Lettres à une autre inconnue/XVI

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Michel Lévy frères (p. 87-90).
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XVI


Cannes, 10 mars 1867.


Chère Présidente,


Il n’est que trop vrai qu’il y a bien longtemps que je ne vous ai vue, encore plus longtemps que je ne vous ai écrit ; mais ne croyez pas pour cela que je sois resté sans avoir de vos nouvelles. Ma police particulière m’a toujours tenu au courant de vos faits et gestes. J’ai su que vous voliez de fête en fête, et que vous acheviez le carnaval de la manière la plus agréable, vous amusant, amusant les autres, courtisée et enviée comme vous deviez l’être. Pour moi qui suis un grand philosophe et qui vis loin du monde, en attendant que je le quitte tout à fait, j’aurais craint de vous ennuyer en vous écrivant. Il ne se présente pas plus d’idées dans une saison de Cannes qu’il ne s’y passe d’événements dignes de mémoire. Je n’aurais pu vous dire autre chose, sinon que je respirais fort mal et que la pluie me faisait souffrir physiquement et enrager moralement.

Tout cela ne valait pas la peine d’être dit. J’avais de plus à Cannes M. Fould et M. Panizzi, à qui je servais de cicerone ; enfin, j’ai eu toute sorte de tracas et de chagrins. Un de mes amis est mort à deux pas de chez moi, laissant une femme et deux filles toutes seules. Tout cela était peu propre à me donner des pensées couleur de rose telles qu’elles puissent vous être offertes.

Je ne pense pas encore au retour, mais je ne tarderai cependant pas beaucoup à reprendre le chemin de Paris. Quand vous mettez-vous en route, chère Présidente ? Édouard est parti hier, et le convoi pour Paris était tout plein de monde. Cela veut dire qu’on commence à déménager. Est-il vrai que vous êtes en froid avec Madame Gavini ?

Adieu, chère Présidente ; veuillez agréer l’expression de tous mes tendres et respectueux hommages.

Je n’ai pas besoin de vous dire que je suis tout aux ordres de M. X… pour le livre qu’il désire présenter à l’Institut.