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Lettre de Ninon de Lenclos à Charles de Saint-Évremond (« J’ai envoyé une réponse… »)

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CX. Lettre de Ninon de Lenclos à Saint-Évremond, 1698.


MADEMOISELLE DE LENCLOS À SAINT-ÉVREMOND.
(1698.)

J’ai envoyé une réponse à votre dernière lettre, Monsieur, au correspondant de M. l’abbé Dubois ; et je crains, comme il étoit à Versailles, qu’elle ne lui ait pas été rendue. Je serois fort en peine de votre santé, sans la visite du bon petit Bibliothécaire de Mme de Bouillon1, qui me combla de joie, en me montrant une lettre d’une personne, qui songe à moi à cause de vous. Quelque sujet que j’aie eu, dans ma maladie, de me louer du monde et de mes amis, je n’ai rien ressenti de plus vif que cette marque de bonté. Faites sur cela tout ce que vous êtes obligé de faire, puisque c’est vous qui me l’avez attirée. Je vous prie que je sache par vous-même si vous avez rattrappé ce bonheur dont on jouit si peu en de certains temps. La source ne sauroit tarir tant que vous aurez l’amitié de l’aimable personne qui soutient votre vie2. Que j’envie ceux qui passent en Angleterre ! et que j’aurois de plaisir de dîner encore une fois avec vous ! N’est-ce pas une grossièreté que le souhait d’un dîner ? L’esprit a de grands avantages sur le corps : cependant ce corps fournit souvent de petits goûts qui se réitèrent et qui soulagent l’âme de ses tristes réflexions. Vous vous êtes souvent moqué de celles que je faisois : je les ai toutes bannies. Il n’est plus temps quand on est arrivé au dernier période de la vie : il faut se contenter du jour où l’on vit. Les espérances prochaines, quoi que vous en disiez, valent bien autant que celles qu’on étend plus loin : elles sont plus sûres. Voici une belle morale : portez-vous bien. Voilà à quoi tout doit aboutir.


NOTES DE L’ÉDITEUR

1. L’abbé de Hautefeuille.

2. La duchesse Mazarin.