours
tracés sur le verre, mais un peu de côté. Peu à peu le verre se courbe et se sépare de la plaque. On polit ensuite à l’émeri les morceaux
détachés, et l’on enlève le superflu avec un outil appelé grisatoio ou
topo ; on rogne les contours dessinés, de manière qu’ils deviennent
de la dimension nécessaire pour pouvoir faire l’assemblage. Les morceaux
de verre étant ainsi assemblés sont étendus sur le carton posé
sur une table plane, et l’on commence à peindre les ombres des draperies.
On emploie pour cela de la limaille de fer réduite en poudre et
de la rouillure que l’on trouve dans le minerai et qui est rouge ; on
emploie aussi du crayon rouge, dur et moulu. On s’en sert pour
ombrer les chairs que l’on charge de noir ou de rouge, selon le besoin.
Mais il est tout d’abord nécessaire, pour rendre les chairs, d’étendre
un peu de rouge sur tous les verres, et d’en faire autant avec le noir
pour les draperies, en détrempant ces couleurs dans de la gomme ;
on les peint de cette manière peu à peu, et on les ombre d’après le
carton. Ensuite, quand les verres sont peints, si l’on veut leur donner
des lumières vigoureuses, on prend un pinceau dont les soies soient
courtes et fines, et l’on s’en sert pour faire des hachures sur les verres
avec la couleur claire, enlevant ainsi la couleur première qu’on y avait
étendue ; puis, avec la hampe du pinceau, on frappe de lumières
les cheveux, la barbe, les vêtements, les édifices et les paysages, en
travaillant à sa volonté. Mais ce travail offre plusieurs difficultés.
Celui qui s’en occupe peut mettre des couleurs variées sur le verre ;
après avoir tracé sur une teinte rouge un feuillage ou une chose
menue, s’il veut qu’au feu ce détail soit une autre couleur, il peut
écailler le verre sur l’étendue de ce détail avec la pointe d’un outil qui
enlève l’épiderme du verre, en ne dépassant pas la première couche.
En opérant ainsi, le verre reste blanc, et l’on y étend un rouge obtenu
avec différentes compositions et qui par la cuisson devient jaune. On
peut en faire autant de toutes les couleurs ; mais le jaune réussit
mieux sur le blanc que sur les autres couleurs. Le bleu à l’échampir,
devient vert par la cuisson, parce que le jaune et le bleu superposés
donnent une couleur verte. Ce jaune ne se pose jamais que sur la face
interne qui n’est pas peinte, sinon il gâterait la teinte primitive en s’y
mélangeant ; tandis qu’une fois le verre cuit, le rouge reste sur l’autre
face, et si l’on gratte le verre avec un outil, on voit le jaune. Quand
les verres sont peints, on les met dans une tourtière de fer avec une
couche de cendre tamisée et de chaux cuite mélangées. Les verres sont
ainsi séparés et recouverts couche par couche de cette cendre,
puis on les met dans le fourneau. Celui-ci, étant échauffé à feu lent et
peu à peu, porte la cendre et les verres au rouge, en sorte que les couleurs qui y sont étant également échauffées entrent en fusion et
prennent sur le verre. Il faut apporter une extrême attention à cette
cuisson, parce qu’un feu trop violent ferait éclater les verres, et un
feu trop doux ne les cuirait pas. Il ne faut pas les sortir, tant que la
tourtière ou le poêlon qui les renferme n’est pas entièrement embrasé,
ainsi que la cendre sur laquelle on a mis quelques échantillons qui
sont au point quand la couleur a disparu. Cela fait, on presse les
plombs dans des formes de pierre ou de fer, qui ont deux canaux, à
savoir un de chaque côté, dans lequel le verre doit entrer et être
serré. On rogne et l’on redresse les plombs, et ensuite on les assemble
sur une table. Ainsi, morceau par morceau, toute l’œuvre s’enchâsse
dans les plombs en plusieurs tableaux. Tous les joints des plombs
sont ensuite soudés à l’étain, et sur quelques traverses qui doivent
supporter les ferrements on met des fils de cuivre scellés, de manière
à soutenir et à lier tout l’ensemble. Il est armé de ferrements qui ne
doivent pas couper les figures, mais se plier en suivant leurs joints,
de façon qu’ils n’empêchent pas de les voir. Ces fers transversaux
sont fixés par des enclouures aux ferrements qui soutiennent le tout,
et, comme nous l’avons dit, on ne les fait pas droits, mais tordus,
pour moins gêner la vue. Sur la bande extérieure, on les fixe aux
fenêtres, et ils sont scellés dans les trous de la pierre. Des fils de
cuivre qui ont été soudés aux plombs des vitraux relient le tout fortement.
Pour que les enfants ou les intempéries ne puissent les abîmer,
on met derrière un fin treillis de cuivre. De pareilles œuvres dureraient
indéfiniment si elles n’étaient pas d’une matière par trop fragile. Mais
il n’en demeure pas moins que ce soit un art difficile, admirable et
ingénieux.