Lettre à Mlle de Lenclos

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LETTRE À MADEMOISELLE DE LENCLOS.
Le dessus.

À Ninon, de qui la beauté
Méritoit une autre aventure,
Et qui devroit avoir été
Femme ou maîtresse d’Epicure.

La lettre.

Si c’est à bonne intention
Qu’à tes loix tu veux me soumettre,
Réponds à mon affection
Lorsque tu réponds à ma lettre.

Mon cœur pour toi forme des vœux,
Mes yeux te trouvent sans seconde,
Et, si je ne suis amoureux,
Je suis le plus trompé du monde.

Mon âme languit tout le jour ;
J’admire ton luth et ta grâce.
J’ai du chagrin, j’ai de l’amour :
Dis-moi, que veux-tu que j’en fasse ?

Ton entretien attire à soi ;

Je n’en trouve point qui le vaille ;
Il pourrait consoler un roi

De la perte d’une bataille.

Je me sens toucher jusqu’au vif
Quand mon âme voluptueuse
Se pâme au mouvement lascif
De ta sarabande amoureuse.

Socrate, et tout sage et tout bon,
N’a rien dit qui tes dits égale ;
Au prix de toi, le vieux barbon
N’entendoit rien à la morale.

Tu possèdes les qualités
Dont un cœur ne peut se défendre.
Peut-on avoir tant de beautés,
Et n’en avoir point à revendre.

Je sais quel nombre de galants
De ton affection se pique.
Trop de Médors, trop de Rolands,
Font l’amour à mon Angélique.

Je modère ainsi mon courroux
De ne pouvoir faire des rimes :
Je les voudrois dignes de vous,
Et de pareils souhaits ne sont pas légitimes.