Lettres à la princesse/Lettre090

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Lettres à la princesse, Texte établi par Jules TroubatMichel Lévy frères, éditeurs (p. 117-120).

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Ce 14 octobre.
Princesse,

Il m’est impossible de ne pas commencer par vous dire que je sais et sens tout ce que vous avez fait et voulu faire : ma reconnaissance vous est acquise sans réserve ; Mais faut-il vous dire la vérité ? Je suis mécontent et je me trouve mortifié. Je ne comprends pas que la littérature que je représentais dans le cas donné soit ainsi toujours ajournée, éloignée, mise à la queue du reste. Il y avait moyen, on pouvait, on n’a pas fait. On envoie au premier Corps de l’État un homme qu’il fallait envoyer à Charenton. Quel prix après cela attacher à la distinction ? Il n’y a plus que les avantages. Ils sont grands, et c’est pour cela qu’un homme délicat y regarde à deux fois à recevoir un tel bienfait, quand il sent en lui une altération de sentiments non pas envers le souverain homme public, mais envers le souverain personnellement doué d’une telle inappréciation des hommes. — Je me considère comme ayant reçu un léger affront : l’opinion me désignait ; je suis interrogé de toutes parts. Je réponds avec modération, mais comme un homme, je vous l’avoue, qui désire désormais se passer d’honneurs qu’il faut arracher et de grâces octroyées si disgracieusement. Nous sommes des gens de lettres, et nous ne pouvons nous séparer de notre tempérament à nous et de notre point d’honneur.

Je ne pense qu’à une chose, Princesse, c’est de tirer de ce détroit et sans ombre d’atteinte, avec accroissement, s’il se peut, d’attachement et d’estime, une amitié précieuse. Mais en ce qui est du maître, il m’a aliéné personnellement… J’étais votre candidat, Princesse, c’est le sien que j’aurais dû être.

En ce qui est de notre ami[1], — du nom porté le dernier sur la liste, — je l’ai félicité et le félicite de tout cœur ; cette nomination, indépendamment du mérite, a un sens ; en raison de tout ce qui s’est passé depuis un an, elle est un gage, et marque approbation du passé et redoublement d’appui à l’avenir. C’est ainsi que l’a compris le public, — et l’escalier de service l’aura compris aussi.

J’écris à M. Renan votre gracieuse invitation. Je me remets de bon cœur à l’ouvrage et je prépare ma rentrée : ce léger effort et le froid m’ont obligé ces jours-ci à rester renfermé. Je prépare des vivres pour ma campagne d’hiver, et, malgré mes recueillements d’auteur occupé, je ne serai que plus gai et plus heureux, Princesse, les jours où j’aurai le bonheur de vous voir.

Je vous prie de recevoir l’assurance de mon respectueux et bien tendre attachement.


  1. Le comte de Nieuwerkerke.