Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/peint19

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 94-96).
De la peinture : chapitre XIX

Chapitre XIX. — Du nielle ; comment il a donné naissance à la gravure sur cuivre ; comment on entaille les objets en argent pour y mettre des émaux en relief ; comment on cisèle les objets en métal.


Le nielle, qui n’est autre chose qu’un dessin gravé et peint sur de l’argent, comme on peint et l’on dessine finement avec la plume, fut inventé par les orfèvres, déjà du temps des Anciens, car on a trouvé de leurs œuvres en or et en argent, sur lesquelles il y avait des creux remplis d’une mixture. On les dessine avec une pointe sur une plaque d’argent, et l’on entaille au burin, qui est un outil carré, ayant un tranchant de biais et à une seule pente, qui le rend plus aigu et taillant des deux côtés ; la pointe coule et taille très finement. C’est avec cet outil que l’on fait toutes les choses qui sont gravées sur des métaux, que l’on veuille remplir les tailles ou les laisser vides, selon l’intention de l’artiste. Quand on a donc entaillé et terminé avec le burin, on prend de l’argent et du plomb, et l’on en compose, au feu, un alliage qui est noir de couleur, très fragile et qui se répand facilement. On l’écrase et on le pose sur la plaque d’argent qui a été entaillée, mais qui doit avoir été soigneusement polie. On approche ensuite la plaque d’un feu de bois vert, et en soufflant, avec un soufflet, on fait en sorte que la flamme touche le nielle. Celui-ci, sous l’action de la chaleur, entrant en fusion et s’écroulant, remplit toutes les tailles qu’a faites le burin. Ensuite, quand la plaque d’argent est refroidie, on enlève soigneusement tout le superflu, avec des grattoirs, on achève peu à peu avec de la pierre ponce, et en frottant avec la main et un cuir jusqu’à ce que l’on obtienne une surface plane et que le tout soit entièrement poli. Maso Finiguerra, artiste florentin, exécuta d’admirables travaux de ce genre, et fut un maître excellent dans cette profession, comme en font foi plusieurs Paix en nielle, que l’on voit à San Giovanni de Florence, et qui sont tenues pour admirables. Ces intailles au burin ont donné naissance aux gravures sur cuivre, dont nous voyons actuellement tant d’exemples, aussi bien italiens qu’allemands, par toute l’Italie. Car, de même qu’on prenait une empreinte en terre des plaques d’argent, avant qu’elles fussent niellées, et qu’on la coulait en soufre, de même les graveurs trouvèrent le moyen de tirer des épreuves à la presse sur les planches de cuivre, comme nous avons vu, aujourd’hui, en tirer au moyen de l’imprimerie.

Voici une autre sorte de travail sur argent, ou sur or, appelé communément émail, qui est une espèce de peinture mélangée à de la sculpture, et dont on se sert pour décorer les vases destinés à contenir de l’eau, en sorte que les émaux paraissent dans le fond. Si l’on veut en incruster dans de l’or, il faut que cet or soit très fin ; et pour l’argent, il faut employer de l’argent, dont l’alliage soit au moins celui d’un giulio. Il est nécessaire d’employer le procédé suivant, pour que l’émail puisse rester en place, et ne s’écoule pas hors de son logement. Il faut laisser des rebords sur l’argent, qui soient très minces et ne se voient pas. On fait ainsi un relief contraire à la gravure en creux, et qui contiendra les émaux, tant clairs que foncés, sur la même profondeur qu’une taille. On prend ensuite des émaux vitrifiés et de diverses couleurs, que l’on durcit soigneusement au marteau, et on les tient séparés et distincts l’un de l’autre, dans de petites écuelles pleines d’eau très claire. Les émaux que l’on emploie pour l’or sont différents de ceux que l’on emploie pour l’argent, et on s’en sert de la manière suivante. On prend séparément les émaux avec une fine palette d’argent, et on les met aux places voulues avec un soin extrême. On en met, et on en remet la quantité qu’il faut, jusqu’à ce qu’ils affleurent exactement. Cela fait, on prend un pot en terre fait exprès, qui doit être percé de trous, et qui a une ouverture sur le devant. On y met intérieurement un petit plat de même percé de trous, de manière à ne pas laisser passer les charbons, on remplit tout le pot jusqu’en haut de charbon de chêne, que l’on allume à la manière ordinaire. Dans le fond du pot, au-dessous de ce plat, et sur une fine plaque de fer, on pose l’objet à émailler, de façon qu’il s’échauffe peu à peu. On l’y maintient jusqu’à ce que les émaux, entrant en fusion, s’écoulent, comme si c’était de l’eau. Cela fait, on laisse refroidir, et, ensuite, avec une fraxinelle, qui est une pierre qui sert à donner le fil aux outils, avec du sable à verre et de l’eau claire, on frotte doucement, jusqu’à rendre à la plaque son poli. Quand on a rogné tout ce qui dépasse, on remet dans le même feu, pour donner la glaçure au tout, par une nouvelle fusion superficielle. On peut obtenir le même résultat à la main, en se servant de tripoli et d’un morceau de cuir ; mais il n’est pas utile de faire mention de ce procédé. J’ai parlé de l’autre, parce que, étant une œuvre qui relève de la peinture comme les autres, il m’a paru à propos de le faire.