Lettres à une inconnue/32

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(1p. 99-101).

XXXII

Paris, dimanche soir. Décembre.

Votre lettre ne m’a pas surpris un moment, je m’y attendais. Je vous connais assez maintenant pour être sûr que, lorsque vous avez eu quelque bonne pensée, vous vous en repentez, et vous tâchez de la faire oublier bien vite. Vous vous entendez fort bien, d’ailleurs, à dorer les pilules les plus amères, c’est une justice que je vous dois. Comme je ne suis pas le plus fort, je n’ai rien à dire pour combattre votre héroïque résolution de ne pas retourner au Musée. Je sais fort bien que vous n’en ferez qu’à votre tête ; seulement, j’espère que, d’ici à un mois, vous pourrez avoir quelque pensée plus charitable en ma faveur ; peut-être avez-vous raison. Il y a un proverbe espagnol qui dit : Entre santa y santo, pared de cal y canto. Vous me comparez au diable. Je me suis aperçu que, mardi soir, je ne pensais pas assez à mes bouquins et trop à vos gants et à vos brodequins. Mais, malgré tout ce que vous me dites avec votre diabolique coquetterie, je ne crois pas que vous ayez peur de retrouver au Musée nos folies d’autrefois. Franchement, voici ce que je pense de vous, et comment je m’explique votre refus : vous aimez à avoir un but vague à votre coquetterie, et ce but, c’est moi. Vous ne le voudriez pas trop près, d’abord : parce que, si vous manquiez à le toucher, votre vanité en souffrirait trop, et puis parce que, en le voyant de trop près, vous trouveriez qu’il ne vaut pas la peine qu’on le vise ; ai-je deviné ? J’avais envie, l’autre jour, de vous demander quand je vous reverrais, et peut-être m’auriez-vous dit un jour si je vous en avais bien pressée ; et puis j’ai pensé qu’après m’avoir dit oui, vous m’écririez non ; que cela me ferait de la peine et me mettrait en colère.

Je vous parle toujours avec la plus niaise franchise, mais l’exemple ne vous touche point.