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Lettre du 21 octobre 1646 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 350-354).
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*5 — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MADAME DE SÉVIGNÉ[1].

À la fin de cette campagne, je l’écrivis à la marquise de Sévigné, moitié vers et moitié prose.
Du camp de Hondscotte, ce 21e octobre 1646.

À vous qui aimez les détails, Madame, je m’en vais 1646 vous en faire un de notre campagne, c’est proprement à dire un éloge de Monsieur le Duc[2].

    Il fit d’abord le siége de Courtrai ;
    Il y signala sa prudence ;
    Sans elle (pour dire le vrai)
    Nous fussions retournés en France.
    Quoique tout cède à son grand cœur,
    Que rien n’égale sa valeur,
Peut-être en a-t-on vu jadis d’aussi brillante ;
    Mais il est encore inouï
    Qu’à l’âge où la bile régente,
On ait été jamais aussi prudent que lui.

Il est certain, ma chère cousine, qu’on n’a jamais vu tant de conduite avec tant de jeunesse.

    Après cette expédition,
    Nous marchâmes à la Bruyère,
    Pour y faire la jonction
    De ces gros avaleurs de bière.
  Un prisonnier nous dit d’un cœur sincère
Que l’Archiduc la veille opinoit au combat
    (Car c’est en ces grands coups d’Etat

Que le conseil d Espagne hasarde) ;
Mais qu’ayant su de grand matin
Que le Duc avoit l’avant-garde,
Il avoit changé de dessein.

Nous avions donné rendez-vous aux Hollandois au canal de Bruges, pour leur prêter six mille hommes, afin qu’ils en fissent une diversion considérable. Les ennemis, qui en voyoient la conséquence, s’étoient postés à l’entrée de la plaine, pour s’opposer à notre jonction ; mais la nouvelle qu’ils eurent que Monsieur le Duc avoit l’avant-garde, les obligea de se retirer sous les murailles de Bruges.

De la plaine marchant[3] et les jours et les nuits,
    Et par une chaleur mortelle,
      Un de mes meilleurs amis[4]
      M’engagea dans sa querelle.
    Quoique rien ne fût plus léger
  Que le sujet qui nous put obliger
    De faire voir notre courage,
    Mon ami deux fois se battit.
    La première j’eus l’avantage ;
Mais comme seul à seul il revint au conflit,
  Il fut tué, dont ce fut grand dommage.

Pour vous expliquer ceci un peu plus clairement, Madame, je vous dirai que le chevalier d’Isigny et moi nous eûmes querelle contre des officiers d’infanterie pour un verre d’eau. On l’appela, je le servis, et je désarmai mon homme. Le sien n’étant pas content, le refit appeler le lendemain, seul à seul, et le tua. 1646

À Bergues-Saint-Vinox on fit ces deux combats ;
      On en fit mêmes encor d’autres,
      Que je ne vous conterai pas,
      Comme moins sanglants que les nôtres ;
Mais enfin Saint-Vinox privé de tout secours
      Ne dura pas plus de deux jours ;
Et de là, de Mardick nous fîmes l’entreprise.
    Si Je voulois vous faire le portrait
Des hasards que courut le rince avant la prise,
        Je n’aurois jamais fait.
      Ce fut là que pour mon bonheur
      L’ennemi rasant la tranchée,
      Devant ce prince j’eus l’honneur
      De tirer une fois l’épée.
      Ce fut en cette occasion
      Qu’il fit lui-même une action
      Digne d’éternelle mémoire,
      Et que m’ayant d’honneur comblé,
      Il se déchargea de la gloire
      Dont il se trouvoit accablé.

Je ne vous saurois dire ma chère cousine, combien Monsieur le Duc prôna le peu que je fis en cette sortie ; mais ce qui la rendit plus considérable, ce furent les choses qu’il y fit, et la mort ou les blessures des gens de qualité qui s’y trouvèrent[5], et tout cela me fit honneur parce que je commandois en cette occasion.

Mardick enfin s’étant rendu,
Gastons[6] se retira rempli de renommée,

Mais il n’emporta pas ni toute la vertu,
      Ni tout le bonheur de l’armée.
      Le prince, malgré ce départ,
    En eut encore une assez bonne part ;
      Car, sans laisser reprendre haleine
      Aux ennemis qu’il insulta,
      A la barbe de Caracène[7]
      Il prit Furne et l’accommoda.

Pendant qu’il fortifioit cette place, il prit ses mesures avec la cour et avec les Hollandois, pour faire le siège de Dunkerque.

      La Rochelle des Pays-Bas,
      Cette inexorable pucelle
      Eut pour mon prince des appas
      Qui le firent amoureux d’elle.
      Cet amant par mille travaux
      Ota l’accès à ses rivaux
      Tant sur la terre que sur l’onde,
      Et pressa la place si fort
      Qu’il fit douter à tout le monde
    S’il n’iroit point de Dunkerque à Nieuports[8].

Il est vrai que ce siège alla fort vite, et que sans le mauvais temps nous aurions pu entreprendre encore quelque chose de considérable.

      Sans les eaux, le froid et le vent,
      Seules ressources de l’Espagne,
      Mon prince eût poussé plus avant,
      Ces merveilles de sa campagne.
Et moi, je finirois mes récits de combats
      Et l’éloge de Son Altesse,
      En vous parlant de ma tendresse,
      Si je n’étois un peu trop las.


  1. Lettre 5. — i. Nous avons vu de cette lettre deux copies de la main de Bussy (voyez au dernier volume l’Indication des sources) ; elles ne diffèrent l’une de l’autre que dans les premières lignes. Nous avons suivi pour ce commencement le manuscrit autographe du Discours de Bussy à ses enfants. Dans l’autre manuscrit voici quel est le début : « Vous qui aimez les détails, Madame, je m’en vais vous en faire un de cette campagne, qui, je crois, ne vous déplaira pas, c’est proprement à dire un éloge de Monsieur le Duc. Pour vous conter ce qu’à Courtrai Firent ses soins et sa prudence, Sans elle, etc. »
  2. Le duc d’Enghien, depuis prince de Condé, alors âgé de vingt-cinq ans. Voyez le récit plus détaillé de la campagne dans les Mémoires de Bussy, tome I, p. 119 et suivantes.
  3. « Le 21e juillet au soir, nous repartîmes de la plaine (de Bruges), et nous allâmes camper sur la Lis, à une lieue au-dessous de Courtrai. » (Mémoires de Bussy, tome I, p. 121)
  4. Le chevalier d’Isigny, enseigne des gendarmes d’Enghien.
    Voyez un long récit de ce duel dans les Mémoires de Bussy, tome I, p. 121-124.
  5. « Le duc de Nemours eut la jambe percée, le prince de Marsillac l’épaule, le duc de Pont de Vaux la mâchoire cassée, et Laval fut blessé au-dessus de la hanche. Le comte de Fleix de la maison de Foix, la Roche-Guyon, fils de Liancourt… et le chevalier de Fiesque furent tués. » (Discours de Bussy à ses enfants, p. 219.)
  6. « Le duc d’Orléans était généralissime, le duc d’Enghien général sous lui, et sous ce prince les maréchaux de Gramont et de Gassion. » (Ibid., p. 211.)
  7. Le marquis de Caracène, général espagnol, gouverneur de Flandre en 1659.
  8. Ville de la Flandre occidentale (Belgique), où le marquis de Caracène s’était retiré. Voyez les Mémoires de Bussy, tome I, p. 130.