Lettres à Sixtine/Sortant de ce bois sombre

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Au bois de Montlouvel

Mardi 4 h., 6 septembre.



SORTANT de ce bois sombre touffu comme une chevelure, je m’assieds au bord d’un ruisseau, entre deux hautes murailles de verdure. Il y a une odeur de menthe, près de l’eau, les mouches font un bourdonnement doux, pareil à un très lointain chant d’église, les moucherons tournent en cercle à la surface du courant, ça et là, un à un s’y jettent, font de petits ronds qui s’entrecroisent, viennent mourir au bord, coupés et frangés par les brins d’herbe retombant tout du long. — Un frelon passe avec son rapide vrombissement.

En haut le front des arbres secoue un peu sa chevelure à un léger et lent coup de vent. Le ciel pommelé se reflète dans l’eau très limpide.

Enervant, le silence est dominé, des fois, par le mugissement d’un bœuf.

Je pense à peine, un peu en torpeur, avec assez de lucidité, cependant, pour noter par à peu près ce que je vois et ce que j’entends.

Quelle amusante dînette on ferait là et quelle amusante baignade dans cette sorte de petit bassin, Diane dont je serais mieux que l’Actéon, qui ne me ferait pas mordre par ses chiens, qui me mordrait elle-même de ses belles dents aiguës !

Sur le dessin d’un si vague penser, Amour ourdit la trame de ma vie, pour le moment, je rêve de cela, rêve et vain rêve ! Ah ! nous aurons cela une fois, et depuis les naïades et les dryades, les bois ni les eaux n’en auront tant vu.

Je suis un peu mélancolisé de n’avoir pas reçu de son écriture aujourd’hui, mais je relis la lettre d’hier et, encore que l’ayant triste, je l’ai près de moi, elle, ma si chère dominatrice. Mon chagrin s’en est aiguisé comme dit le bonhomme Homère que j’ai pris avec moi ; chagrin aigu, qui s’enfonce dans la chair comme un coin ; c’est assez cela et la solitude est la meule où il s’appointit encore.

Hier je parlai de mon départ ; ce sera le jeudi. Nous voici à moitié, ma courageuse amie. On s’est bien étonné d’un si bref séjour, mais il n’y aura pas d’objection ; et nous aurons encore deux jours à nous, sans le dimanche.

Si elle mettait une lettre à la poste pour moi vendredi, il la faudrait adresser :

chez Mme de Longueval
à Geffosses,
par Gouville (Manche).

Sauf cela, je ne bougerai pas, serai de retour chez moi lundi. Pour l’endroit ci-dessus, les lettres mettent parfois deux jours. Il en est de même chez moi quelquefois.