Lettre 329, 1673 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (3p. 229-231).
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1673

329. — DE MADAME DE LA FAYETTE À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Ce 4e septembre.

Je suis à Saint-Maur ; j’ai quitté toutes mes affaires et tous mes amis ; j’ai mes enfants[1] et le beau temps, cela me suffit ; je prends des eaux de Forges[2] ; je songe à ma santé ; je ne vois personne ; je ne m’en soucie point du tout : tout le monde me paroît si attaché à ses plaisirs, et à des plaisirs qui dépendent entièrement des autres, que je me trouve avoir un don des fées d’être de l’humeur dont je suis.

Je ne sais si Mme de Coulanges ne vous aura point mandé une conversation d’une après-dînée de chez Gourville, où étoient Mme Scarron et l’abbé Têtu, sur les personnes qui ont le goût au-dessus ou au-dessous de leur esprit. Nous nous jetâmes dans des subtilités où nous n’entendions plus rien. Si l’air de Provence, qui subtilise encore toutes choses, vous augmente nos visions là-dessus, vous serez dans les nues. « Vous avez le goût au-dessous de votre esprit, et M. de la Rochefoucauld aussi, et moi encore, mais pas tant que vous deux. » Voilà des exemples qui vous guideront.

M. de Coulanges m’a dit que votre voyage étoit encore retardé. Pourvu que vous rameniez Mme de Grignan, je n’en murmure pas ; si vous ne la ramenez point, c’est une trop longue absence.

Mon goût augmente à vue d’œil pour la supérieure du Calvaire[3] ; j’espère qu’elle me rendra bonne. Le cardinal de Retz est brouillé pour jamais avec moi, de m’avoir refusé la permission d’entrer chez elle. Je la vois quasi tous les jours ; j’ai vu enfin son visage[4] ; il est agréable, et l’on s’aperçoit bien qu’il a été beau. Elle n’a que quarante ans ; mais l’austérité de sa règle l’a fort changée.

Mme de Grignan a fait des merveilles d’avoir écrit à la Marans : je n’ai pas été si sage ; car je fus l’autre jour chercher Mme de Schomberg[5] et je ne la demandai point. Adieu, ma belle, je souhaite votre retour avec une impatience digne de notre amitié.

J’ai reçu les cinq cents livres il y a longtemps. Il me semble que l’argent est si rare qu’on n’en devroit point prendre de ses amis. Faites mes excuses à M. l’abbé[6] de ce que je l’ai reçu.


  1. Lettre 329. — 1. Voyez les notes des lettres du 9 et du 27 février précédents. — Dans l’édition de 1751 il y a maris, au lieu d’amis.
  2. 2. Voyez tome II, p. 317, note 5.
  3. 3. Mme de la Fayette demeurait rue de Vaugirard, en face du couvent du Calvaire. Ce couvent de bénédictines fut établi dans l’enceinte du Luxembourg par la reine Marie de Médicis et le P. Joseph, fondateur de la congrégation de Notre-Dame du Calvaire ; les religieuses y entrèrent en mars 1622 ; l’église fut bénite en 1631. Il y avait au Marais un autre couvent de filles du Calvaire, dont la duchesse d’Aiguillon posa la première pierre en 1635.
  4. 4. Les religieuses du Calvaire ont leur voile baissé au parloir, excepté pour leurs proches parents, ou dans des cas particuliers. (Note de l’édition de 1751.)
  5. 5. Mme de Schomberg et Mme de Marans étaient logées dans la même maison. (Ibidem.) — Voyez la note 7 de la lettre 151.
  6. 6. L’abbé de Coulanges.