Lettre du 27 janvier 1676 (Sévigné)

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1676
496. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ ET DE CHARLES
DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.
Aux Rochers, lundi 27e janvier[1].
de madame de sévigné.

J’ai encore les mains enflées, ma chère enfant, mais que cela vous persuade la fin de tout le rhumatisme, qui a toujours diminué depuis cette crise dont nous vous parlâmes le neuf de mon mal[2].

de charles de sévigné sous la dictée de sa mère.

Il est donc vrai que depuis cette sueur, ensuite de plusieurs autres petites, je me trouve sans fièvre et sans douleur, à la réserve de celle que donne la lassitude du rhumatisme. Vous savez ce que c’est pour moi que d’être seize jours sur les reins, sans pouvoir changer de situation. Je me suis rangée dans ma petite alcôve[3], où j’ai été très-chaudement, et parfaitement bien servie. Je voudrois bien que mon fils ne fût pas mon secrétaire en cet endroit, pour vous dire ce qu’il a fait dans cette occasion. Ce mal a été fort commun en ce pays, et ceux qui ont évité la fluxion sur la poitrine y sont tombés ; mais pour vous dire le vrai, je ne croyois pas être sujette à cette loi commune : jamais une femme n’a été plus humiliée, ni plus traitée contre son tempérament. Si j’avois fait un Lettre 1676 bon usage de tout ce que j’ai souffert, je n’aurois pas tout perdu, il faudroit peut-être m’envier ; mais je suis impatiente, ma fille, et je ne comprends pas comment on peut vivre sans pieds, sans jambes, sans jarrets et sans mains. Il faut que vous pardonniez aujourd’hui cette lettre à l’occupation naturelle d’une personne malade ; c’est à n’y plus retourner, et dans peu de jours nous serons en état de vous écrire tout comme les autres. Il me semble avoir entendu dire, pendant que j’avois la fièvre, que votre cardinal Grimaldi[4] étoit mort : j’en serois en vérité bien fâchée. Adieu, ma chère enfant : avec tout cela mon mal n’a été que douloureux, et tous ceux qui prennent intérêt à moi n’ont pu trouver un moment sujet d’avoir peur ; ma fièvre même étoit nécessaire pour consumer l’humeur du rhumatisme, et présentement que je n’en ai plus, il n’y a qu’à attendre patiemment le retour de mes forces, et que l’enflure se dissipe. J’embrasse M. de Grignan. La princesse a fait des merveilles pendant ma maladie.

de charles de sévigné.

Je n’ai plus rien à vous dire après cela, ma petite sœur, si ce n’est que nous venons d’avoir une dispute le bon abbé et moi : il dit que l’écriture de ma mère, telle qu’elle est, étoit nécessaire pour vous rassurer ; moi je soutiens qu’elle est beaucoup plus propre à vous épouvanter, et que vous nous auriez bien fait l’honneur de vous en rapporter à nous sur la santé de ma mère, et que notre style vous auroit ôté vos inquiétudes. Voilà ma pensée ; car je ne crois pas que vous me soupçonniez d’une assez grande force d’esprit pour écrire des plaisanteries dans le temps que je serois frappé de quelque 1676chose de terrible : mandez-nous votre avis, pour terminer notre dispute. Je salue M. de Grignan, et baise la Dague[5] au front.



  1. 496. — Dans l’édition de 1734, la lettre est datée du 12 février, et l’on n’y a pas fait de distinction entre ce que Mme de Sévigné écrit de sa main et ce que son fils écrit sous sa dictée.
  2. Les mots le neuf de mon mal ne sont que dans l’édition de 1754.
  3. Cette alcôve, accompagnée de deux petits cabinets, a été conservée dans la chambre à coucher de Mme de Sévigné aux Rochers ; on y voit encore son lit de satin jaune, brodé aux Indes, en soie de couleur, or et argent. (Note de l’édition de 1818.)
  4. Cette nouvelle était fausse ; il ne mourut qu’en 1685. Voyez tome II, p. 166, note 5.
  5. Mlle de Montgobert. Voyez la lettre du 23 février suivant.