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Lettres à Sixtine/Vous devez trouver, mon amie

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16 juin 1887, jeudi matin.



VOUS devez trouver, mon amie, que je me suis conduit comme une femme, hier soir, en me laissant aller à manifester très visiblement une impression désagréable. Pourtant je n’attache aux mots qu’une importance relative, en tant que mot ; tout dépend de l’accent, du sous-entendu, de l’état d’esprit de la personne qui les articule ; mais j’ai beau ne pas vouloir être nerveux, je ne me puis défendre d’être extrêmement impressionnable : au moindre appel, d’interminables imaginations se déroulent devant moi jusqu’aux conséquences dernières. Je m’accuse de mon impression d’hier, non comme d’un crime, mais comme d’une ridicule aberration.

Voilà donc que ce mot, Réagis, sort de vos lèvres, — et aussitôt je me figure deux êtres, qui, après être joyeusement et librement montés au sommet, près d’atteindre la cime, se mettent à redescendre péniblement. Ni vous ni moi ne sommes capables de cette cruelle interprétation ; c’est quelque mauvais esprit qui passait.

Est-il pas aussi permis de manquer parfois de sang-froid lorsque la vie même est en jeu, la vie, ou tout au moins ce qui en fait l’unique intérêt, et c’est la même chose. Celui qui aurait toute sa fortune sur un navire et croirait le voir s’enfoncer et couler serait-il pas pardonnable d’avoir de l’angoisse et d’en laisser soupçonner un peu ? J’ai mis ma vie en viager sur votre cœur : je puis bien craindre la tempête. Vous ne voudriez pas me voir dans une absolue sécurité ; s’il en était ainsi, c’est que je ne vous aimerais pas comme je vous aime ; étant donné mon caractère, ce serait un mauvais signe, signe que je laisse aller les choses en fataliste. J’y suis naturellement porté, mais quand il s’agit de vous, c’est très différent : ma volonté très nette s’affirme de ne vous perdre jamais. Je ne me vois pas sans vous et mon imagination ne va pas jusque-là, à moins d’une momentanée aberration, vite dissipée.

Aime-moi, ma chère vie, aime-moi comme je t’aime et nous serons heureux.