Réponse du duc de Saint-Aignan à Chapelle

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Réponse du duc de Saint-Aignan
Chapelle


RÉPONSE DU DUC DE SAINT-AIGNAN1.

Aimable et brillant Chapelle,
Enfin, suivant mon souhait,
Ta lettre savante et belle
Vient me rendre satisfait,
Car, sans blâmer le génie
De ceux de ta compagnie,
Dont les talents sont divers,
Si ma raison n’est trompée,
La pointe de leur épée
Vaut bien celle de leurs vers.

Ce n’est pas que ta flamberge
Ne pût prouver ta vigueur,
Et qu’en mon petit auberge
Elle ne fit voir ton cœur,
Les sangliers de mes bocages
Y demeureroient pour gages ;
Mais j’ai de très forts soupçons
Que tu crois plus raisonnable
De les percer sur la table
Que dans leurs affreux buissons.

J’en reviens donc à ta muse,
Et je soutiendrai ce point,
Qu’il faudroit être bien buse
Si l’on ne l’estimoit point
Comme on tient pour des merveilles
Les fruits de tes doctes veilles,
Quand Phébus vient t’embraser ;
Ton humeur libre et galante
Par mille agréments enchante
Ceux qui t’entendent jaser.

Tes beaux vers sont, sur mon âme,
Dignes d’admiration.
De Monsieur et de Madame
Ils ont l’approbation.
D’un prince tout plein d’estime2,
De qui l’esprit est sublime,
Ils feront tout l’entretien ;
Mais je suis fort en demeure,
Car cette ode d’un quart d’heure
N’y répondra pas trop bien.

Ces chasseurs, dont la naissance
Est égale à la vertu,
Sans doute auront connaissance
De ce méchant impromptu.
Dis-leur, illustre Chapelle,
Que mon cœur, mon alumelle,
Ma bourse, tous mes amis,
Mon gibier, mes bois, ma plaine,
Mes poissons et ma fontaine,
Enfin, tout leur est soumis.

Mais dis de plus, si tu m’aimes,
Au jeune prince lorrain,
Qui par des efforts extrèmes
Fit rougir les eaux du Rhin,
Que, quand le destin contraire
Ramena son brave frère,
Dont chez moi chacun pesta,
Mon âme, alors désolée,
Ne put être consolée
Que parcequ’il y resta.

Ô Chapelle, que j’estime
Et que j’aime tendrement !
Sois certain que cette rime
Est faite dans un moment.
Allonge ta promenade,
Redouble sauce et grillade
Dans mon antique maison.
Et cependant je vais boire
Ta santé deçà la Loire ;
Songe à m’en faire raison.



1. Dans le Mercure galant, cette pièce suit la lettre de Chapelle, avec ce titre : Réponse impromptu.

2. Le grand Condé.