Lettres à la princesse/Lettre089

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Lettres à la princesse, Texte établi par Jules TroubatMichel Lévy frères, éditeurs (p. 115-117).

LXXXIX


Ce 12 octobre, mercredi.
Princesse,

Je suis un peu pris du froid et souffrant, et je ne pourrai m’accorder mon plaisir du mercredi ; je le regrette d’autant plus qu’il me semble que j’avais toute sorte de choses que j’aurais aimé à vous dire.

Une, tout à fait incidente : c’est qu’ayant dîné lundi avec M. Renan, il m’a dit qu’avant de partir, le 24 de ce mois, je pense, pour un voyage en Syrie et dans le Levant, il désirait bien avoir l’honneur de vous porter son hommage : je lui ai dit que je vous croyais encore à Saint-Gratien pour le reste du mois, que je m’en informerais, et que, dans tous les cas, je vous exprimerais de sa part, Princesse, son désir. Il est, je vous assure, de près et dans les conversations à quatre ou cinq, plein de sérénité, de raison, de finesse, et il ne paraît avoir aucun ressentiment du passé.

— Il est un point que je veux encore toucher une dernière fois, Princesse : c’est au sujet de notre dernier entretien d’il y a quinze jours. J’ai à vous supplier sérieusement et sincèrement de ne plus intervenir en rien dans cette affaire, de dégager absolument votre influence si chaleureusement engagée ; j’ai besoin, en vous sachant un gré profond du passé, d’être assuré de ne plus rencontrer votre amicale protection. Je n’ai point à vous indiquer le moyen ni les paroles, et je ne suis pas assez impertinent pour cela ; mais la vérité est toujours le mieux, vous le savez, Princesse, aussi bien que moi. Ainsi vous n’auriez qu’à dire que, m’ayant parlé de cette affaire, vous m’avez trouvé dans des dispositions respectueuses, mais telles que le mieux serait sans doute de n’y plus songer. La réflexion, en un mot, n’a fait que me confirmer dans les sentiments qu’un premier moment de vivacité vous a découverts. Je rentre ainsi dans l’ordinaire et la vérité de ma nature.

Ceci dit une dernière fois, je ne vous parlerai plus jamais à ce sujet. La même prière instante que je vous fais sera faite par moi au prince votre frère.

J’espère que tous les hôtes de Saint-Gratien sont bien, et que le prince Placide est au bout de sa convalescence.

Daignez agréer, Princesse, l’expression de mon respectueux attachement.