Lettre 390, 1675 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (3p. 427-428).
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1675

390. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MADAME DE SÉVIGNÉ ET À MADAME DE GRIGNAN.

Je fus près de quatre mois sans recevoir de lettres de mes amis, ni sans leur écrire. Enfin je rompis la glace par Mme de Sévigné.
À Chaseu, ce 6e janvier 1675.
à madame de sévigné.

Il y a, ce me semble, assez longtemps que je vous laisse en repos, Madame ; c’est que j’ai eu beaucoup d’affaires depuis mon retour de Paris. Cela ne m’en eût pourtant pas empêché, si je n’avois craint sottement que si je vous écrivois, vous ne crussiez que j’avois affaire de vous. Il faut dire le vrai, on est quelquefois bien ridicule[1] ; mais pour vous montrer mon retour au bon sens, Madame, je vous supplie de me mander la réponse qu’a eue M. le cardinal de Retz sur ce qui me regarde[2] ; je n’oserois presque vous dire mon indifférence sur cela[3]. Vous autres gens de la cour ne faites guère de différence entre un fou et un philosophe ; cependant vous appellerez ma tranquillité comme il vous plaira, mais je l’aime mille fois mieux que de l’inquiétude qui ne sert de rien. Ce qui me consolera d’ailleurs du méchant succès de cette négociation, ce sera la marque d’amitié que j’aurai reçue de Son Éminence ; c’est sur cela que je ne serois pas indifférent, et sur votre tendresse, Madame : il me faut l’une et l’autre pour que je ne sois pas tout à fait malheureux.

à madame de grignan.

Il faut que je sache, non pas de quel bois vous vous chauffez, Madame, mais de quelle encre vous écrivez. Si vous n’en pouvez trouver d’autre que de celle dont vous vous servîtes l’année passée, souvenez-vous de m’écrire sur du papier noir ; car enfin, je veux lire ce que vous m’écrivez. Je n’y trouve qu’un inconvénient, c’est que le commis de la poste, qui n’aura pas assurément de même encre que vous (cela se trouvant rarement), jettera votre lettre au feu, n’y pouvant mettre de port. Badinerie à part, Madame, je serai fort aise de savoir de vos nouvelles par vous-même, et surtout que vous ne retournerez de trois ans en Provence ; car sans m’informer de ce que vous aimez le mieux, je souhaite de vous retrouver à Paris, et je prends un terme un peu long pour n’y pas manquer.


  1. Lettre 390. — 1. On avait cherché à brouiller de nouveau Bussy avec sa cousine ; il écrivait le 1er février 1675 à sa fille aînée, religieuse à la Visitation de la rue Saint-Antoine, à Paris : « On a tort, à mon avis, de me vouloir donner des soupçons du peu d’amitié ou même de la mauvaise volonté de Mme de Sévigné… Il me faut de grandes convictions pour me faire croire qu’une personne que j’aime et que j’estime soit fourbe. »
  2. 2. Voyez la lettre suivante et celle du 20 mars.
  3. 3. Dans notre copie de lettres, ces derniers mots ont été remplacés, en interligne et d’une autre main par ceux-ci : « vous dire ma résignation sur mon retour. »