Lettre 409, 1675 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (3p. 488-489).
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1675

409. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi au soir, 21e juin.

Je suis si triste, ma chère enfant, de n’avoir point eu de vos nouvelles cette semaine, que je ne sais à qui m’en prendre : du moins sais-je bien que ce n’est pas à vous ; car je suis fort assurée que vous m’avez écrit. Je crains mon voyage de Bretagne, à cause du dérangement que cela fera à notre commerce. J’achève ici vos deux affaires, et puis je m’en irai, par la raison que je veux revenir, et que je ne puis revenir si je ne pars.

Le siége de Limbourg[1] se continue : on tremble en attendant des nouvelles, et du côté de M. de Turenne aussi ; on dit qu’il est à portée de se battre avec ce Montecuculi[2]. J’espère toujours qu’il n’arrivera rien, parce qu’on attend trop de choses : enfin il faut tout abandonner à la Providence. Mon fils n’est point à Limbourg, mais je ne laisse pas d’y prendre intérêt.

Au reste, ma fille, sachez-moi gré, si vous voulez ; mais je me fis hier saigner du pied dans la vue de vous plaire ; j’ai voulu faire cette provision pour mon voyage, et j’avois aussi le cœur un peu serré de toute la tristesse que j’ai eue depuis deux mois ; j’ai cru que cette précaution étoit bonne. J’ai eu tout le jour bien du monde, et je suis si fatiguée d’avoir été au lit, que j’en suis brisée. La plaisanterie, c’étoit d’admirer la mauvaise grâce que j’avois ; Mlle de Méri en pâmoit de rire.

Voilà une lettre de mon fils ; il mande que le fossé et la demi-lune sont pris à Limbourg ; que le mineur est attaché au bastion ; qu’il y a eu plusieurs officiers et soldats tués et blessés, et que M. de la Marck[3] a fait des merveilles.

Je suis entièrement à vous, ma très-chère et très-aimable.


  1. Lettre 409. — 1. Limbourg capitula le 20 juin 1675. (Lettres historiques de Pellisson, tome II, p. 311.)
  2. 2. « Pendant six semaines, dit M. Lavallée à la suite du passage cité plus haut (note 2 de la lettre 402), les deux généraux luttèrent d’habileté sur un terrain de quelques lieues carrées, où il n’y eut pas un ravin ou un ruisseau inutile. « Ce fut, dit Folard, le chef d’œuvre de Turenne et de Montecuculi. » À la fin le premier força son adversaire à évacuer ses positions sur la Rench et à se replier vers Sasbach, dans un endroit difficile, où Montecuculi était obligé ou de recevoir la bataille ou de se jeter dans la forêt Noire. Les deux armées étaient d’égale force… »
  3. 3. Henri-Robert, comte de la Marck et de Braine, qui fut colonel du régiment de Picardie, gouverneur de Wœrden et maréchal des camps et armées du Roi. Il fut tué à Conz-Saarbruck le 11 août suivant. Voyez ; plus haut, p. 293, note 7.