Lettres à Sixtine/Vous n’aurez qu’un mot de moi

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Gefosses, lundi soir, 12 septembre.


VOUS n’aurez qu’un mot de moi, aujourd’hui, mon amie. D’une longue course à la mer, de plusieurs heures de contrainte, je me trouve las. Demain, je n’aurai pas une minute à moi et pour qu’il n’y ait pas un jour sans correspondance, j’écris ce soir.

En approchant de sa fin le supplice devient intolérable, par moments ; puis, je me préoccupe de remplir de mon mieux le programme et je ne sais si j’y réussirai complètement.

Pas de poésie dans l’âme aujourd’hui ; une journée laide, sans lectures, sans écritures, sans solitude ; j’ai scrupule d’envoyer à mon amie ce terne reflet d’une pensée obscurcie.

C’est ma faute aussi. Peut-être si j’avais prévu rester ici aujourd’hui, aurais-je eu une lettre que je ne trouverai que demain, poste restante, à Coutances.

Ces trois derniers jours vont se passer en déplacements ; j’ai hâte d’être à la minute attendue et je ne parle pas encore de la minute suprême, seulement de celle où je monterai dans le train de Paris.

L’autre, celle où je te toucherai, je la pressens d’une joie si aiguë que j’en ai peur, presque. Je te toucherai, oh ! j’ai besoin de te toucher, de te sentir dans mes bras, de t’étreindre, de te serrer contre moi, mes lèvres à ta tempe, longtemps, longtemps ; et de me mettre à tes pieds, la tête sur tes genoux ; et d’avoir tes bras autour de mon cou. Je vivrais rien que de ton contact ; c’est par là, lèvres à lèvres, qu’on se parle et qu’on se dit tout.