Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/sculp3

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 54-56).
De la sculpture : chapitre III

Chapitre III. — Des sculptures en bas-relief et en demi-relief. De la difficulté de les faire. En quoi consiste la manière de les conduire à la perfection.

Les figures que les sculpteurs appellent demi-reliefs furent inventées par les Anciens, qui en composèrent des sujets, pour orner les murs lisses, et s’en servirent dans les théâtres, ou les arcs de triomphe. En effet, ayant fait des figures en ronde-bosse, ils ne pouvaient les poser s’ils ne ménageaient auparavant une salle ou une place qui fût entièrement dégagée. Voulant éviter cet inconvénient, ils trouvèrent une espèce de sculpture qu’ils appelèrent demi-relief, nom qu’on lui a conservé. En analogie avec la peinture, elle représente d’abord, en entier, les figures principales, en demi-relief, ou plus, comme dans la réalité, les deuxièmes figures à demi-cachées par les premières, et ainsi de suite, de la même manière qu’apparaissent les personnes vivantes, quand elles sont rassemblées et serrées les unes contre les autres. Dans cette espèce de demi-relief, à cause de la diminution de grandeur due à la perspective, on fait les dernières figures petites, et de même si l’on ne voit que les têtes, ainsi que les édifices et le paysage qui forment le fond du sujet. Personne n’a mieux exécuté que les Anciens cette espèce de demi-relief, tant pour l’observation que pour la diminution graduelle, et l’éloignement progressif des figures, les unes par rapport aux autres. Les Anciens, étant imitateurs du vrai et ingénieux, n’ont jamais fait de pareils tableaux, dans lesquels les figures soient placées sur un plan fuyant, ou qui se présente en raccourci ; au contraire, les figures posent leurs pieds sur la corniche inférieure, tandis que quelques-uns de nos artistes modernes, voulant faire paraître leur plus grand savoir, ont placé dans leurs sujets de demi-relief les premières figures sur un plan qui est en bas-relief et qui fuit, puis les figures suivantes sur le même plan, de manière qu’ainsi posées, elles n’ont pas leurs pieds appuyés avec cette assurance qu’elles devraient avoir. Il en résulte que l’on voit souvent les pointes des pieds de pareilles figures, qui font face en arrière, toucher l’os de la jambe, par un raccourci exagéré. C’est ce qu’on voit dans beaucoup d’œuvres modernes, entre autres, sur la porte de San Giovanni et autres œuvres du même temps. Aussi, les reliefs qui offrent ce caractère sont-ils faux, parce que si la moitié de la figure sort du bloc, et si on doit faire d’autres figures derrière les premières, il faut observer les règles de la perspective, en tant que fuite et diminution de grandeur, faire poser les pieds sur le plan, de manière que le plan soit plus en avant que les pieds, comme le veulent le coup d’œil et la règle dans les peintures. Il convient, en outre, que les figures aillent en diminuant de hauteur proportionnellement à leur éloignement, en sorte que le relief des dernières soit peu accusé, et que les figures soient petites. Aussi, et pour l’harmonie qui doit régner dans l’œuvre, est-il difficile de donner une grande perfection aux figures, et de les traiter de manière à ménager les raccourcis voulus des pieds et des têtes. Il est nécessaire que l’artiste ait un dessin extrêmement soigné, pour faire éclater sa valeur dans de pareilles difficultés. Cette perfection est aussi indispensable aux œuvres exécutées en terre ou en cire, qu’à celles en bronze ou en marbre. Toutes les œuvres de demi-relief, qui offriront les qualités que je viens d’indiquer seront admirées, et recevront des éloges, de la part des artistes connaisseurs.

La deuxième espèce de sculptures, que l’on appelle bas-reliefs, est de moindre relief que la précédente, et ils sont généralement confondus, au moins pour une bonne moitié, avec les autres. On peut y représenter avec discernement les plans, les édifices, les perspectives, les escaliers et les paysages, comme nous le voyons sur les tribunes de bronze de San Lorenzo, à Florence, et dans toutes les œuvres analogues de Donato, lequel, dans ce genre, exécuta des œuvres vraiment divines, très exactes d’observation. Ces bas-reliefs se présentent à l’œil, aisés, sans erreurs ni barbarismes, parce que leur saillie n’est pas suffisante pour être la cause d’erreurs et provoquer le blâme.

La troisième espèce de sculptures n’offre qu’un très faible relief ; on l’appelle des reliefs effacés et ils ne sont juste que le contour un peu apparent de la figure. C’est un travail difficile, vu qu’il faut beaucoup de dessin et d’invention, et qu’il s’agit avant tout de contours. Dans ce genre encore. Donato travailla mieux que n’importe quel artiste, et fit preuve d’art, de dessin et d’invention. On voit aussi de semblables figures, ainsi que des masques et d’autres sujets antiques, sur les anciens vases arétins, sur les camées anciens, sur les monnaies, et sur les coins destinés à frapper des médailles. Ce procédé fut employé, parce que, si le relief avait été trop accusé, on n’aurait rien pu frapper ; l’empreinte ne serait pas venue au coup de marteau, tandis qu’avec un faible relief la matière à frapper remplit aisément les creux du coin. Nous avons vu dans ce genre quantité d’artistes modernes qui y ont excellé, et encore plus les Anciens, comme nous le dirons plus tard et avec plus de détails, dans les Vies de ces Artistes. De fait, celui qui saura reconnaître dans les demi-reliefs la perfection des figures mises exactement en perspective, dans les bas-reliefs, la bonté du dessin, également pour la perspective et les autres inventions, enfin dans les reliefs effacés la netteté, la pureté et la belle forme des figures qu’on y représente, celui-là fera bien de louer les belles parties et de blâmer les mauvaises, et apprendra ainsi à autrui à savoir faire les mêmes réflexions.