Lettres à une inconnue/142

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(1p. 312-313).

CXLII

24 mars 1852.
 

J’ai toutes les tracasseries du monde, outre beaucoup d’ouvrage sur les bras ; enfin, j’ai entrepris une œuvre chevaleresque dans un premier mouvement, et vous savez qu’il faut se garder de cela. Je m’en repens parfois. Le fond de la question, c’est qu’à force de voir des pièces justificatives sur l’affaire de Libri, j’ai eu la démonstration la plus complète de son innocence, et je suis à faire une grande tartine dans la Revue, au sujet de son procès et de toutes les petites infamies qui s’y rattachent. Plaignez-moi ; il n’y a que des coups à gagner à ce métier-là ; mais quelquefois on se sent si révolté par l’injustice, qu’on devient bête.

Quand donc ferons-nous un tour au Musée ? Je suis bien fâché d’apprendre cette triste mort d’une personne que vous aimez. Mais c’est une raison de plus pour se voir et essayer si une intimité comme la nôtre est un remède contre le chagrin. Vous avez bien raison de trouver la vie une sotte chose, mais il ne faut pas la rendre pire qu’elle n’est. Après tout, il y a de bons moments, et le souvenir de ces bons moments est plus agréable que le souvenir des mauvais n’est triste. J’ai plus de plaisir à me rappeler nos causeries que de chagrin à penser à nos querelles. Il faut faire ample provision de ces bons souvenirs…