Lettre sur le monotheisme des Chinois/Lettre/Divinité

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II.


NOTIONS DES CHINOIS SUR LA DIVINITÉ, EXTRAITES DES AUTEURS LES PLUS CÉLÈBRES.


Je passe donc à l’autre point que je me suis proposé, et je l’entame par ce raisonnement, qui est, dit-on, comme la base de l’opinion que je combats : « Tous les Lettrés modernes suivent Tchou-hi ; or, Tchou-hi est athée, donc tous les Lettrés modernes sont athées. »

Je réponds que les prémisses de cet argument sont toutes deux fausses, et je le démontre.

Il est faux que tous les (lettrés) chinois modernes suivent Tchou-hi. Cela ne regarde tout au plus que les petits écoliers qui, dans leurs compositions sur les Sse-chou (4 livres classiques), se conforment à l’ordinaire aux interprétations de Tchou-hi, n’en ayant point vu d’autres. S’ils avaient assez d’esprit et d’études pour montrer clairement qu’ils ont raison de ne le suivre pas en tel et tel endroit, et si leur amplification était d’ailleurs vive et élégante, cela ne les empêcherait nullement d’être reçus bacheliers, au contraire. Mais pour les Lettrés qui sont assez savants pour commenter quelqu’un des livres anciens, il n’est pas rare de voir Tchou-hi abandonné et même réfuté avec succès.

On a imprimé un gros Recueil de gloses sur les Sse-chou, ou Quatre livres moraux, qui a pour titre : 四書異同條辨 (Sse-chou i thoung tiao pien). Ce ne sont point les variations de Tchou-hi, mais c’est un recueil de diverses explications tant conformes que contraires à celles de Tchou-hi ; ce qui montre que Tchou-hi n’est pas aussi généralement suivi qu’on voudrait le faire croire. Quand il s’agit des King, on le quitte encore bien plus aisément. Il n’a commenté que le Chi-king et le Y-king. Plusieurs savants le reprennent d’avoir donné un sens galant et lascif à bien des odes du premier de ces livres ; et pour l’Y-king, l’empereur Khang-hi et quantité d’autres docteurs le quittent et le réfutent assez souvent, comme il est facile de le voir dans les Commentaires de Khang-hi, appelés 周易折中 Tchéou-y-tche-tchoung[1]. Enfin dans la physique, le système de Lien-ki et de Tchou-hi est frondé dans plusieurs Iraités faits exprès qui se trouvent dans les huit derniers volumes du Sing-li-hoëi-toung.

Il est encore plus faux que Tchou-hi et les auteurs qui le suivent soient athées. Je l’ai déjà prouvé en exposant leur système, et je vais le faire encore plus efficacement en rapportant plus fidèlement les paroles de Tchou-hi et des autres philosophes. On ne peut mieux les justifier qu’en priant les gens équitables d’écouter seulement ce qu’ils vont dire.

1° On lit dans le Chouë-koua ces paroles : « Le Seigneur sortira de l’Orient[2] ; et Tchou-hi dit que le Seigneur c’est le souverain maître du ciel (et de la terre)[3]. »

Hou-ping-wen, sur le même texte, parle ainsi[4] :

« Depuis ces mots : il sortira [il est sorti] de l’Orient, jusqu’à ceux-ci : il accomplira sa parole sur la montagne[5], c’est l’ordre dans lequel toutes choses sont produites et mises dans leur dernière perfection. Mais qui leur a donné l’être, qui les a perfectionnées ? Il faut nécessairement qu’il y ait un maître absolu qui ait fait tout cela ; c'est pourquoi on lui donne le nom de Seigneur, »

Yu-yen, dans le même sens, dit a que le Seigneur c’est le

Ciel ; et parce qu’il gouverne en maître absolu tout l’univers, on l’appelle Seigneur[6]. »

Leang-yn tient le même langage. « Le Seigneur c’est le maître souverain du Ciel ; c’est de lui que toutes choses ont reçu l’être et la perfection 2. »

Je reviens à Tchou-hi, car c’est de lui principalement qu’il s’agit. On lui apporte divers passages des King d’où l’on conclut que cette voûte azurée qui roule sur nos têtes a un véritable maître qui la gouverne ; et il répond « que c’est la Raison » (li) qui le fait ainsi[7]. » Et un peu plus bas il dit : « Vouloir qu’il y ait dans le ciel un homme qui marque et juge les crimes, cela ne se peut ; dire aussi que la Raison n’a point de maître qui la gouverne, cela se peut encore moins 4. » Quel qu’un lui demande quel est le sens qu’on donne au caractère thiên dans les livres anciens. Il répond « qu’il faut bien prendre garde de s’y tromper ; car, tantôt il désigne la voûte azurée, tantôt il signifie le souverain arbitre de toutes choses, et tantôt il dénote seulement la raison[8] »

Dans un autre endroit, il redit la même chose, « que le Ciel c’est la Raison, mais que la voûte azurée c’est aussi le Ciel, et que celui qui est en haut et qui a le souverain domaine, c’est encore le Ciel[9]. »

On voit par ces deux derniers passages que le mot thién a plusieurs sens fort divers, puisqu’il se prend pour dire la Raison, le Ciel matériel et le Maître du monde. Et pour peu qu’on sache la langue chinoise, on sent d’abord quel est le sens qu’il a dans les divers endroits où il se trouve. Meng-tsee dit que « quand on connaît sa nature [à soi] on connaît le Ciel[10] » — Tout ce que j’ai vient de là, dit Tchou-hi (dans son commentaire) ; par conséquent, quand je sais ce que je suis de ma nature, dès lors je connais nécessairement le Ciel[11]. »

Les interprètes du Ge-kiâng (explications journalières) expliquent très-bien Meng-tsee :

« C’est le cœur, disent-ils, qui gouverne en maître tout le corps de l’homme ; ce cœur, c’est l’esprit intelligent de l’homme ; la nature, c’est la raison que ce cœur connaît ; mais c’est le Ciel qui nous donne et ce cœur et cette nature. Conserver donc cette lumière céleste, sans jamais l’éteindre, c’est servir le Ciel et ne lui être jamais rebelle[12]. »

Tsee-sse[13] commence son Tchoung-young par ces mots : « L’ordre du Ciel, c’est ce qui s’appelle la Nature. » — « Voilà, dit Tchou-hi, la première source et la commune origine de toutes choses[14] » Et ailleurs il ajoute que ce beau mot de Toung-tsee[15] : « La grande source de la sagesse vient du Ciel, » c’est ce que dit Tsee-sse dans cet endroit.

Confucius disait qu’à l’âge de 50 ans il connut l’ordre du Ciel. « Il connut, dit Tchou-ki. d’où est sortie la Raison[16]. « Savoir l’ordre du Ciel, dit-il ailleurs, c’est savoir d’où l’on vient 5. Quelqu’un, dit-il encore, me citera ce mot de Tching-tsee[17] ; Quand on désigne le Maître souverain, on dit : Ti, le Seigneur. — On me demandera qui est ce Maître souverain ? — Je réponds : Il y a très-certainement un souverain Seigneur, car le ciel, très-fort et très-rapide, roule naturellement sans cesse. Or, la cause pourquoi il tourne ainsi sans s’arrêter, c’est qu’il y a sans doute un Maître souverain qui le gouverne. Mais il faut que chacun réponde en soi-même sur ces sortes de questions, car il n’y a point de paroles qui puissent exprimer cela[18]. »

Enfin, il dit encore ailleurs :« Que l’amour unisse le père et le fils, et la justice le roi et le sujet ; la raison le veut ainsi. Mais cependant il faut qu’il y ait une Raison supérieure qui nous enseigne ces vérités, et ensuite nous les connaissons. Mais ce n’est point ce que les bonzes disent, qu’il y a trois Seigneurs très-purs, qui ont tels et tels habits et qui sont assis de telle et telle manière[19] »

Il est rapporté dans le Chou-king que le Seigneur apparut en songe à Kao-tsoung et lui dit : « Je vous donne un ministre fidèle. » Écoutons Tchou-hi raisonner sur ce fait :

« Cela étant ainsi, comme on n’en peut douter, il faut qu’il y ait un Seigneur du Ciel qui dit à Kao-tsoung : Je vous donne un ministre fidèle. » — On veut que Ti signifie Seigneur, et on prétend qu’il n’a point de figure. Je crains que cela ne puisse convenir au fait en question. Recourir aussi à ce que le peuple appelle 玉皇上帝 Yu hoang Chang-ti, ce serait encore pis. Quand Kao-tsoung voit en songe le Seigneur qui lui donne un ministre d’État, certainement il faut que ce Seigneur existe. Nier ce fait, ou dire que ce n’est que la Raison du ciel, cela ne se peut[20].

Ce qui embarrasse Tchou-hi, c’est qu’il ne conçoit pas comment un être spirituel peut apparaître sous une figure empruntée.

Il se tire plus aisément de l’endroit où Confucius se plaint qu’il ne voit plus Tchéou-koung en songe. Il suppose d’abord que Tching-tsee ne croit pas que Confucius vit quelqu’un en songe, et il répond : « Puisque le texte dit clairement que Confucius voyait en songe Tchéou-koung, dire nettement qu’il ne l’a point vu, je pense que cela ne serait pas juste[21] »

Quoi qu’il en soit, voici un véritable Seigneur qui apparaît en songe : le fait ne peut se nier. Ce n’est pas Yu-hoang Chang-ti ; ce n’est pas précisément la Raison du ciel ; ce n’est pas le Ciel matériel. Reste donc que ce soit 天帝 Thien-ti (le Seigneur du ciel), comme il le dit d’abord.

Sur ce même endroit du Chou-king, Tchang-chi parle ainsi : « Désirer nuit et jour avec toute la sincérité de son cœur un sage, c’est assez pour s’unir au cœur du suprême Ciel qui produit les sages. Or, le cœur de Kao-tsoung s’unissant ainsi au cœur du suprême Ciel qui fait les sages, comment le suprême Ciel ne répondrait-il pas aux sincères désirs du cœur de Kao-tsoung qui n’a demandé qu’un sage[22]. »

2° Dans le Ckou-king, chapitre Chun-tieu, on lit ces mots :

« Il sacrifia au suprême Seigneur. » Tchou-tsee-fa dit que le mot loueï est le nom d’un sacrifice au Ciel, mais qu’on en ignore le sens propre[23].

Yang-tsiao dit « qu’il y a des auteurs qui expliquent loueï par ho « unir, » pour dire : unir le Ciel et la Terre dans le même sacrifice. Mais c’est expliquer de travers le texte des King pour faire valoir leur opinion fausse, et cela ne mérite pas de réponse... L’auguste Seigneur du ciel est le seul digne de tout respect, parce qu’il na point d'égal. Soit donc qu’on fasse deux maîtres en élevant l’autel du nord pour combattre le maître du ciel, soit qu’on les unisse comme on fait le père et la mère après leur mort, l’un et l’autre sont également contraires à la raison et aux rites[24] »

Ces quatre mots ; 至尊無丵 tchi tsûn woû toui, qui marquent si bien l’unité de ce Seigneur Souverain, se rencontrent en mille endroits des livres chinois. Sous la dynastie des Soung, un empereur (Hoei-tsoung) s’avisa de donner au Seigneur le titre de 玉皇 Yu-Hoang. Kiéou-Man-chan[25] cité dans [l’ouvrage de] Youen-leao-fan, s’exprime là-dessus en ces termes : « Entre tous les esprits célestes, celui qui mérite un respect sans bornes, c’est le Seigneur ; nos livres l’appellent 昊天上帝 Hao thién chàng ti, le suprême Seigneur du très-haut ciel. Le mot ti nous apprend qu’il est seigneur et maître ; on y ajoute thién, et à thién on joint hào pour dire que son domaine s’étend Jusqu’au plus haut des cieux. On dit enfin que ce Seigneur est suprême chàng, pour avertir qu’il n’y a point d’autres maîtres au-dessus de lui. C’est quelque chose d’extrême et on ne peut rien y ajouter. La grandeur du Ciel est au-dessus des paroles ; la majesté du Seigneur ne souffre point d’égal. Dans tout l’univers, il n’y pas un seul être que le Ciel ne produise, pas une seule affaire que le Seigneur ne gouverne. Lorsqu’on lui sacrifie, on n’ose faire de grands préparatifs ; on craindrait de lui marquer par là trop peu de respect ; comment donc oser lui offrir un titre creux et vain, comme celui de 玉皇 Yu hoang ? N’est-ce pas le comble du mépris ? Si un roi, bien que d’une vertu médiocre, voit un de ses sujets lui donner quelque nouveau titre honorable, il entre en colère et le chasse comme un vil adulateur. Dira-t-on qu’il n’y a que le Seigneur du ciel qu’on puisse impunément flatter par les vains titres qu’on lui donne ? Le roi sert le Ciel comme un sujet sert son roi. Si un sujet traite son roi avec mépris, il en est puni de mort ; comment donc un roi qui méprise le Ciel pourrait-il éviter le châtiment qu’il mérite[26] ? »

L’empereur Hoeï-tsong mourut misérablement hors de la Chine, dans le désert de Tartarie, nommé Cha-mo. « Hélas ! s’écrie Man-chan, que ce châtiment est terrible ! »

C’est donc ne connaître guère la jalousie des Chinois sur l’unité du souverain Seigneur que de s’imaginer qu’ils adorent cinq maîtres, mais c’est être peu jaloux de sa réputation que d’aller débiter de semblables rêveries.

Lo-pi[27] cite Yang-sou qui dit : « Le Ciel est unique ; comment peut-il y avoir cinq maîtres[28] ? » Les 五帝 ou-ti (cinq maîtres) sont cinq empereurs dont Fou-hi est le premier. Lo-pi cite encore Kia y[29] et Ma-jong[30] qui soutiennent aussi que ce sont des hommes. Mais sans avoir recours à ces autorités, qui a dit à ces écrivains que ce n’est pas le seul et vrai Seigneur qui est présent à tous les temps et à tous les lieux ; qui est un et qui est tout : xal sTç xai Tràvta, comme dit saint Grégoire ? Le ciel et la terre, les cinq éléments et toutes les créatures sont autant de symboles divers du même Créateur qui les a faites, qui seul n’a point d’égal : 至尊無丵 tchi tsûn woû touï (extremi excelsi non bini simul) et par conséquent ne peut pas être deux. C’est ce que dit le Li-ki : 尊無二上 tsûn woû eulh chang (excelsi non duo domini « il n’y a qu’un seul souverain. »

3o  Le Chou-klng, chapitre Hong-fan, dit « que le ciel a des secrets ressorts pour rendre les peuples heureux[31]. » Le commentaire 正義 tching-y (véritable sens) parle là-dessus d’une manière bien remarquable.

« L’homme, dit Khoung-chi[32], doit au Ciel sa naissance ; c’est le Ciel qui nous donne le corps et l’âme. Tout homme a un corps matériel et une nature spirituelle, une âme qui connaît[33]. L’homme étant ainsi fait, le Ciel ne cesse de l’assister. Ce n’est pas seulement en lui intimant les ordres après lui avoir donné un corps visible et un cœur intelligent ; mais il l’assiste encore d’une manière particulière, car il n’y a personne de nous qui ne pense, qui ne parle, qui n’agisse, qui ne discerne le vrai du faux et le bien du mal ; tantôt on est dans l’abondance et tantôt dans la disette. Il y a un usage à observer dans la manière de se vêtir et de se nourrir ; il y a une règle que l’on doit suivre dans quel que état que l’on se trouve ; mais c’est du Ciel que tout cela nous vient[34], il y a dans tout cela une Raison immuable que nous connaissons et qui est comme le droit chemin qu’il faut suivre. Si on le suit, on est heureux ; si on s’en écarte, on ne peut être tranquille. Et voilà comment le Ciel nous aide, s’unissant à nous pour nous rendre heureux, en faisant que nous marchions constamment dans la voie de la vie éternelle[35]. »

Tsaï-yu-tchaï, écrivant sur un endroit de Meng-tsee, dit[36] :

« J’ai appris de mes maîtres que les deux joints dont on parle ici sont dans notre nature et nous sont donnés par le Ciel. L’un regarde le cœur de l’homme, l’autre le cœur de la raison[37] ; l’un et l’autre, c’est la nature de l’homme. Les cinq choses dont Meng-tsee parle en premier lieu sont les objets sensibles et se rapportent au cœur de l’homme ; les cinq autres dont il parle ensuite sont au-dessus des sens et appartiennent au cœur de la raison. Le cœur de l’homme, de soi, n’est point opposé à la loi céleste ; le cœur de la raison ne suit qu’elle. Dr, la raison et la matière viennent du Ciel, et de là on dit que ce sont les ordres que le Ciel nous donne. »

C’est la pure doctrine de Tchou-hi. « Le Ciel, dit-il, produit cet homme ; c’est comme l’empereur fait ce mandarin. L’homme a cette nature, comme ce mandarin a l’office dont on l’a chargé[38] » |

Et ailleurs : » Le Ciel produit l’homme et lui enseigne je ne sais combien de doctrines ; c’est lui donner je ne sais combien de charges et de devoirs à remplir[39]. »

Et dans un autre endroit : « Le Ciel vous a fait naître et il a gravé dans votre cœur les principes de la sagesse ; mais les suivre ou ne les suivre pas, cela dépend de vous. Vous pouvez faire le bien ; vous pouvez aussi faire le mal. C’est pourquoi le Ciel a mis sur le trône un roi et tout ensemble un maître, afin de vous rendre parfait. Après vous avoir donné la nourriture du corps, il vous instruit de vos devoirs, afin que tout le monde les remplisse[40]. »

On m’objectera qu’on fait à Tchou-hi cette difficulté : « Il s’ensuit que quand le Ciel et la Terre produisent un Saint ou un Sage, c’est par pur hasard et sans aucun dessein de leur part. » Tchou-hi répond : « Quand est-ce que le Ciel et la terre ont dit : Allons ! je veux faire éclore un Saint ou un Sage ! C’est la matière qui, en certaine quantité, s’unit et s’assemble en certain lieu, d’une certaine manière ; et de là naît un Saint ou un Sage ! Quand il est né, c’est comme si le Ciel avait eu le dessein formel de le faire naître[41]. »

Je réponds, moi, que, si on ne peut accorder ces paroles de Tchou-hi avec ce qu’il a dit sur le songe de Kao-tsong, et avec ce que j’ai rapporté de lui dans la page précédente, il faut convenir que Tchou-hi se contredit pitoyablement. Or, les Chinois n’en conviendront pas ; mais ils conviendront encore moins que Tchou-hi prétende anéantir la doctrine du Chou-king, dont le principal article, comme dit le Ge-ki (l’explication journalière), consiste dans le dessein que le Ciel a en les rois[42]. En effet, au chapitre Taï-chi, le texte dit : « Le ciel assiste les peuples ; il leur donne un roi, il leur donne un docteur[43]. »

Au chapitre Yen-yeou-y-te (du Chou-King), il est dit : « Le roi Hia méprise les esprits et tyrannise le peuple. Le Ciel lui refuse son secours, et jetant ses regards sur tous les coins de l’univers, il cherche un homme dont la vertu ne soit point mélangée, afin de l’instruire et de le placer sur le trône. »

« Le Ciel, dit [le commentaire] Tching-y, regarde de tous côtés ; il cherche un homme capable de recevoir ses ordres pour régner sur la terre. Il l’élèvera, il l’établira, il le conduira ; mais il veut une véritable vertu qui seule est digne de son amour[44]. »

Le Chi-king parle le même langage :

« L’auguste et souverain Seigneur a les yeux sur tous les hommes ; plein de majesté, il promène ses regards par tous les quatre coins de l’univers ; il cherche le moyen de rendre le peuple heureux[45]. »

« Le sens de cet endroit, dit Tchou-hi, c’est que le Ciel regarde partout et qu’il ne cherche qu’à procurer la paix au monde[46]. »

 

Il me semble que j’ai droit, après cela, de dire que le passage qu’on m’a opposé est de ceux où Tchou-hi fait le physicien. Il veut expliquer machinalement comment se fait la naissance de l’homme ; les Saints ne sont point en cela distingués du vulgaire. A-t-il dit quelque part que c’est un pur hasard que Kie et 'Tchéou[47] aient perdu l’empire, a-t-il dit que Tching-tang et Vou-vang soient montés par pur hasard sur le trône, sans que le Ciel s’en soit mêlé ? Ne dit-il pas, d’après les King, tout le contraire ? Ces sortes de passages ne peuvent donc rien prouver.

4° Dans le Chou-king, chapitre Kao-yao-mou, on dit « que l’homme travaille à la place du Ciel, et qu’ainsi son ouvrage est l’ouvrage du Ciel[48]. »

Ou-lin-tchouen explique très-bien cela : « Ce que l’empereur fait, c’est ce que le Ciel veut qu’il fasse en sa place, c’est la charge que le Ciel lui donne ; mais l’empereur ne peut pas faire tout par lui-même ; il partage donc ses fonctions avec ses sujets, et par conséquent tout ce que font les mandarins, c’est à la place du Ciel qu’ils le font[49]. »

Et au chapitre Taï-tchi, après avoir dit que c’est le Ciel qui donne au peuple un roi pour le gouverner et pour l’instruire, il ajoute :

« Et parce qu’il est le ministre du Seigneur suprême, le Ciel donne la terre tout entière : les mandarins sont les ministres du roi, et le roi est le premier ministre du Seigneur[50]. »

C’est pourquoi, comrtie l’a bien remarqué Van-chang-lie, « le saint auteur des King rapporte tout au Ciel. S’il s’agit de la volonté et des commandements du Ciel, il dit : « La volonté et les commandements du Ciel ; s’il s’agit de la nature, il dit : « La nature qui nous est donnée du Ciel ; s’il s’agit de la raison : c’est la raison du Ciel ; la vertu : c’est la vertu du Ciel ; la loi : c’est la loi du Ciel ; la place et la dignité qu’on occupe : c’est la place et la dignité du Ciel ; les appointements : ce sont les appointements du Ciel ; les charges : ce sont les charges du Ciel ; les dispositions : ce sont les dispositions du Ciel ; les peines ou les châtiments : ce sont les peines ou les châtiments du Ciel. Enfin, il dit : Connaître le Ciel, servir le Ciel, réjouir le Ciel, craindre le Ciel, imiter le Ciel[51]. »

Il faudrait avoir perdu la raison pour entendre tout cela du Ciel matériel, qui n’est qu’un symbole du Seigneur suprême. C’est ce que Lieou-chi-liu dit positivement en écrivant sur ce passage de l’Y-King :

« Oh ! que Kien, le premier principe, est grand ! Il donne le commencement à toutes choses, il le fait marcher comme il veut[52]. — Il n’y a rien qui nous paraisse plus grand que le Ciel, dit-il encore 4. » « Cependant le texte dit qu’il est gouverné, qu’il est conduit ; et on peut de là se former une légère idée de ce qu’il appelle 乾元 Kien youen. Aller prendre ce qui est gouverné, ce qui est mené, pour celui qui mène et qui gouverne, c’est être bien loin de la vérité. Kien youen est invisible et ineffable, mais il n’y a rien qu’on voie mieux et dont on puisse tant parler que du Ciel. C’est pourquoi l’Y-king prend si souvent le Ciel pour un de ses principaux symboles ; mais l’Être désigné par Kien ne se borne pas au Ciel, qui n’est qu’une faible image de quelques-unes de ses perfections. »

5° Le Chou-king, chapitre Tai-kia, dit ;

« Le Ciel n’a point d’amour particulier pour personne ; i[53] n’aime que ceux qui veillent sans cesse sur eux-mêmes 1. »

« Le Ciel est très-élevé au-dessus de nous, dit Youen leâo fan ; il a de la majesté, mais il n’a point d’affection parliculière pour personne. Quand vous veillez avec attention sur vous-mêmes, votre cœur est uni avec le suprême Seigneur, Chang-ti, et c’est alors que le Seigneur vous aime ; mais du moment que vous vous oubliez, le Seigneur ne vous aime » plus[54]. »

Au chapitre Yen-yeou-y-te, le texte dit :

« Il est difficile de compter sur la protection continuelle du Ciel. — Si vous faites bien votre devoir, dit le Ge-ki, il vous récompense ; si, demain, vous vous relâchez, il vous châtie. »

Tckou-hi, sur l’ode 敬之 King-tchi (du Livre des Vers), s’exprime ainsi :

« La raison du Ciel est très-intelligente ; il n’est pas aisé de conserver ses dons. Ne dites pas : Il est bien loin de nous ; il ne nous voit pas ; sachez qu’il est clairvoyant, qu’il descend et qu’il entre dans tout ce que vous faites, qu’il est présent à tout, et qu’il voit tout ce qui se passe ici-bas. C’est </noinclude> faisons est écrit dans le cœur du Seigneur suprême 1. »

Tchou-hi s’explique ainsi sur ce passage :

« Ce Ciel sait le bien et le mal que nous faisons, comme s’il avait écrit tout cela sur un registre exact. Si vous faites quelque bonne œuvre, cela est écrit dans le cœur du Seigneur. Si j’ai commis quelque péché, le Seigneur a aussi écrit cela dans son cœur 2. »

Le Ge-ki cite le Chouë-wen qui explique kien par yuë, et yuë par compter exactement à la porte. « C’est, dit le Ge-ki, compter un à un tout ce qui sort du logis. Dire donc que tout cela est dans le cœur du Ciel, c’est dire que le Seigneur écrit nos mérites et nos péchés dans son cœur comme dans un livre de comptes[55]. »

Au chapitre Yuë-ming, le Choû-king dit :

« Il n’y a que le Ciel seul qui ait une intelligence parfaite[56]. »

Écoutons le Ge-ki développer les deux mots 聰明 tsong ming du texte[57]. « Dire que le Ciel est souverainement intelligent parce qu’il châtie et qu’il récompense, ce n’est qu’une partie de ce que les deux caractères renferment. L’intelligence du Ciel, dit Tchou-hi, s’étend généralement à tout ; expliquer cette pénétration du Ciel par le peuple, ce n’est point le sens de ce passage-ci. Le Ciel ne parle point et on le croit ; l’esprit ne se fâche point, et on le craint. Il est la vérité même : c’est pourquoi on le croit ; il n’a aucune inclination particulière : c’est pourquoi on le craint. Le Ciel incompréhensible s’appelle esprit ; l’Esprit éternel et immuable s’appelle Ciel. Dire qu’on le croit parce qu’il est la vérité même, c’est dire que sa raison est très-solide et que sûrement il n’erre jamais. Dire qu’on le craint parce qu’il n’a aucun égard pour personne, c’est dire qu’il n’a point d’affection déréglée ; il est la justice même, et on ne se moque pas impunément de lui. Enfin dire qu’il est éternel, immuable, incompréhensible, c’est apporter la raison pourquoi il est tsoung ming [souverainement intelligent et pénétrant]. »

Tsaï Kieou-fong dit aussi « que le Ciel entend tout et voit B tout, parce qu’il est infiniment juste[58]. »

Les commentaires Ge-kiang [explications journalières] ne parlent pas avec moins de clarté et moins de force :

« Le Ciel est élevé au-dessus de tout ; il est simple, il est juste, il est esprit, il est intelligence ; sans avoir besoin de regarder, il voit tout ; non-seulement dans ce qui est public, comme l’administration de l’empire bonne et mauvaise, et ce qui rend le peuple heureux ou malheureux ; rien ne lui est caché. Mais même dans les réduits les plus obscurs et dans le plus secret des maisons, lorsqu’on croit n’être vu ni entendu de personne, le Ciel entend tout, voit tout ; il éclaire tout, il examine tout, sans que rien puisse lui échapper. »

7° Dans le Chou-King, chapitre To-fang, on fait voir comment le Ciel se comporte envers les méchants. Les interprètes suffisent pour faire sentir toute la beauté du texte. Le 合參 Ho-tsan, ou la paraphrase 正解 Tching-kiaï, dit : « Le roi Hia était criminel ; le suprême Seigneur lui envoya des calamités non communes, afin de l’avertir de se corriger. Il voulait d’une volonté très-sincère que ce méchant prince, saisi de crainte, tâchât de s’amender et de remplir ses devoirs envers le Ciel et le peuple. »

« Mais, comme dit le Ge-ki, plus les avertissements du Ciel étaient forts, et plus les crimes de Kie allaient croissant[59]. »

« Le Ciel, continue le Ho-tsan, ne peut encore se résoudre à l’abandonner. Toutes les fois que, dans diverses occasions, il lui venait quelques bonnes pensées, c’étaient autant de moyens que le Seigneur employait pour l’éclairer et le convertir. »

Tsaî Kieou-fong (Tsaï-chin) dit les mêmes choses encore plus fortement. « Soit que Kie vît, soit qu’il entendît quelque chose, en quelque lieu qu’il fût, et dans les accidents les plus ordinaires de la vie, il était comme environné du Seigneur suprême, qui se servait de tout cela pour l’avertir, pour l’éclairer, pour l’exciter à se convertir[60]. »

« Il n’y a point de si grand scélérat, dit le Ge-ki, qui n’ait, dans certains moments, quelque bonne pensée. C’est le Seigneur qui, partout et en tout temps, excite les hommes par des mouvements secrets à changer de vie[61]. »

Yao-ching-yen ajoute « qu’on ne peut assez goûter ces trois mots du texte 帝之迪 ti tchi ti. Il est évident que le suprême Seigneur nous ouvre une belle carrière pour nous conduire au bien ; mais il y a des misérables qui, comme abrutis par une longue habitude dans le vice, ne prennent point cette route de salut ; ils sont abandonnés du Ciel, parce qu’ils l’ont abandonné[62]. »

Le texte ajoute « qu’il ne faut qu’une pensée pour faire d’un sage un fou, et d’un fou un sage. »

« Si les rois Yao et Chun, dit le Ge-ki, avaient cessé de veiller sur eux-mêmes, dès lors ils seraient entrés dans la voie des méchants. Si Kie et Tchéôu s’étaient amendés, dès lors ils auraient commencé à marcher dans les sentiers de la sagesse. Les méchants ne changent point, dit Confucius, il est vrai, mais ils peuvent changer. Ce n’est que parce qu’ils désespèrent et s’abandonnent eux-mêmes qu’ils ne veulent point s’amender. S’ils le voulaient sincèrement une seule fois, ce serait ce que dit le texte : par une bonne pensée passer de la folie à la sagesse[63]. »

Tsaï Kieôu-fông, parlant de Tcheoû, dit aussi : « Bien que ce malheureux roi fût rempli de crimes, il pouvait encore changer de vie et tourner au bien. C'est pourquoi le Ciel ne pouvait se résoudre à l’abandonner ; il l’attendit pendant cinq ans. — Quelque méchant que soit un homme, s’il se lave de ses crimes (s’il les expie), il peut offrir des sacrifices au Seigneur (Chang-ti[64].) »

8° « Les hommes de ce siècle, dit le Chî-king, sont si méchants, qu’ils s’imaginent que le Ciel s’endort sur leurs crimes et ne prend aucun soin des choses humaines. Sitôt que le jour déterminé sera venu, nul homme ne pourra vaincre le Ciel et lui échapper. Le Seigneur est le Seigneur, et on ne peut pas dire qu’il ait aucune haine[65]. »

Tchou-fàng-tching[66], cité dans le Tching-kiaï, explique ainsi ce dogme important :

« Récompenser les bons et punir les méchants, c’est la conduite ordinaire du Ciel. Si les gens de bien ne sont pas encore récompensés, ni les méchants punis, c’est que le jour qu’il a déterminé n’est pas venu. Tant que ce jour n’est point encore arrivé, le Ciel se laisse vaincre par les hommes ; mais quand ce jour paraîtra, le Ciel certainement sera plus fort que tous les hommes ensemble. Quand nous voyons aujourd’hui quelqu’un que le Ciel châtie, qui sait si demain il ne lui fera pas quelque faveur ? Et quand nous voyons, au contraire, quelqu’un que le Ciel récompense, qui sait si demain il ne le punira pas ? Quand le Ciel châtie, on dirait qu’il est en colère et qu’il agit par haine ; mais punir ceux qui méritent d’être punis, c’est la raison qui l’exige. Pourquoi le Ciel haïrait-il ceux qu’il châtie ? Si vous comprenez bien qu’il punira un jour les pécheurs sans le moindre mouvement de haine, vous comprendrez aussi que s’il ne les punit pas encore, cela ne vient point d’une molle indulgence qu’il aurait pour eux. Le temps qu’il a déterminé n’est pas encore venu, mais il viendra très-immanquablement. Il n’y a qu’un point que nous ignorons : c’est quand viendra ce jour qu’il a ainsi déterminé. »

Pourrions-nous parler plus exactement dans le Christianisme même ?

9o  Le peuple chinois n’est point différent des lettrés dans l’idée que tous les hommes ont de la Divinité. Je pourrais en apporter mille exemples tirés des comédies et des livres écrits en style populaire. La petite chanson qui suit et qui est dans la bouche de tout le monde me suffit.

1. « Le Ciel a un cœur ; sa mémoire ne le trompe pas. Devant lui la vertu est vertu et le crime est crime.

2. » Le Ciel a une bouche ; il parle sans parler comme nous. Quand il est content, il ne rit point ; quand il se fâche, il ne dit point d’injures.

3. » Le Ciel a des yeux, il nous connaît tous. Devant lui, ce qui est faux est faux, ce qui est vrai est vrai.

4. « Le Ciel a des oreilles, il entend clair. On peut lui dire ce qu’on veut, il ne rebute personne[67]. »

(Voici le texte chinois et la transcription de cette curieuse chanson, en quatre strophes de deux vers, de chacun six syllabes, et rimant ensemble :


1   天有心。記不錯 Thién yeôu sin ; ki pou thso ;

Coelum habet cor ; memoria (ejus) non errat ;

善是善。惡是惡 Chén chi chén ; ’o chi ’o ;

Virtus est virtus ; malum est malum.


2   天有口。不說話 Thién yèou keôu ; pou chouë hoa.

Coelum habet os ; non loquendo loquitur.

喜不笑。怒不罵 hi pou siâo ; nou pou ma.

Lætus, non ridet ; iratus, non objurgat.


3   天有眼。認得人 Thién yeôu yèn ; jen te jin.

Coelum habet oculos ; benè cognoscit homines.

假是假。真是真 Kià chi kià ; tchin chi tchin.

Falsum est falsum ; verum est verum.


4   天有耳。聽得見 Thien yèou eûlh ; thing i xién ;

Cœlum habet aures ; audiendi facultate percipit.

任你言。你不厭 Jén ni yén ; thâ pou yen.

Ad libitum tu loqueris (ei) ; illud non impedit.)


J’ajoute que l’empereur régnant, dans les belles instructions qu’il donne fréquemment à ses peuples, tire tous les motifs qu’il leur apporte de la doctrine renfermée en abrégé dans les neuf articles précédents. Si le peuple était idolâtre et le mandarin athée, ne serait-ce pas une espèce de folie à l’empereur que d’aller si souvent débiter des dogmes auxquels les uns ne comprendraient rien, et dont les autres se moqueraient ! Mais certainement il n’en est pas ainsi. La nation chinoise est persuadée que le Ciel peut tout, qu’il est partout, qu’il voit et entend tout, qu’il est le père-mère des hommes, qu’il prend soin d’eux, qu’il les porte au bien, qu’il les détourne du mal, qu’il récompense la plus petite action vertueuse et qu’il punit les moindres fautes ; qu’il n’a point d’égal et qu’il est au-dessus de tout.

Cela est si vrai, que, quand nous prêchons contre les idoles, les Chinois, qui les servent, nous répondent qu’ils ne les honorent que comme autant d’intercesseurs auprès du Seigneur suprême. El ce n’est qu’après qu’on leur a montré qu’ils leur attribuent sans fondement un tel pouvoir, que, n’ayant plus d’espérance en leur secours, ils les abandonnent. Que nous serions heureux, s’il nous était aussi facile de leur faire adorer Jésus-Christ qu’il nous est aisé de leur faire quitter les idoles ! Mais, hélas ! depuis trente ans que je suis en Chine, j’ai la douleur de voir que chaque année on met de nouveaux obstacles à leur salut. Nous voilà enfin chassés de nos églises, voilà notre sainte religion authentiquement confondue, par l’empereur régnant[68], avec toutes les sectes impies et extravagantes que les lois de l’empire ont raison de condamner.


Et ce même empereur, qui dit souvent de Thien et de 上帝 Chang-ti tout ce que les prophètes ont dit du vrai Dieu, raille publiquement le nom de 天主 Thien-tchu que nous lui donnons, et blasphème contre l’Homme-Dieu que nous adorons[69], sans qu’aucun missionnaire ait osé écrire pour la défense de Jésus-Christ. Si on peut faire connaître ce Dieu sauveur sans se servir des termes de Thien et de 上帝 Chang-ti, et sans avoir recours aux anciens monuments, que ne le fait-on ? C’est une cause qui doit intéresser également tout ce qu’il y a de missionnaires en Chine. En quelle conscience peut-on laisser les Chinois dans la persuasion où ils doivent être que nous n’avons rien de bon à répondre, puisque nous ne répondons rien ? La moins mauvaise raison que je puisse apporter d’un tel silence, c’est que, d’un côté, on sent bien qu’une apologie dépourvue d’arguments tirés des King ne ferait nulle impression sur l’esprit des Chinois, et que, de l’autre, on craint d’aller peut-être contre les ordres de la Sacrée Congrégation, si on employait les mots de Thien et de 上帝 Chang-ti[70]. Voilà ce qui nous arrête. N’est-ce pas un point d’une assez grande importance pour qu’on expose au Saint-Siège l’état où nous sommes réduits, et l’extrême nécessité qu’il y a de faire une apologie claire et solide, dans laquelle on fasse connaître aux Chinois la vérité et l’excellence de notre sainte religion ? Mais comme cela regarde Messeigneurs les Évêques, je finis cette lettre comme je l’ai commencée, et je proteste tout de nouveau que j’aimerais mieux mourir que de violer en quoi que ce soit les définitions de la sainte Église. Mais, aussi, je ne crois point me tromper en pensant : 1° qu’elle n’a point décidé que les Chinois sont athées, et que les caractères Thien et 上帝 Chang-ti ne signifient pas le vrai Dieu ; 2° qu’elle n’a point défendu de démontrer que l’athéisme attribué aux Chinois n’est qu’une chimère, et que l’Homme-Dieu est l’objet principal des King chinois. C’est ce qui m’anime à mettre au jour les mystères du Dieu sauveur que j’ai déterrés dans ces King, monuments les plus obscurs et peut-être les plus anciens qui soient venus jusqu’à nous ; et bien que j’aie soixante-quatre ans, j’espère ne point mourir que je n’aie achevé un ouvrage[71] si glorieux à Jésus-Christ et à son Église.

DE PRÉMARE.
Canton, ce 10 septembre 1728.






Extrait des cahiers de Février et Mai, du tome III (5e série), des
Annales de philosophie chrétienne. — Paris, rue de Babylone, 10.



Texte incomplet en cours de correction
  1. L’édition du 易經 Y King intitulée Tchéou y tche tchoung, ou « le Y (King) des Tchéou, dans l’intérieur de laquelle édition toutes les choses inutiles (des Commentateurs) ont été retranchées, etc., » a été publiée par ordre de Kang-hi, comme celle des autres King ; mais les Commentaires que cette belle édition impériale (dont nous avons reçu récemment un exemplaire de Pé-king) reproduit, ne sont pas de Khang-hi, comme le dit le P. Prémare. Ces Commentaires sont ceux des critiques les plus célèbres, classés chronologiquement. (G. P.)
  2. Le Chouë-koua est un de ces petits traités qui se trouvent à la fin de l’Y-king. C’est là qu’on lit : 帝出乎震 ti tchou hoû tchin ; ce qui ne désigne pas plus le temps passé que le temps futur. (Pr.) Le P. Prémare n’est pas ici dans la vérité, nous devons le dire. Prise isolément, la phrase citée n’indique pas plus le passé que le futur, c’est vrai ; mais la suite du texte chinois ne permet pas de lui donner le sens futur. En effet, on lit dans la phrase suivante : 萬物出乎震 wén we tchou hoû tchin « omnes res prodiere in plaga orientali ». Si on mettait la première phrase au futur. Il faudrait aussi y mettre nécessairement la seconde et dire : Tous les êtres sortiront de l’orient ; ce qui serait absurde. D’ailleurs le P. Prémare lui-même, dans ses Recherches sur les temps antérieurs à ceux dont parle le Chou-king, imprimés en tête de la traduction du P. Gaubil, traduit ainsi le même passage chinois : « Dans le chapitre Choue-koua, on lit ces mots : Le Ti ou le Seigneur a commencé de sortir de l’orient (p. 14). » — « On parle ici, dit Hou-ping-wen, de l’ordre avec lequel toutes choses ont été produites et parfaites. » — Voici, en outre, comment le P. Regis, dans sa traduction latine du Y-king, a interprété le même passage : « Supremus Imperator prodiil seu » manifestavit movendo omnia in Tchin, coordinavit distinguendo quæcunque » m Seuen » (t. 11, p. 570). Au surplus, la question n’est pas dans le temps du verbe. (G. P.)
  3. Ces mots de Tchou-hi, 帝者天地主宰 ti chè, thiên ti tchoù tsai, se trouvent partout. Je les ai actuellement sous les yeux dans l’Y-king de Khang-hi, k. xvii, p. 10. (Pr.) — Tchou-hi ajoute dans son commentaire ; Tchao tseu a dit : Ce koua, ou symbole, a été établi, rédigé ainsi par Wen-wang. C’est ce que l’on appelle la doctrine du ciel secondaire (héou thiên hio). » — Cette doctrine, qui est celle de Wou-wang et de Tchéou-koung, est ainsi nommée en opposition à celle de Fou-hi et du Y-king qu’on appelle « doctrine du ciel primordial (sian thiên hio) ». (G. P.)
  4. Hou-ping-wen, surnommé Yun-foung, fameux docteur de la dynastie des Youan (1260-1279), a fait des notes sur l’Y-king de Tchou-hi. Cet ouvrage est dans le beau recueil Sin-khan-King-kiaî, et s’appelle Pèn-i-thoûng-chi. C’est à l’art, viii, p. 3. (Pr.)
  5. Il n’est pas question de montagne dans le texte chinois. Le caractère kén (rad. 136) 4 que le P. Prémare traduit par montagne, signifie, selon le texte lui-même, qui le définit ainsi : kén : toûng pe tchi koua yè « signe symbolique de l’orient et de l'occident réunis, ou de la limite qui les réunit, là où toutes choses prennent leur commencement et là où elles accomplissent leur fin. » (G. P.)
  6. Yu yen, de la même dynastie Youan, dans son Y-tsi-choue, commentant le Choue-koua, p. 9. (Pr.)
  7. Œuvres complètes en chinois, kiouen xlix, l. 4. (G. P.)
  8. Œuvres complètes en chinois, k. xlix, f° 25. (G. P.)
  9. Ib. k. xxxiv, f° 17. C’est dans une note sur le chapitre Tai’tchi du Choû-king. Voici le passage en entier : « Tchouang-tchoung fit cette question : Si le Ciel voit les regrets de notre peuple, si le Ciel entend les entendements de notre peuple, ce qu’on appelle le Ciel c’est donc la Raison (li) ? — Tchou-hi répond : Le Ciel c’est assurément la Raison (li) ; mais la voûte azurée, c’est aussi le Ciel, et celui qui réside en haut et qui a le gouvernement souverain : 在上而有主宰者 {tsai chàng eûlh yeôu tchcù tsàï tchè), c’est aussi le Ciel : 亦是天 (i chi thiên). Chaque sens se déduit du contexte du discours : 各隨地所說 (ko sôuï thâ ssà choué). Maintenant, en ce qui concerne les termes prononcés : voir et entendre, ils s’appliquent à la Raison (li) ; et bien que ceux qui en ont parlé ne soient pas d’accord sur la manière dont elle voit et entend, il demeure seulement certain que c’est un seul et même être 有却只是一箇 (yéou khio tchi chi i ko). » (G. P.)
  10. Meng-tseu fut disciple de Tseu-sse, petit-fils de Confucius. Son ouvrage fait partie des Quatre livres classiques. C’est au ch. vii du Liv. 2 qu’il s’exprime ainsi. (Pr.) Voici le texte : 知其性。則知天矣。.
  11. Voici le texte de Tchou-hi :
    凡吾所有者。皆自彼而來。
    Fân oû ssô yeôu tché, kiai tséu pi eûlh laï.
    Quælibet nos ea- quæ habemus (p. r.), omnia ab illo et veniunt.
    故知吾性。則然知天矣。 kou tchi où sing ; tse jân tchi thién i.
    Ideô cognoscere nostram naturam ; tunc verè cognoscere cœlum (p. f.)
  12. Les commentaires Ge-kiang furent faits à l’usage de Khang-hi étant enfant. Ils n’embrassent que les Sse-chou, le Choû-king et l’Yi-king ; c’est qu’ils suivent Tchang Ko-lao qui n’en avait pas expliqué davantage. Ce que le Ko-lao dit en langage familier, les Ge-kiang le disent dans un style net et plus élégant. (Pr.) Voici le texte chinois de ce commentaire : 以奉承乎天。而無违也。 i foûng tching hoû thién eûhl wou wéi yè.
    ad offerendum serviendum erga cœlum, et non refragari ».

    Nota. Dans ce mot-à-mot latin que nous donnons pour que le lecteur puisse mieux se rendre compte du vrai sens du texte, il ne faut chercher qu’un secours très-insuffisant pour arriver à ce but ; le style chinois moderne, par ses tournures de phrases, ses expressions composées, se prêtant moins bien que le style ancien à être rendu par un mot à mot quelque barbare qu’il soit.
  13. Tsee-sse, petit fils de Confucius. C’est à lui qu’on attribue le Tchoung-young, un des Quatre livres classiques. (Pr.)
  14. Œuvres complètes en chinois, k. xxiv, f° 7, dans sa dissertation sur le Tchoung-young. (G. P.)
  15. Tong see, c’est Tong tchong chou. Il vivait sous la dynastie des Han ; il a fait un livre qu’il appelle Tchun-tsiéou. (Pr.) — Le texte cité dit : « Ce que Toung-tseu exprime ainsi ; « La grande source de la Raison ou du Tao, sort du ciel, » rend l’idée de Tseu-sse. » (G. P.)
  16. 知天命。謂知其理 Tchi thién ming. wêi tchi khi li
    « Cognoscere cœli mandatum, » dicitur cognoscere ejus principium
    之所自來。 tchi ssô tseù lâï.
    eo quo seipsum procedit.
    知天命。知所從來 Tchi thién ming ; tchi ssô thsoûng laï.
    Cognoscere cœli mandatum : cognoscere eo-quo ab- veniuntur.
  17. Œuvres complètes en chinois, k. xliii, f° 29. Voici la traduction du passage en entier ; « J’ai entendu faire cette question : — Qu’est-ce que l’ordre du dépérisse ment ou de la mort (wang tchi ming) ? Ce mot ordre (ming) signifie-t-il cet air ou souffle vital (khi) donné d’en haut. — Réponse. La vie et la mort sont une vie longue ou courte qui cesse d’étre. Il est certain que c’est le souffle vital (khi) qui donne cette vie. Il paraît seulement que ce que Meng-tseu appelle la nature (sing) est un mot mis par lui à la place de ming ordre, destinée. Alors donc il y a une distinction importante à faire. Je choisis cette question ; — Le mot ming de la phrase : ne pas connaître la destinée (pou tchi ming), et celui de la phrase : connaître l’ordre ou le mandat du ciel (tchi thiên ming) sont-ils identiques ? — Réponse. Ils ne le sont pas. Connaître l’ordre ou le mandat du ciel, c’est savoir d’où vient sa raison d’être (wéi tcht khi li tchi sso tséu lâi). Prenons l’eau pour comparaison. Tous les hommes savent ce que c’est que l’eau ; il n’y a que le saint homme qui connaisse le lieu de sa source. De même, ignorer le lieu d’où sort l’ordre, le mandat (ming), c’est en réalité (ignorer) l’ordre même, la destinée de la vie et de la mort, d’une vie longue ou courte, de la pauvreté ou de la richesse, de la noblesse et de la bassesse de condition. » (G. P.)
  18. Œuvres complètes de Tchou-hi, k. xlix, f° 27. (G. P.)
  19. Ib., k. xii, f. 12. Ces bonzes s’appellent Tao-sse ; ils reconnaissent Lao-tse pour maître, mais ils entendent Lao-tse encore moins que les Lettrés Jou n’entendent les King, (Pr.)
  20. Chou-king, chap. Tuë-ming. Le raisonnement de Tchou-hi est dans le Chou-king-ta thsiouen, chap, ou kiouen v, page 25. L’édition est en grandes planches. (Pr.)
  21. Ib., ch. xv, p. 8. Si Tchou-hi ne suit pas toujours les Tching-tsee, bien qu’il les regarde comme ses maîtres, il ne faut pas s’étonner que ses disciples le traitent assez souvent de la même manière. (Pr.)
  22. Tchang-wen-ouel est cité dans le Chou-king-ta-tsiouen, au même endroit. Je ne sais pas sous quelle dynastie il vivait ; mais ce qu’il dit s’accorde très-bien avec le Chou-King. (Pr.)
  23. Ce Tchu-tsee-fa est cité dans le Chou-king-ta-tsiouen, k. i, f. 34. Voici ses paroles :
    類只是祭天之名。其 Loui tchi chi tsi thién tchi ming. Khi
    Loui (a) solùm est sacrificii cœlo » nomen. Ejus
    義則不可曉 i tse pou khô hiao.
    sensus : tunc non potest nosci.
    (a) « Sacrificium quod fit Chang-ti vel supremo cœli imperatori. » (Basile.)
  24. Vang-tsiao est l’auteur de l’excellent commentaire Ge-ki sur le Chou-king. (Pr.)
  25. Kiéou-sun surnommé Man-chan, vivait sous la dynastie des Ming. Il est l’auteur du livre Ta Hio yen i pou qui renferme tout le gouvernement chinois. Youen leao fan est de la même dynastie des Ming ; il a fait beaucoup de livres, entre autres un excellent abrégé de l’histoire de Chine, qui a pour titre : Li sse kang kien pou. A chaque endroit difficile, il apporte le sentiment et la critique de plusieurs savants, ce que les autres abréviateurs ne font pas. (Pr.)
    Nous possédons du même auteur un excellent livre intitulé : Kiun chou pi khaô ou Examen complet d'une foule d'ouvrages sur tous les sujets. L’édition est de 1642. Hiouen leao fan naquit à Tchao-tien, dans la province de Tehé-kiang. Il fut promu docteur en 1586, et il occupa ensuite plusieurs mandarinats. Il fut membre du Ping-pou, ministre de la guerre. Il écrivit, outre l’histoire mentionnée par Prémare, et l’ouvrage que nous possédons, une Histoire des inventions ; un travail sur l’Histotre de la dynastie des Han ; un commentaire sur les King et les Sse-chou. Quant à Kiéou-sun, surnommé Man-chan, un exemplaire de son Ta hio yen i pou se trouve à la Bibliothèque de l’Arsenal à Paris. C’est un excellent ouvrage que nous avions eu autrefois l’intention de traduire. (G. P.)
  26. Kiouen xxxi, p. 48 du Li-sse-kang-kien-pou de Youen hao fan.
  27. Lo-pi a vécu sous la dynastie des Soung (1123-1260). Il est fort versé dans l’antiquité, comme il le fait bien voir dans le livre qui a pour titre Lou-sse. On trouve là tout ce qui s’est jamais dit en Chine des temps soit fabuleux, soit incertains. C’est dommage que l’impression n’en soit pas plus belle. Ce que je cite ici se trouve à la fin de l’article 1er  du chapitre V de ses Yu-lun, p. 5. (Pr.)
  28. Wang-xou vivait sous la fin des Han (202 ans avant Jésus-Christ). Le livre Khoung tsee kia yu est de lui. Il en a fait beaucoup d’autres. (Pr.)
  29. Kia-y, ministre d’État sous les Han ; il écrit bien. (Pr.)
  30. Ma-jong, sous les Han. Il fit des commentaires sur tous les livres anciens. (Pr.)
  31. Le père Gaubil, dans sa traduction du Chou-king (voir nos Livres sacrés de l’Orient, p. 89, § II), a ainsi rendu ce texte :
    « Le roi dit : Oh ! Ki-tse, le ciel a des voies secrètes par lesquelles il rend le peuple tranquille et fixe ; il s’unit à lui pour l’aider à garder son repos et son état fixe. Je ne connais point cette règle : quelle est-elle ? »
    Et le P. Noël, dans son Ethica sinensis, p. 216, l’a traduit ainsi : « Eheu ! Cœlum quidem occulta virtute populos stabilit, eosque ad simul cohabitandum colligit et adjuvat ; sed ego quonam modo dirigendus ac componendus sit universalis humana conditionis ordo, ignoro. Tu, quaeso, me edoce. » (G. P.)
  32. Ce Khoung-chi est Khoung-ing-ta dont j’ai parlé ci-devant ; et comme ce qu’il dit est fort beau, Wang-tsiao, dont j’ai aussi parlé ci-dessus, le rapporte tout entier dans son propre commentaire sur le Chou-king, k. ix, p. 30. (Pr.)
  33. Cette dernière phrase, dans le texte chinois, est à la suite de celle-ci, qui a été omise parle P. Prémare : 民受氣流行 min chéou khi lieôu hing « le peuple, le genre humain (c’est le sujet de tout le passage) reçoit l’éiément vital matériel (khi) qui coule et circule partout (liéou hing). Chaque individu (pour tout homme, etc. Pr.) a une nature qui est intelligente et un cœur qui connaît, qui raisonne : 各有性靈心識 ko yéou sing ling sin chi, etc. (G. P.)
  34. Le texte porte :
    無不稟諸上天 Woû pou pin tchoû chàng thién.
    Nihil (est quod) non provideat omnibus supremum cœlum. (G. P.)
  35. Voici le texte de cette dernière phrase très-remarquable : 使有常生之道 ssè yéou tchâng sêng tchi tao : « [Cœlum] facit-ut habemus sempiternæ vitæ « viam, rationem. » (G. P.)
  36. J’ai déjà parlé de ce docteur et de ses commentaires Mong-yn. L’endroit de Meng-tsee se trouve à la page 24, de la IIe partie du chapitre tsin-tsin. (Pr.)
  37. L’un des meilleurs commentateurs du Chou-king définit clairement, selon nous, ce que l’on doit entendre par le cœur de l’homme et le cœur de la Raison. « Par le cœur de l’homme (jin sin), dit-il (Livres sacrés de l’Orient, p. 55, note 3), on entend ici son intelligence qui distingue le bien du mal, intelligence qui est maîtresse à l’intérieur, mais qui se laisse influencer par les objets extérieurs. En désignant l’inspiration née de la forme matérielle du corps animé, on l’appelle cœur de l’homme (jin sin) ou intelligence de l’homme ; en désignant l’inspiration née du principe de la Raison éternelle et de la justice, on l’appelle cœur de la Raison (tao sin) ou intelligence de la Raison étemelle, etc. » (G. P.)
  38. Dans le recueil Pen-cha, ch. xliii, p. 19. (Pr.)
  39. Ibid., p. 58.
  40. Sur ces mots du Chou-king 天佑下民 thièn yéou hia min « le Ciel, pour aider le peuple inférieur,) » etc., dans le Chou-king ta thsiouen, k. vi, p. 3. (Pr.)
  41. C’est au chap. xxxi du Sing-li-huei-toung, p. 19.
  42. Kiouen vii, page 5.
  43. 天佑下民。作之君 Thién yéou hià min. tso tchi kiun,
    Coelum adjuvandum humilem populum : fecit et principes
    作之師 tso tchi ssê.
    fecit ei præceptores.
    Dans la traduction du Chou-king du P. Gaubil, publiée et revue par nous, nous avons dit, conformément au commentaire de Tsaï-chin : « Le Ciel pour aider et assister les peuples, leur a donné des princes, leur a donné des instituteurs ou chefs habiles. Les uns et les autres sont les ministres du souverain Seigneur (Chang-ti) pour gouverner l’empire paisiblement et avec douceur, pour punir les coupables et récompenser les bons. »
    Commentaire de Tsaï-chin : « Le Ciel, afin d’assister les peuples, leur a fait des princes pour les protéger, leur a fait des chefs ou des instituteurs pour les instruire. Les princes et les instituteurs possèdent à eux seuls une puissance ; ils sont la gauche et la droite (c’est-à-dire les maîtres) du souverain empereur (Chang-ti), pour rendre le monde paisible et heureux. Alors (pour accomplir leur mission) ils doivent punir les criminels et protéger les innocents. (Livres sacrés de l’Orient, p. 84, § vii et note.) » (G. P.)
  44. Khoung-ing-ta sur ce paragraphe du Chou-king.
  45. Chi-king, ode Hoang-y, livre iii, ode 7.
  46. Le commentaire de Tchou-hi se trouve dans tous les Chi-king. Celui que j’ai actuellement s’appelle Tching-kiaï ; il est fort commun. Il commence par l’explication de Tchou-hi ; il fait ensuite du texte une belle paraphrase qu’il appelle ho-tsan ; il ajoute enfin des remarques sur le style, qu’il nomme Si-kiang. C’est au k. xxii, p. 1. (Pr)
  47. Kie fut détrôné par Tching-tang, et Tchéou par Vou-vang. C’est ce qui fait proprement le sujet du Chou-king. (Pr)
  48. 天工。人其代之 thiên koûng, jin khi taï tchi s’applique, dans le texte chinois, aux hommes préposés au gouvernement des autres hommes. « Ils gèrent les affaires publiques au nom du Ciel, et c’est de lui qu’ils tiennent leur mission. — Par Thiên-kôung [littéralement ouvriers du Ciel], dit le commentateur Tsai-chin, traduit par nous (Livres sacrés de l’Orient, p. 57, note 1), on entend les hommes sages qui gèrent à sa place, selon les principes de la raison, les affaires publiques ; celles que gouvernent ou administrent la foule des magistrats ou fonctionnaires publics, ne sont rien autre chose que les affaires du Ciel. »
    L’ancien commentaire Tching-hi (de Khoung-ing-ta) dit à ce sujet : « Les lois, les rites, les récompenses et les châtiments, tout vient du Ciel. Sa volonté est de récompenser les bons et de punir les méchants ; car il n’y a que le bien ou le mal qui soit récompensé ou puni du Ciel. Et quand il punit ou qu’il récompense, il n’y a ni grands ni petits qui puissent lui échapper ! »
  49. Chou-king ta-tsiouen, k. ii, p. 35.
  50. Nous croyons la traduction de ce paragraphe, par le père Gaubil, reproduite précédemment, plus fidèle que celle du P. Prémare, quoique le fond des idées reste è peu près le même. Nous pensons que l’exactitude la plus scrupuleuse, surtout eu cette matière, ne saurait être trop observée. (G. P.)
  51. Van-chang-lie est souvent cité par Sou-han-tsuen, qui vivait sous la dynastie des Ming et qui a fait un très-beau commentaire sur l’Y-king, sous le titre de Y-hoé. C’est là que le premier est cité, k. i, p. 24. (Pr.)
  52. C’est dans l’explication du premier symbole appelé kien. Liéou chi-liu est cité dans le même Y-hoé, au meme k., p. 17. (Pr.)
  53. 惟天無親。克敬惟親 Wèi thiân woû thsin khe king wêi thsin.
    Solùm cœlum sine propinquo-amore ; (qui) possunt sibi-invigilare soli propinqui (ei sunt).
  54. Cet écrivain distingué a été mentionné précédemment. C’est dans son explication du passage du Chou-king, reproduit ci-dessus, qu’il s’exprime ainsi. (G. P)
  55. Ge-ki, k. vii, p. 20 (id).
  56. Yué-ming, IIe partie. Voici le texte chinois :
    惟天聰明 Wêi thièn thsoûng-ming.
    Solûm cœlum auditus-claritate (supremâ intelligentiâ) præditum-est.
    Ces quatre caractères chinois si compréhensifs du Chou-king, ont été expliqués, en les paraphrasant, par tous les commentateurs. Yang-tseu emploie 16 caractères ; Sse-ma-kouang, 38 ; l’Explication journalière (Ji-kiâng), 76, pour exprimer la meme idée. (P. G.)
  57. Ge-ki, k. viii, p. 29.
  58. Tsaï-chin, surnommé Kieou-fong, est un des principaux disciples de Tchou-hi qui lui laissa le soin de commenter le Chou-king. (Pr.) C’est le même commentateur dont nous avons rapporté diverses explications. Voici comment nous avions traduit le passage, cité ici par le P. Prémare, dans nos Livres sacrés de l’Orient, p, 80, note 3.
    « Il n’est rien que le Ciel n’entende, il n’est rien qu’il ne voie. Il a un senti » ment de justice qui s’étend à l’universalité des êtres ; voilà tout. »
  59. Ge-ki, ch. xiv, p. 3.
  60. Au kiouen ix, p. 4.
  61. Ge-ki, ch. xiv, p. 2.
  62. Yao ching-yen est cité dans le Tching kiaï. (Pr.)
  63. Ge-ki, k. xiv, p. 6.
  64. Cette dernière phrase est tirée de Meng-tseu, IIe partie. (G. P.)
  65. Chi-king, livre II, ch. 4, ode 8°. (Pr.)
  66. Tchou fong tching est souvent cité dans le Si-kiang du Tcking-kiaï. J’ai cherché en vain son commentaire sur le Chi-king. Il écrit d’un style net et élégant qui fait plaisir. Le passage suivant est dans le Tching kiaï, ch. xv, p. l7. (Pr.)
  67. Nous plaçons dans le corps de la lettre le texte chinois de cette chanson, que le P. Prémare n’avait donné qu’en note ; et nous y ajoutons la prononciation des caractères, avec un mot à mot latin. (G. P.)
  68. C’est dans son explication en dix mille caractères 萬言論 Wan yen-lun, sur seize articles de morale qu’on enseigne publiquement aux peuples deux fois par mois. L’empereur, après avoir énuméré toutes les sectes les plus répréhensibles, dit page 20 :
    « La religion d’Europe qui honore Thien-tchu est aussi au nombre des fausses sectes. Ces gens savent les mathématiques, c’est pourquoi l’empire se sert d’eux. Il faut que vous tous, à qui je parle, en soyez bien informés. » (Pr.)
    Nous nous permettrons d’observer ici que, dans le texte chinois, l’empereur ne dit pas que la religion du Seigneur du Ciel des Européens est du nombre des fausses sectes ; il dit simplement qu’elle n’est pas tirée des King chinois, qu’elle ne leur appartient pas 亦屬不經 i chou pou king. (G. P.)
  69. C’est dans une instruction, 上諭 Chang-yu, que fit l’empereur à propos de l’audience donnée à l’ambassadeur du Portugal, et cela fut mis tout au long dans la Gazette publique, afin qu’il n’y eût pas en Chine le moindre petit coin où l’on ne sût que la loi de Thien-tchu est pleine de rêveries. (Pr.)
  70. Après une controverse qui a duré plusieurs années et donné lieu à de nombreuses publications, les missionnaires protestants en Chine se sont partagés, comme autrefois les missionnaires catholiques, sur la manière de représenter en chinois le nom de Dieu. La grande majorité, toutefois, a adopté l’expression Chang-ti, comme représentant dans les anciens livres canoniques chinois, la même idée que les mots Elohim et theos dans la Bible ; et c’est l’expression employée par eux dans la traduction de la Bible en chinois, publiée à Chang-hai, en 1855, 4 vol. petit in-8o, dont 3 vol. pour l’Ancien Testament et 1 vol. pour le Nouveau. (G. P.)
  71. Nous pensons que le P. Prémare veut parler ici d’un autre ouvrage important de lui, écrit en latin, et dont le manuscrit existe aussi à la Bibliothèque impériale de Paris. Cet ouvrage a pour titre : Selecta quædam vestigia præcipuorum Xan Relligionis dogmatum ex antiquis Sinarum libris eruta. Ce manuscrit, écrit sur papier de Chine, est de format petit in-4o et comprend 330 pages. Il est daté : Cantone, die 21 mai, anno 1725. Il serait donc de trois ans antérieur à la présente lettre. M. Bonnetty a publié dans les Annales de philosophie chrétienne, t. xiv, xv, xvi, xviii, xix (2* série), de nombreux extraits de ce manuscrit.
    Nous ne pouvons nous empêcher de faire remarquer ici, qu’à notre avis, c’est une grande erreur de croire comme le P. Prémare, que l’Homme-Dieu est l’objet principal des King chinois. Nous avons réuni à grands frais, des exemplaires de toutes les éditions les plus importantes de ces mêmes King, éditions impériales et autres, et enrichies des commentaires les plus renommés de toutes les époques. Nous nous proposons de publier une traduction complète de ces King, avec de nombreux extraits des commentateurs, placés dans l’ordre chronologique, afin que le petit nombre qui reste encore des esprits curieux de la civilisation de l’antique Orient, et des anciennes croyances de l’humanité, puisse s’en former une juste idée. (G. Pauthier.)