Lettre de Saint-Évremond au comte de Lionne (« Je viens de recevoir la lettre… »)

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Lettre de Saint-Évremond au comte de Lionne (« Je viens de recevoir la lettre… »)
Œuvres mêlées de Saint-Évremond, Texte établi par Charles GiraudJ. Léon Techener filstome III (p. 88-89).


XXVIII.

AU MÊME.

Je viens de recevoir la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, avec les airs que vous m’avez envoyés. J’aurois mille grâces à vous rendre ; mais connoissant votre inclination à m’obliger, vous me permettrez, s’il vous plaît, d’être un peu lent aux remercîments ; car le redoublement continuel des obligations pourroit fatiguer une reconnoissance délicate comme la mienne. Croyez pourtant que je suis sensible comme je dois, et que vous pouvez disposer de moi plus que d’homme que vous connoissiez.

Je n’ai jamais été si surpris que de voir vendre ici trois petits livres qu’on dit de moi, et qui s’impriment à Amsterdam. Il y a environ vingt ans que je fis de petits discours sur les maximes qui sont dans ce petit livre-là : je ne sais qui les a pu avoir.

Continuez, je vous supplie, à m’aimer toujours : et croyez que vous n’aurez jamais un ami plus sûr et plus passionné pour votre service.

Quand il y aura quelque chose d’agréable, je vous supplie de me l’envoyer. Sitôt que la Réponse de M. Arnauld à M. Claude[1] sera imprimée, je vous supplierai de me l’envoyer, avec la Réplique de M. Claude, qui suivra bientôt assurément, habita ratione du port, c’est-à-dire, par une autre voie que celle de la poste.

Ne laissez pas de continuer à m’obliger : quelque délicate que soit ma reconnoissance, elle durera autant que moi, et je n’oublierai jamais tout ce que vous faites pour mes intérêts.

  1. C’est le livre célèbre d’Arnaud, de La Perpétuité de la foi de l’Église catholique touchant l’Eucharistie, défendue contre le livre du sieur Claude, ministre de Charenton, annoncée dès 1668. M. Claude y répondit bientôt, et les Jansénistes répliquèrent à cet ouvrage. Voy. le Dictionnaire de Bayle, aux articles Arnauld et Claude ; Moréri, et la Biographie universelle, vº Arnauld (Antoine). Le livre de la Perpétuité de la foi, commencé en collaboration avec Nicole, pendant qu’Arnaud était caché à l’hôtel de Longueville, produisit le plus grand effet, dans le parti de la réforme. Il parut en 1669, en 3 vol. in-4º, et occupe six volumes dans les Œuvres complètes d’Arnaud, Lausanne, 1777-83, 45 vol. in-4º.