Lettres à une inconnue/83

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(1p. 203-204).

LXXXIII

Paris, septembre 1843.

Nos lettres se sont croisées. Vous aurez vu, j’espère, que ma colère, que je regrette beaucoup, n’a pas eu la cause que vous lui supposez. Mais votre lettre me prouve qu’il nous est impossible de ne pas nous quereller. Nous sommes trop différents. Vous avez tort de vous repentir de ce que vous avez fait : c’est moi qui ai eu tort de vouloir que vous fussiez autre que vous n’êtes. Croyez que je n’ai nullement changé à votre égard. Je regrette par-dessus tout de vous avoir quittée de la sorte, mais il y a des moments où l’on ne peut être de sang-froid. Je désirerais vous revoir maintenant pour retrouver auprès de vous un de nos beaux rêves de cet été, et vous dire adieu alors pour longtemps en demeurant sur une impression douce et tendre. Vous trouverez cette idée-là fort absurde. Cependant, elle me poursuit, et je ne puis m’empêcher de vous la dire. Refusez, vous ferez peut-être bien. Je crois que maintenant j’aurai assez d’empire sur moi pour ne pas me mettre en colère. Je n’en répondrais pas cependant. Le parti que vous prendrez sera le bon. Je ne puis vous promettre que les meilleures intentions du monde d’être calme et résigné.