Lettre 74, 1667 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 495-496).
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* 74. — DE MADEMOISELLE DE SÉVIGNÉ
À L’ABBÉ LE TELLIER[1].

(Paris) 21e octobre 1667.

Vous m’avez menacée d’une si grande hardiesse quand vous auriez passé les monts, que je n’osois l’augmenter par une de mes lettres ; mais je vois bien, Monsieur, que je n’ai rien à craindre que votre oubli ; et c’est la marque d’un si grand mépris après qu’on a promis aux gens de se souvenir d’eux, que j’en suis fort offensée. J’étois déjà préparée à la liberté que vous deviez prendre de m’écrire, et je ne saurois m’accoutumer à celle que vous prenez de m’oublier. Vous voyez que je ne vous la donne pas longtemps. J’ai soin de mes intérêts. Je n’ai pas même voulu les mettre entre les mains de Mme de Coulanges[2]2, pour vous faire ressouvenir de moi. Il m’a paru qu’elle n’étoit pas propre à vous en faire souvenir agréablement. Il ne faut point confondre tant de rares merveilles, et je ne prendrai point de chemins détournés pour me mettre du nombre de vos amies. Je serois honteuse de devoir cet honneur à d’autres qu’à moi. Je vous marque assez l’envie que j’en ai, en faisant un pas comme celui de vous écrire ; s’il ne suffit, et que vous ne m’en trouviez as digne j’en aurai l’affront ; mais aussi ma vanité sera satisfaite si je viens à bout de cette entreprise. Je suis votre servante,

M. de Sévigné.

Ma mère est votre très-humble servante[3].


  1. Lettre 74. — i. Charles-Maurice le Tellier, fils du chancelier, frère cadet de Louvois, déjà pourvu de plusieurs abbayes, se trouvoit alors à Rome, où il s’était rendu probablement à l’époque du conclave qui suivit la mort d’Alexandre VII. Coadjuteur de Langres en mai 1668, puis de Reims, il fut nommé archevêque de Reims le 3 août 1671.
  2. Marie-Angélique du Gué Bagnols, femme de Philippe-Emmanuel de Coulanges : voyez la Notice, p. 141. Mme de Coulanges était cousine germaine de l’abbé le Tellier et de Louvois : voyez la note 3 de la lettre 114.
  3. L’original de cette lettre avait été trouvé à la Bibliothèque royale, dans les papiers de l’archevêque de Reims. Il n’est plus là aujourd’hui ; au moins l’y avons-nous cherché en vain. « Elle avait été close, dit M. Walckenaer (tome III, p. 80), au moyen d’une faveur couleur de rose, retenue aux deux bouts par un double cachet carré, très-petit, en cire noire, portant l’empreinte d’une grenade fermée, avec ces mots italiens : Il piv. grato. nasconde, « ce qu’elle a de meilleur, elle le cache. »