Lettres à une autre inconnue/XIV

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Michel Lévy frères (p. 79-82).
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XIV


Cannes, 24 février 1867.


Chère et aimable Présidente,


Merci de votre petite lettre, et du post-scriptum russe, où il y a, ce me semble, une petite faute d’orthographe. Mais il faudrait être encore plus académicien que je ne le suis pour vous la reprocher là.

J’aurais voulu que vous m’eussiez donné des nouvelles de votre représentation. Je sais, par la trompette de la renommée, que vous avez eu un grand succès, qu’on vous a donné des bouquets qui n’ont pas dû passer par votre porte ; mais avez-vous eu peur ? avez-vous été contente de vous-même ? avez-vous senti que vous dominiez votre public ? Votre costume était charmant, à ce qu’on rapporte, bleu et argent. Comment la poudre vous allait-elle ? Vous savez que je fais la guerre à vos coiffures, et je ne sais pas trop si j’aurais aimé à vous voir poudrée. Je voudrais bien savoir encore si vos compagnes ont eu du succès et si la future mariée a montré autant d’aplomb devant le public qu’à la répétition.

Je n’ai pas besoin de vous dire que nous serons bien charmés de vous voir à Cannes ; mais veuillez me prévenir un peu d’avance. Mon ami M. Panizzi est venu me voir et un autre de mes amis, qui tous les deux prennent beaucoup de mon temps. Enfin, l’oncle d’Édouard est ici, et je fais une cour très-assidue à cette excellence déchue. L’autre soir, la musique de Cannes lui a donné une sérénade assez bien troussée, et lui a fait un petit compliment dont il a été très-touché. Il n’est pas gâté par la reconnaissance de ceux qu’il a obligés.

On m’écrit de Paris des choses fort tristes. L’avenir est bien sombre, et je crains que, malgré l’exposition universelle, nous n’ayons un triste printemps.

Adieu, chère et aimable Présidente ; veuillez agréer l’expression de tous mes respectueux hommages.

Il est fort possible qu’un de ces jours j’aille vous voir à Nice.