Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/sculp4
Chapitre IV. — Comment on fait les modèles pour des statues en bronze, grandes et petites ; de la manière de faire les moules pour les couler ; des armatures métalliques, de la coulée, des trois sortes de bronze ; comment, une fois coulées, on cisèle les statues et on les répare. Dans le cas où des parties ne sont pas venues, comment on en ajoute d’autres ; comment on les assemble au bronze.
Quand les artistes excellents veulent couler de grandes figures en
métal ou en bronze, ils ont l’habitude de faire tout d’abord une statue
en terre, de même grandeur que celles qu’ils veulent couler, et ils
l’exécutent en terre, avec toute la perfection qu’ils peuvent tirer de
l’art et de leur savoir. Ayant donc fait ce qu’ils appellent un modèle,
et l’ayant amené à la perfection susdite, ils commencent ensuite, avec
du plâtre à mouler, à faire le moulage en creux des différentes parties
de la statue. Sur chaque creux on aménage les bords de manière qu’ils
s’ajustent exactement avec les bords d’un autre creux, et on les marque
avec des chiffres, des lettres ou d’autres signes pour pouvoir ensuite
les assembler. Ayant ainsi moulé les différentes parties de la statue,
on oint les creux d’huile, sur les bords par lesquels ils doivent
s’assembler. On moule donc, creux par creux, toute la statue, en
commençant par la tête, les bras, le torse, et en finissant par les jambes,
de manière que le moulage en creux de la statue reproduise toutes les
parties et les moindres particularités du modèle. Cela fait, on laisse ce
moulage sécher et reposer. On prend ensuite une barre de fer, plus
longue que la figure que l’on veut couler, et sur cette barre on fait un
noyau en terre que l’on pétrit moelleusement, en y mélangeant du
crottin de cheval et de la bourre. Ce noyau a la même forme que la
figure du modèle, et on le cuit, couche par couche, pour enlever
l’humidité de la terre. Il sert à donner la forme de la statue définitive,
parce que, quand on coule le métal, ce noyau, qui est plein, ménage
le creux de la statue, et fait que tout l’intérieur du moule ne se
remplit pas entièrement de bronze, sinon on ne pourrait plus remuer
la statue, à cause de son grand poids. On donne ainsi du gros et de
justes mesures à ce noyau, puis on le cuit, couche par couche, en sorte que la statue reste privée de toute son eau, et n’amène pas une explosion,
avec grand danger, quand on répand dessus le bronze liquide,
ce qui s’est vu souvent et a causé la mort des ouvriers avec la ruine
de toute l’œuvre. Ce noyau est mis en équilibre, et on y juxtapose les
creux correspondants du moule, de manière qu’il ne reste entre eux
et le noyau que l’épaisseur du métal, grosse ou mince, comme l’on
veut que soit la statue. On arme souvent ce noyau en le traversant
avec des chevilles de cuivre et avec des tiges de fer, qu’on peut introduire
et enlever, pour le tenir en place avec sécurité et avec plus de
force. Quand il est terminé, on le recuit à nouveau au feu doux, et,
quand on est entièrement certain qu’il n’y reste plus d’humidité, on le
laisse reposer. On reprend ensuite les creux, et l’on y moule successivement
de la cire jaune, que l’on maintient molle, et dans laquelle on
a mélangé un peu de térébenthine et de suif. Ce mélange, fondu au
feu, est moulé de manière que l’artiste obtienne l’épaisseur de cire
correspondant à celle qu’il veut obtenir pour le métal de la statue. Ces
morceaux de cire, coupés de la même dimension que les creux du
moule, sont assemblés, réunis exactement, et fixés avec quelques
broches minces de cuivre sur le noyau, de manière que, pièce par
pièce, la figure de cire recouvre entièrement la figure de terre. Cela
fait, on enlève toutes les bavures produites dans la cire par les imperfections
des creux, et l’on amène la figure de cire, le plus que l’on peut, au degré de perfection que l’on veut atteindre pour la statue
définitive. Avant de poursuivre le travail, on dresse la figure, et l’on
regarde attentivement si la figure de cire offre quelque défaut ; l’on y
remédie, ajoutant ou enlevant delà matière, selon que le besoin en est.
Le travail de la cire terminé, et le tout étant solidement fixé, l’artiste
pose cette statue sur deux chenets de bois, de pierre ou de fer, comme
on met un rôti au feu, de manière à pouvoir facilement la lever ou
l’abaisser ; avec un pinceau enduit de cendre humide, et appropriée à
cet usage, il badigeonne toute la figure, de façon que la cire ne se voie
plus, et il recouvre soigneusement tous les creux et les trous. La
cendre appliquée, on remet les chevilles en place, en leur faisant
traverser la cire et le noyau par les trous pratiqués à cet effet. Ces
chevilles doivent maintenir le noyau intérieur et la chape extérieure,
et ménager le vide dans lequel doit se répandre le bronze en fusion.
L’ensemble étant rendu bien solidaire, l’artiste prend de la terre fine,
mélangée de bourre et de crottin de cheval, produits dont j’ai déjà
parlé, et que l’on bat ensemble. Il recouvre le tout d’une couche fine
de ce mélange, qu’il laisse sécher, puis il fait une nouvelle couche qu’il laisse également sécher, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il obtienne
une épaisseur d’une demi-palme au plus. Cela fait, les tiges qui maintiennent
le noyau sont reliées à d’autres fers qui maintiennent la chape ;
cette armature, enchaînée et serrée, assure l’immobilité de l’ensemble.
Le noyau intérieur retient la chape extérieure, et inversement. On
pratique ordinairement quelques petits canaux entre le noyau et la
chape qui peuvent servir d’évents, et qui vont, par exemple, du genou
à un bras levé, dans une statue debout. Ils permettent au métal en
fusion de se porter à un point où il ne pourrait pas parvenir, par
<|uelque empêchement ; on en fait beaucoup ou peu, selon que la
coulée est plus ou moins difficile. Cela fait, on échauffe la chape,
également sur tous ses points, en sorte que la température monte peu
à peu, et l’on pousse le feu, de manière que la forme soit toute embrasée. La cire, qui est renfermée à l’intérieur, se fond, et s’écoule
par le trou de coulée, en sorte qu’il n’en reste pas trace. Pour en être
entièrement assuré, il faut avoir pesé les morceaux de cire, successivement,
quand on les juxtapose au noyau, puis repeser la cire qui est
sortie fondue. En tenant compte de la déperdition, l’artiste voit s’il en
est resté entre le noyau et la chape, et quelle quantité s’en est écoulée.
C’est à extraire la cire que consiste la maîtrise de l’artiste, et c’est à
cela qu’il doit consacrer tous ses soins ; de là on peut juger la difficulté
de faire les bronzes coulés, pour qu’ils viennent beaux et nets. S’il
restait, en effet, quelque peu de cire, la coulée serait manquée, particulièrement
sur les points où il y aurait encore de la cire. Ce travail
terminé, l’artiste enterre la forme près du four où l’on fond le bronze,
et il l’étaye, pour que le bronze ne le crève pas, puis il prépare les
canaux pour l’écoulement du métal en fusion, et il laisse au sommet
une cavité, de manière à pouvoir scier ensuite le bronze qui dépasse
de cette quantité. On fait cela pour que la statue vienne plus nette. La
composition du métal est variable, et pour chaque livre de cire on met
dix livres de métal. L’alliage du métal destiné aux statues comprend
deux tiers de cuivre et un tiers de laiton ; c’est la proportion usitée en
Italie. Les Égyptiens, chez qui cet art prit origine, faisaient leur bronze
avec deux tiers de laiton et un tiers de cuivre. Si l’on veut de l’electrum,
qui est plus fin que les autres métaux, il faut prendre deux
parties de cuivre et une partie d’argent. Pour les cloches, à chaque cent
de cuivre on ajoute vingt parties d’étain ; de cette manière, le son est
plus clair et plus uni. Pour les pièces de canon, à chaque cent de
cuivre on ajoute dix parties d’étain.
Il nous reste à indiquer ce qu’il faut faire, si la figure venait avec un défaut, ce qui peut provenir de ce que le bronze est cuit, ou trop mince, ou manque sur un point ; il faut alors ajouter un morceau. Dans ce cas l’artiste enlève toute la partie manquée, en faisant dans la statue un trou carré tracé à l’équerre. Il y ajuste ensuite une pièce de métal de même dimension, qu’il fait déborder autant qu’il veut. La pièce ajoutée, il la force dans le trou carré à coups de marteau, jusqu’à ce qu’elle soit bien solide ; puis, avec des limes et d’autres instruments il la pare et la termine entièrement.
Si l’artiste veut couler en métal de petites figures, il fait d’abord un modèle en cire, en terre ou en autre matière, puis il opère sur le moule de plâtre comme pour les grandes figures, et remplit les creux de cire. Mais il faut que ce creux soit humecté, pour que, lorsqu’on y coule la cire, elle se coagule au contact de l’eau froide et du plâtre. On expose ensuite le moule à l’air, et on le remue, en sorte que la cire qui est au milieu se sépare, et que l’intérieur reste vide. L’artiste remplit ce vide de terre et y met des chevilles de fer. Cette terre sert de noyau ; mais il faut la laisser bien sécher. Il fait ensuite la chape ; comme pour les grandes figures, il l’arme et il pratique les évents II expose ensuite le tout au feu et extrait la cire, de manière que le vide intérieur reste bien net, et qu’on puisse faire commodément la coulée. Le même procédé s’emploie pour les bas-reliefs et les demi-reliefs, ainsi que pour tout autre travail en métal. La coulée terminée, l’artiste prend les outils appropriés, à savoir : des burins, des ébarboirs, des ciseaux, des tailloirs, des supports et des limes ; il enlève le métal en excédent, le repousse là où il faut, ravale les bavures. Puis, avec des instruments qui grattent, il râcle et polit le tout avec soin, et finalement donne le fini à la pierre ponce. Ce bronze prend avec le temps une couleur qui tire sur le noir, et ne reste pas rouge comme lorsqu’on le travaille. Quelques artistes le font devenir noir en l’enduisant d’huile, d’autres le rendent vert à l’acide d’autres encore lui donnent la couleur noire avec le vernis : chacun enfin le traite comme il lui plaît. Ce qui est vraiment une chose merveilleuse est le résultat atteint de nos jours dans la fonte de ces figures aussi bien grandes que petites. Quantité de maîtres atteignent tant de perfection dans la coulée elle-même, qu’ensuite ils n’ont rien à réparer avec les instruments, et que l’épaisseur du métal ne dépasse pas celle d’un couteau. Bien plus certaines espèces de terres et de cendres que l’on emploie dans de pareils travaux sont actuellement d’une telle finesse, que l’on peut couler en argent et en or des flocons de rue, et d’autres plantes ou fleurs fines, avec tant de facilité et de réussite qu’ils apparaissent ensuite aussi beaux que la nature. On peut en conclure que cet art est aujourd’hui en plus grande excellence que du temps des Anciens.