Lettres à Sixtine/Les Jacinthes

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LES JACYNTHES




L’odeur des jacynthes
vibrait dans l’encens,
l’orgue avait des plaintes
à troubler les saintes,
l’odeur des jacynthes
vibrait dans l’encens.


L’église ancienne s’endormait dans un mystère,
Crypte où d’obscurs martyrs reposent en poussière,
                      Salle de manoir féodal :

Nous étions là, dans l’ombre, assis tous deux, les plinthes
d’un pilier nous cachaient ; vous aviez des jacynthes,
                      fleur au parfum impérial.


                      L’odeur des jacynthes
                      vibrait dans l’encens,
                      l’orgue avait des plaintes
                      à troubler les saintes,
                      l’odeur des jacynthes
                      vibrait dans l’encens.



Un peu de ta main brûlait dans ma main,
par nos doigts ardents le fluide humain
passait en nos chairs, noyait nos pensées,
et, cœurs galopants, gorges oppressées,
nos désirs prenaient le même chemin.


                      Ils allaient, dépassant la voûte,
                      vers la rive où jamais le doute

                 en sa frêle nef n’aborda,
                 mais, ô lamentable déroute !
                 ils se sont querellés en route
                 et la raison les rencontra.


                      L’odeur des jacynthes
                      vibrait dans l’encens,
                      l’orgue avait des plaintes
                      à troubler les saintes,
                      l’odeur des jacynthes
                      vibrait dans l’encens.


Et je songeais : Comment tenir à la tempête
Sans ce bras pour gouvernail, et sans cette tête
pour étoile, comment tenir à la tempête
                            sans elle ?
Et je songeais encore : Quel serait mon soleil
sans la caresse, et la splendeur, et le vermeil
éclat de ses cheveux, quel serait mon soleil
                            sans elle ?

Il ferait nuit sans la clarté de ses yeux bleus ;
la pourpre des matins pâlirait dans mes cieux,
plus de midis, sans la clarté de ses yeux bleus,
                            sans elle.


Avec elle, la vie est un puissant parfum
dont l’émanation berce et ranime l’un
et l’autre de mes jours : quel serait leur parfum,
                            sans elle ?


Pour elle, il n’est ni mal, ni souffrance, ni deuil
qu’on ne porte avec joie, ayant passé le seuil
de sa maison : il n’est que souffrance et que deuil,
                            Sans elle.


Par elle, je veux vivre, et par elle mourir :
ma force est le baiser qui me fait défaillir
et me marque au fer chaud, car il faudrait mourir,
                            sans elle.

En elle, j’ai mis tout, jusqu’à mon infini :
l’univers est à moi, quand sa bouche a souri,
et Dieu n’est qu’un fantôme, il n’est pas d’infini,
                            sans elle.


                      L’odeur des jacynthes
                      vibrait dans l’encens,
                      l’orgue avait des plaintes
                      à troubler les saintes,
                      l’odeur des jacynthes
                      vibrait dans l’encens.


    Un peu de ta main brûlait dans ma main,
    par nos doigts ardents le fluide humain
    passait en nos chairs, noyait nos pensées
    et cœurs galopants, gorges oppressées,
    nos désirs prenaient le même chemin.
Ainsi, chère, ta vie a passé dans la mienne,

Plus rien ne demeure en moi qui ne t’appartienne :
Je voudrais le graver en toi, qu’il t’en souvienne,
Ainsi, chère, ma vie a passé dans la tienne.


                      L’odeur des jacynthes
                      vibrait dans l’encens,
                      l’orgue avait des plaintes
                      à troubler les saintes,
                      l’odeur des jacynthes
                      vibrait dans l’encens.


1er mai 1887.