Lettre à tous les seigneurs de la cour, pour leur donner avis de la mort du singe Macaty

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Lettre circulaire à tous les seigneurs de la cour pour leur donner advis de la mort du grand Macaty, singe de S. A. S. M. le C. D. C., et pour les inviter à sa pompe funèbre.

1723



Lettre circulaire à tous les seigneurs de la cour pour leur donner advis de la mort du grand Macaty, singe de S. A. S. M. le C. D.C., et pour les inviter à sa pompe funèbre1.

—-—-De par Dragon2, fidèle amy
—-—-Et compère de Macaty,
—-—-À la respectable jeunesse
—-—-Quy brille en ce beau sejour
Et d’un auguste roy compose la cour,
—-—-Salut ! mais salut de tristesse.

—-—-Comme tout finit icy bas
Qu’il est un moment fixe où tout ce quy respire
Doit grossir de Pluton le sombre et vaste empire,
Quadrupèdes, humains, bergers et potentats ;
Qu’à ce fatal arrest toute espèce asservie
—-—-Subit la même loy du sort,
Et qu’en tout ce qui nait le germe de la vie
—-—-Devient un principe de mort,
Macaty, né sujet à ceste loy sevère,
Vient de payer au Styx le tribut necessaire.
—-—-Macaty, singe en son vivant,
—-—-Mais singe d’illustre memoire,
Singe dont à jamais doit vivre ici la gloire,
—-—-Singe courtois, singe amusant,
—-—-Delices d’une cour fleurie,
—-—–—Singe fleur de singerie,
—-—-Singe subtil, singe badin,
—-—-Faute de dents singe benin ;
—-—-Singe enfin qui de son espèce
Avoit, sans les deffauts, toute la gentillesse,
—-—-Ce même Macaty n’est plus !
Mais du pauvre animal sur la funeste rive
—-—-L’ombre encore errante et plaintive,
—-—-Desdegnant des pleurs superflus,
Exige seulement qu’on se haste de rendre
—-—-Les derniers devoirs à sa cendre.

—-—-Et demain, par ordre du roy,
Pour soulager le mort, pour consoler ses mânes,
—-—-On doit celebrer son convoy,
—-—-D’où seront exclus tous profanes.
—-—-Vous seuls, habitans de la cour,
—-—-Dument instruits par ces presentes,
—-—-En habit noir, mantes traînantes,
Venez par votre hommage honorer ce grand jour.
-—-Surtout qu’une honneste contenance,
—-—-Interprète de vos douleurs,
—-—-À travers un morne silence
Exprime aux yeux de tous ce que sentent vos cœurs.
Car, pour qu’aucun n’allègue excuse d’ignorance,
Nous, Dragon, nous faisons extrême deffence
—-—-À tout courtisan invité
De venir en ces lieux, par un ris sacrilége,
Profaner du convoy la noble gravité,
Insulter au deffunt et troubler son cortége.

Épitaphe.

—-—-Macaty, ce pauvre animal,
—-—-Victime du ciseau fatal,
—-—-Est mort à la fleur de son âge ;
—-—-Macaty, qui si joliment
—-—-Avoit fait, je ne sçay comment,
—-—-Un grand prince à son badinage,
—-—-Macaty n’est plus ! Quel dommage !

Autre.

—-—-J’ai vécu, ma course est finie ;
Mais, tombant sous ses coups, je triomphe du sort,
—-—-Et me console de ma mort
—-—-Par l’honneur dont elle est suivie.

Ce nouveau monument, qui s’élève à vos yeux
Par les soins de Louis, consacre ma mémoire
Les plus fameux héros que célèbre l’histoire
—-—-Trouveroient mon sort digne d’eux.

Autre.

—-—-Singe sans fourbe et sans malice,
—-—-Singe de cour sans artifice,
D’un prince que j’aimois favori sans hauteur,
—-—-Son domestique sans bassesse
—-—-Et son complaisant sans fadeur,
Je sçus par mes talens mériter sa tendresse.
Homme, de qui le lot fut, dit-on, la raison,
—-—-Souffre que je te parle en maistre :
—-—-Mon portraict, utile leçon,
—-—-T’apprend ce que tu devrois être.

De l’imprimerie de Jean Batiste Coignard,
Imprimeur ordinaire du Roy.
1723.
Avec permission.



1. Je serois tenté de croire que cette pièce est de Piron. Sa rareté aura fait qu’elle a échappé à Rigoley de Juvigny, qui, d’ailleurs, n’étoit pas un bien grand chercheur. Piron connoissoit M. le comte de Clermont, à qui appartenoit le singe dont la mort est ici pleurée. On trouve dans ses Œuvres (édit. in-8, t. VII, p. 119) des vers adressés à cette altesse sérénissime. Quant à M. de Livry, on sait qu’il fut longtemps son plus cher commensal. (V. notre Notice sur Piron, passim.) Ce ne seroit pas la première fois que l’auteur de la Métromanie auroit fait des vers du genre de ceux-ci et se seroit posé en interprète poétique des bêtes. Au t. VII, p. 184, de ses Œuvres, vous pourrez lire l’Envoi d’un panier par un chien à une chienne. Rien ne contredit donc sérieusement mon opinion.

2. Singe de M. de Livry, qui, en qualité de légataire du défunt, fait les frais de l’invitation.