Aller au contenu

Lettre sur le progrès des sciences/Introduction

La bibliothèque libre.

LETTRE
SUR
LE PROGRÈS
DES SCIENCES.



L
Ouvrage le plus conſidérable du Chancelier Bacon eſt le traité, De augmentis Scientiarum, qu’il dédia à ſon Roi comme au prince de ce tems-là le plus capable d’en faire uſage. Je ſerois bien téméraire, ſi je voulois comparer ce petit nombre de pages à ce qu’a fait ce grand homme, auquel, dans les ouvrages les plus longs, on ne peut pas reprocher la prolixité. Ce que je me propoſe eſt fort différent de ce qu’il s’étoit propoſé. Il conſidéroit toute la connoiſſance humaine comme un édifice dont les Sciences doivent former les différentes parties ; il rangea chaque partie dans ſon ordre, & fit voir ſa dépendance avec les autres & avec le tout : examinant enſuite ce qui pouvoit manquer à chacune, il le fit avec toute la juſteſſe de ſon eſprit, mais dans toute la généralité qui convenoit à la grandeur de ſon plan. Je ne veux ici que fixer vos regards ſur quelques recherches utiles au genre humain, curieuſes pour les Sçavans, & dans leſquelles l’état où ſont atuellement les Sciences, ſemble nous mettre à portée de réuſſir.

Comme perſonne ne ſait mieux que vous juſqu’où s’étendent nos connoiſſances ; perſonne auſſi ne jugeroit mieux de ce qui y manque & des moyens pour remplir ce vuide, ſi des ſoins encore plus importans permettoient à votre vue de ſe tourner toute de ce côté-là : mais puiſqu’un eſprit tel que le vôtre ſe doit à tout, & ne ſe doit à chaque choſe qu’à proportion du degré d’utilité dont elle eſt, permettez-moi de vous envoyer ces réflexions ſur les progrès dont il me ſemble qu’actuellement les Sciences auroient le plus de beſoin ; afin que ſi vous portez ſur les choſes que je propoſe, le même jugement que moi, vous puiſſiez en mettre quelques-unes en exécution. Quel tems pour cela ſeroit plus propre que celui où le plus grand Monarque, après tant de victoires remportées ſur ſes ennemis, fait jouir ſes peuples du repos & de l’abondance de la paix, & les a comblés de tant de ſortes de bonheur, que déſormais rien ne peut être ajouté à ſa gloire que par des moyens dont la nature eſt d’être inépuiſables ?

Il y a des ſciences ſur leſquelles la volonté des Rois n’a point d’influence immédiate : elle n’y peut procurer d’avancement, qu’autant que les avantages qu’elle attache à leur étude, peuvent multiplier le nombre & les efforts de ceux qui s’y appliquent. Mais il eſt d’autres ſciences qui, pour leur progrès, ont un beſoin néceſſaire du pouvoir des Souverains ; ce ſont toutes celles qui exigent de plus grandes dépenſes que n’en peuvent faire les particuliers, ou des expériences qui dans l’ordre ordinaire ne ſeroient pas pratiquables. C’eſt ce que je crois qu’on pourroit faire pour le progrès de ces ſciences, que je prens la liberté de vous propoſer.