Lettre 222, 1671 (Sévigné)

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1671

222. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 25e novembre.

J’ai appris par mes lettres de Paris la mort de votre premier président : je ne puis vous dire combien j’en suis affligée[1]. Il étoit fort honnête homme et fort aimable de sa personne ; mais ce qui me le rendoit très-considérable, c’est l’amitié qui étoit entre vous ; c’est de penser à ce que vous étoit une si bonne liaison ; et quand je me suis bien creusée sur ce sujet, je me retourne, et je trouve dans mon cœur l’inquiétude de votre santé, et la pensée de votre accouchement. Je ne sais comment je n’ai pas eu l’esprit de vous conseiller ce que vous avez fait, moi qui craignois également de vous voir affronter la petite vérole à Aix, ou retourner sur vos pas à Grignan : il n’y avoit qu’à ne bouger d’où vous êtes ; vous avez pris le bon parti. Je crois que vous aurez été saignée, je crois que vous aurez été prévoyante : je crois enfin, et j’espère que tout ira bien. Mme de Louvigny vous a donné un très-bon exemple ; mais dans l’attente de cette nouvelle, on souffre beaucoup ; je voudrois bien la recevoir ici. J’attends vendredi de vos lettres avec mon impatience ordinaire. Je crois que vous me parlerez bien aussi de la mort de ce pauvre homme ; je crains qu’elle ne vous ait émue, et ne vous ait fait beaucoup de mal en l’état où vous êtes. Je ne puis, ma très-chère, vous en dire davantage dans celui où je suis. Ce n’est pourtant pas manque de loisir, je vous en assure ; ce n’est pas manque aussi d’amitié pour vous ; au contraire, c’est ce qui me rend sensible à toutes les pensées de Provence, et qui fait que ne pouvant vous dire que des choses tristes, et trouvant que vous n’en avez pas besoin, je vous quitte après vous avoir tendrement embrassée.


  1. Lettre 222. — 1. Le président d’Oppède fut très-regretté. Colbert écrivait à M. de Grignan, le 21 novembre 1671 : « Le Roi a été sensiblement touché de la mort de M. d’Oppède ; aussi faut-il convenir que S. M. perd en lui un bon, fidèle et très-zélé serviteur. » (Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, tome I, p. 392.)