Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/peint18

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 91-94).
De la peinture : chapitre XVIII

Chapitre XVIII. — De la peinture des vitraux ; comment on les enchâsse avec des plombs et des fers, pour les soutenir, sans nuire aux figures.


Les Anciens avaient déjà coutume, mais seulement pour les grands personnages, ou tout au moins pour ceux de quelque importance, de clore les fenêtres de manière à empêcher, tout en n’arrêtant pas la lumière, l’entrée du vent ou du froid. Ils ne se faisaient pas seulement dans leurs bains, leurs étuves et autres lieux reculés, dont ils fermaient les ouvertures ou les vides avec des pierres transparentes, telles que les agathes, les albâtres, et des marbres tendres tels que le mischio et ceux qui tirent sur le jaunâtre. Les Modernes, qui ont eu des fourneaux de verre en plus grande quantité, ont fait des fenêtres de verre sous forme d’œils-de-bœuf et de vitres, en ressemblance ou en imitation de ce que les Anciens faisaient en pierre. Des plombs cannelés de chaque côté tenaient ces verres assemblés d’une manière solide, et des ferrements scellés dans le mur à ce sujet, ou en réalité dans des châssis de bois, les armaient comme nous le dirons plus loin sur ces vitraux, que l’on faisait au début simplement de cercles blancs, avec des angles blancs ou de couleur ; les artistes ont ensuite imaginé d’en composer une mosaïque de figures avec ces verres diversement colorés et assemblés, de manière à ressembler à une peinture. Leur ingéniosité s’est tellement développée dans ce genre qu’actuellement on voit cet art de la peinture sur verre arrivé à la même perfection que l’on remarque dans les belles peintures de tableaux, et qu’on y rencontre même unité de coloris et même soin dans l’exécution ; nous le montrerons tout au long dans la Vie de Guillaume de Marcillat, artiste français. Dans cet art, les Flamands et les Français ont mieux travaillé que toute autre nation. Ceux-ci, en effet, grands chercheurs dans les arts du feu et du coloris, sont arrivés à cuire au feu les couleurs qu’ils posent sur le verre, en sorte que ni le vent, ni l’air, ni la pluie ne peuvent les altérer, de quelque manière que ce soit. Auparavant, ils avaient coutume de peindre leurs verres avec des couleurs glacées à la gomme ou avec d’autres détrempes, couleurs qui s’effacent avec le temps et que le vent, les brouillards et la pluie offensaient, si bien qu’il ne restait bientôt plus que la simple couleur du verre. Actuellement, nous voyons cet art arrivé à ce haut point, au delà duquel on ne peut désirer plus grande perfection de finesse et de beauté, ou de toute particularité qu’on peut y rencontrer. On y voit une grâce délicate et extrême, non moins de salubrité, pour protéger les appartements des vents ou du mauvais air, que d’utilité et de commodité, à cause de la lumière claire et aisée qui traverse ces vitraux. Il est vrai que pour les amener à ce point trois choses sont tout d’abord nécessaires, à savoir : une transparence lumineuse dans les verres que l’on a choisis, une très belle composition des sujets qu’on y représente, un coloris franc sans aucune confusion. La transparence est produite par un choix de verres qui soient translucides par eux-mêmes, et en cela les français, les flamands et les anglais sont meilleurs que les vénitiens. Les flamands, en effet, sont très clairs, et les vénitiens sont très chargés en couleur. Les premiers qui sont clairs, si on les ombre de teintes foncées, n’arrêtent pas la lumière entièrement, en sorte que leurs parties ombrées sont elles-mêmes transparentes. Les verres vénitiens, au contraire, étant obscurs de leur nature, perdent entièrement la transparence quand on les fonce avec les ombres. Bien que beaucoup de gens se plaisent à avoir des verres chargés en couleurs qui paraissent superposées, en sorte que, frappés par l’air et le soleil, ils montrent je ne sais quoi de beau que l’on ne rencontre pas dans les couleurs naturelles, il vaut mieux néanmoins employer des verres qui soient plutôt clairs qu’obscurs de leur nature, de façon que leur épaisseur ne leur nuise pas. Pour exécuter une pareille œuvre, il faut avoir un carton dessiné au trait où soient portés les contours des plis des draperies et ceux des figures, qui doivent montrer les assemblages des verres. On prend ensuite des verres rouges, jaunes, bleus et blancs, et on les répartit suivant le dessin, les uns pour les draperies, les autres pour les chairs suivant le besoin. Pour réduire les plaques de verre aux dimensions dessinées sur le carton, on les pose sur le carton et on les délimite avec un pinceau trempé dans de la céruse. Chaque morceau est numéroté pour retrouver plus facilement sa place, quand on doit les assembler ; l’ouvrage terminé, ces numéros sont effacés. Cela fait, pour tailler les verres à leurs bonnes dimensions, on prend un outil à la pointe rougie au feu, mais auparavant on a entaillé un peu à l’émeri la surface sur laquelle on veut commencer le travail. L’ayant ensuite humectée d’un peu de salive, on suit avec la pointe rougie les contours tracés sur le verre, mais un peu de côté. Peu à peu le verre se courbe et se sépare de la plaque. On polit ensuite à l’émeri les morceaux détachés, et l’on enlève le superflu avec un outil appelé grisatoio ou topo ; on rogne les contours dessinés, de manière qu’ils deviennent de la dimension nécessaire pour pouvoir faire l’assemblage. Les morceaux de verre étant ainsi assemblés sont étendus sur le carton posé sur une table plane, et l’on commence à peindre les ombres des draperies. On emploie pour cela de la limaille de fer réduite en poudre et de la rouillure que l’on trouve dans le minerai et qui est rouge ; on emploie aussi du crayon rouge, dur et moulu. On s’en sert pour ombrer les chairs que l’on charge de noir ou de rouge, selon le besoin. Mais il est tout d’abord nécessaire, pour rendre les chairs, d’étendre un peu de rouge sur tous les verres, et d’en faire autant avec le noir pour les draperies, en détrempant ces couleurs dans de la gomme ; on les peint de cette manière peu à peu, et on les ombre d’après le carton. Ensuite, quand les verres sont peints, si l’on veut leur donner des lumières vigoureuses, on prend un pinceau dont les soies soient courtes et fines, et l’on s’en sert pour faire des hachures sur les verres avec la couleur claire, enlevant ainsi la couleur première qu’on y avait étendue ; puis, avec la hampe du pinceau, on frappe de lumières les cheveux, la barbe, les vêtements, les édifices et les paysages, en travaillant à sa volonté. Mais ce travail offre plusieurs difficultés. Celui qui s’en occupe peut mettre des couleurs variées sur le verre ; après avoir tracé sur une teinte rouge un feuillage ou une chose menue, s’il veut qu’au feu ce détail soit une autre couleur, il peut écailler le verre sur l’étendue de ce détail avec la pointe d’un outil qui enlève l’épiderme du verre, en ne dépassant pas la première couche. En opérant ainsi, le verre reste blanc, et l’on y étend un rouge obtenu avec différentes compositions et qui par la cuisson devient jaune. On peut en faire autant de toutes les couleurs ; mais le jaune réussit mieux sur le blanc que sur les autres couleurs. Le bleu à l’échampir, devient vert par la cuisson, parce que le jaune et le bleu superposés donnent une couleur verte. Ce jaune ne se pose jamais que sur la face interne qui n’est pas peinte, sinon il gâterait la teinte primitive en s’y mélangeant ; tandis qu’une fois le verre cuit, le rouge reste sur l’autre face, et si l’on gratte le verre avec un outil, on voit le jaune. Quand les verres sont peints, on les met dans une tourtière de fer avec une couche de cendre tamisée et de chaux cuite mélangées. Les verres sont ainsi séparés et recouverts couche par couche de cette cendre, puis on les met dans le fourneau. Celui-ci, étant échauffé à feu lent et peu à peu, porte la cendre et les verres au rouge, en sorte que les couleurs qui y sont étant également échauffées entrent en fusion et prennent sur le verre. Il faut apporter une extrême attention à cette cuisson, parce qu’un feu trop violent ferait éclater les verres, et un feu trop doux ne les cuirait pas. Il ne faut pas les sortir, tant que la tourtière ou le poêlon qui les renferme n’est pas entièrement embrasé, ainsi que la cendre sur laquelle on a mis quelques échantillons qui sont au point quand la couleur a disparu. Cela fait, on presse les plombs dans des formes de pierre ou de fer, qui ont deux canaux, à savoir un de chaque côté, dans lequel le verre doit entrer et être serré. On rogne et l’on redresse les plombs, et ensuite on les assemble sur une table. Ainsi, morceau par morceau, toute l’œuvre s’enchâsse dans les plombs en plusieurs tableaux. Tous les joints des plombs sont ensuite soudés à l’étain, et sur quelques traverses qui doivent supporter les ferrements on met des fils de cuivre scellés, de manière à soutenir et à lier tout l’ensemble. Il est armé de ferrements qui ne doivent pas couper les figures, mais se plier en suivant leurs joints, de façon qu’ils n’empêchent pas de les voir. Ces fers transversaux sont fixés par des enclouures aux ferrements qui soutiennent le tout, et, comme nous l’avons dit, on ne les fait pas droits, mais tordus, pour moins gêner la vue. Sur la bande extérieure, on les fixe aux fenêtres, et ils sont scellés dans les trous de la pierre. Des fils de cuivre qui ont été soudés aux plombs des vitraux relient le tout fortement. Pour que les enfants ou les intempéries ne puissent les abîmer, on met derrière un fin treillis de cuivre. De pareilles œuvres dureraient indéfiniment si elles n’étaient pas d’une matière par trop fragile. Mais il n’en demeure pas moins que ce soit un art difficile, admirable et ingénieux.