Lettres à Sixtine/Concordances

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CONCORDANCES



I




UN reflet rose tombe des rideaux cramoisis ;
D’un lent baiser d’amour troublant la nuit naissante,
La lumière alanguie meurt pleine de tendresse ;
Un reflet rose tombe des rideaux cramoisis.

Le bruit des rues fait grâce à leurs oreilles lasses ;
Ils échappent enfin au flot vain des paroles.
Le silence est très doux dans l’ombre cramoisie,
Le bruit des rues fait grâce à leurs oreilles lasses.


Sur les coussins, sur la fourrure qui caresse,
Vêtue des plis étranges d’une soie japonaise,
Elle s’assied, souriante, et s’étend un peu lasse
Sur les coussins, sur la fourrure qui caresse.

II

De ses doigts s’exhalait une odeur délicate,
Comme l’assemblage exquis de fleurs sobres et rares
Ou l’effluve des prés qu’un vent d’été caresse ;
De ses doigts s’exhalait une odeur délicate.

O pénétrante odeur dont émane un désir,
Odeur moins désirable, pleine de moins d’ivresse
Que celle que dérobe la robe, ô délicate
Et pénétrante odeur dont émane un désir.

Aux parfums de la chair en leur loyale essence
Cèdent les élixirs, toutes les quintessences :

Un seul effleurement l’exalta au désir
Des parfums de la chair en leur loyale essence.

O chair faite de fleurs roses, blanches et bleues,
Dont la sève circule avec le sang des veines,
Sa peau moite en distille la plus subtile essence,
O chair faite de fleurs roses, blanches et bleues.

III

Sur le bras, il posa d’abord ses lèvres chaudes,
Au poignet où la vie passe et bat plus sensible,
Où la peau est très blanche et les veines très bleues ;
Sur le bras, il posa d’abord ses lèvres chaudes.

Sur la tempe où plus blonds s’ébrouent les cheveux fins
A deux bras enlaçant le cou d’un cercle étroit,
Il posa, il laissa longtemps ses lèvres chaudes
Sur la tempe où plus blonds s’ébrouent les cheveux fins.

Pour les yeux, les grands yeux dont il sait le pouvoir,
Diamants bleus ayant les paupières pour écrin
Il trouva des caresses plus douces, peut-être afin
De capter les grands yeux dont il sait le pouvoir.

IV

Puis il parla, disant des mots longtemps pensés
Où, tel qu’un faucon, l’aile alourdie par l’orage,
Son âme luttait, voulant dompter l’amer pouvoir.
Il parla, murmurant des mots longtemps pensés :

— « C’est l’amer pouvoir dont tu m’ensorcelles,
« Pliant mon vouloir à ta volonté,
« Qui régit les rêves de mon lourd sommeil,


« Et les heures brèves des brèves journées,
« Toutes les minutes de mes heures brèves
« Et l’insaisissable instant, trépassé ;

« Amer et pourtant d’une douceur telle
« Que rien n’en rappelle la suavité,
« Car les forts anneaux de la double chaîne,


« Ce sont les baisers que ta bouche martèle. »

V

Et ses yeux dévoraient déjà les larges lèvres
Qu’un Dieu semble avoir faites exprès pour le baiser ;
Il se plut à redire tout haut cette pensée,
Et ses yeux dévoraient déjà les larges lèvres.

La divine harmonie de leurs désirs unis
Absorba le murmure mourant des autres phrases ;
A peine songeaient-ils, buvant à pleines lèvres
La divine harmonie de leurs désirs unis.


14 juin 1887.