Lettre *746, 1679 (Sévigné)

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1679

*746. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE ET À LA COMTESSE DE GUITAUT.

À Livry, 24e octobre.

Vous n’avez donc pas eu M. de Caumartin ? Quelle raison vous a-t-il donnée pour ne point faire un voyage si naturel et si bien placé ? Il me semble que l’amitié qui est entre vous les devoit conduire tout droit à Époisse. Pour moi, Monsieur, je suis dans cette forêt solitaire et triste comme vous savez. J’ai quelque envie de tourner mon intention du côté d’une retraite, pour me préparer à la bonne fête de la Toussaint. Jusques ici j’en ai fait une caverne de larrons, c’est-à-dire un lieu[1] où j’ai passé plusieurs jours dans un horrible chagrin. Je voudrois bien faire de tout cela un sacrifice à Dieu, et l’offrir comme 1679 une pénitence : avec de telles vues on rendroit bon tout ce qui est mauvais. Cette comtesse me revient toujours au cœur et à l’esprit ; elle a de cruels maux de jambes : c’est l’humeur de cette poitrine qui se jette là. Elle est toujours d’une maigreur qui me fait trembler ; elle me cache la moitié de ses maux, et l’éloignement fait qu’on n’a jamais de repos. Elle vous demande de l’eau de Sainte-Reine[2] ; je crois que vous l’avez déjà envoyée ; il faut croire qu’elle en a besoin. Ils sont présentement, selon mes supputations, à leur petite assemblée[3]. M. de Vendôme n’y va point encore cette année. Ils enterreront la synagogue ; après cela, je leur conseille bien de régler leurs affaires de si bonne manière, qu’ils puissent être à Paris comme les autres, et que ma fille ne soit occupée que du soin de rétablir sa santé, s’il est possible. N’êtes-vous pas de cet avis ? J’ai été quelques jours à Paris. Je serai ici jusqu’après la Toussaint. On ne parle que de M. et de Mme  de Ventadour[4]. Vous avez de trop bons correspondants ou correspondantes, pour se mêler de vous dire des nouvelles : ou vous viendrez en apprendre vous-même, ou l’on vous en contera cet hiver. Que je vous admire, et que vous êtes sage d’être chez vous, pour les raisons qui vous y font demeurer ! mais quand elles cessent, on a quelque plaisir à revoir ses amis. En vérité, vous êtes un des hommes du monde qui me convient le plus. Madame, voulez-vous bien que je le dise, et que j’avoue, comme il le disoit l’autre jour, que c’est un grand bonheur, ou un grand malheur, que nous ne nous soyons pas rencontrés plus tôt ? Le bon abbé vous assure tous deux de ses respects ; il se porte très-bien ; son heure n’étoit pas marquée ; il faut jouir de cet été Saint-Martin que la Providence lui donne encore. Aimez-moi, je vous en conjure, puisque vous m’avez embarquée à vous aimer très-sincèrement.


  1. Lettre 746 (revue sur I’autograpbe). — 1. Mme de Sévigné avait d’abord écrit « un lieu triste, » puis elle a effacé le mot triste. Neuf lignes plus loin, l’autographe porte : « qu’on a jamais, » sans ne.
  2. 2. Voyez tome V, p. 533, note 1
  3. 3. À l’assemblée de Lambesc. Voyez plus haut, p. 48, note 8.
  4. 4. Voyez ci-dessus, p. 52 et 53.