Lettre de Chapelle au duc de Saint-Aignan

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Lettre en stances au duc de Saint-Aignan
Chapelle


LETTRE EN STANCES AU DUC DE SAINT-AIGNAN.

Messieurs les chevaliers de Lorraine et de Marsan, M. le Grand-Maître, MM. les marquis de Termes, d’Effiat et de Manicant, et MM. du Boulai et Chapelle, ayant demandé à M. le duc de Saint-Aignan sa maison de La Ferté-Saint-Aignan, près Chambort, pour y faire la Saint-Hubert, ce duc, qui fait son plus grand plaisir d’obliger de bonne grâce, leur accorda aussitôt ce qu’ils souhaitoient. Ils s’y rendirent, et, pour lui en marquer leur reconnoissance, M. Chapelle lui envoya ces vers…, dans lesquels il fait partout allusion à la chasse d’un furieux sanglier que M. de Saint-Aignan tua autrefois, et dont le portrait est dans la salle de cette maison. Il parle, sur la fin, d’un autre combat plus périlleux, lorsque ce même duc se défendit avec tant de courage et de valeur contre quatre hommes qui étoient venus l’attaquer. Cette aventure si glorieuse pour lui est sue de tous ceux qui ont un peu de commerce dans le monde.

(Extrait du Mercure galant de nov. 1678.)

Grand duc, en tout tout merveilleux,
Surtout pour être assez heureux
D’être, contre ta propre attente,
Sorti de cent dangers affreux ;
Et non seulement de tous ceux,
Que pour le pays Mars présente,
Mais, ce que plus en toi je vante,
De mille autres exploits fameux,
Que ta grande âme, impatiente
De paix, et non jamais contente
Qu’elle n’affronte le trépas,
D’un noble feu toujours brûlante,
En tant de périlleux combats,
Dont le seul récit m’épouvante,
Fit naître à tout propos et partout sous tes pas.

Qu’avec plaisir la compagnie,
En qui ton accueil gracieux1
À Toury redoubla l’envie
De se voir vite en ces beaux lieux,
À présent, surprise et ravie,
Y contemple de tous ses yeux
Ce monstre vraiment furieux2,
Qui, sans ton fer victorieux,
Eût partout sa rage assouvie
De Cléri jusqu’à Brassieux,
Et dont l’écumante furie,
Capable de venger les Cieux
Et d’assembler les demi-Dieux,
À tout autre qu’à toi n’eût point laissé la vie.

Mais quoi ! la bête d’Érimante,
Pour qui la Grèce eut le frisson,
Quelque rude et mauvais garçon
Que son Méléagre elle vante,
Ni tout ce qu’Homère nous chante
De Phénix et son nourrisson,
Dont la colère trop constante
Et le trop cuisant marrisson
Pour la perte d’une servante
Combla de tant de morts le Xante,
Ne sont de vrai qu’une chanson,
Au prix de ce que le Cousson3
A vu de ta valeur brillante,
D’une bien plus guerrière et toute autre façon.

Cousson, dont l’onde claire et pure4
Tantôt brille et tantôt se perd
Sous l’épaisse et fraîche verdure
Du long et fidèle couvert
Qui forme ta belle bordure,
Par ta divinité je jure
Que jamais rien ne s’est offert
Au petit talent de nature
Qui souvent assez bien me sert
Pour oser faire une peinture,
Rien, dis-je, tel que l’aventure,
Dont fut témoin l’affreux désert
Où même encor je sens que dure
Une horreur dont seul me rassure
L’aspect toujours riant et vert
De ton cours qui de loin m’en trace la ceinture.

Et, n’étoit que la modestie
Est la grande et digne partie
Du héros à qui l’on écrit,
Cousson, il faut que je le die5,
Comme jamais le ciel ne vit
Rien d’égal à tout ce qu’il fit
Dans ce bel endroit de sa vie,
Rien aussi n’auroit pu me donner plus d’esprit.



1. Variante du Recueil des plus belles pièces des poètes françois (attribué a Fontenelle) ; Barbin, 1692 :

À qui cet accueil, etc.

2. Merc. gal. :

Y contemple de tous ses yeux,
Dès l’abord surprise et ravie,
Ce monstre, etc.

3. Petite rivière qui passe à la Ferté Saint-Aignan.

4. Rec. de Barb. :

Ruisseau dont l’onde, etc.

5. Rec. de Barb. : « Il faut que je te die. »