Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829/Appendice 3

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N° III.


Lettres écrites par Mohammed, mamour ou préfet de Tahta, à Champollion.


(Traduites de l'arabes et annotées par M. Reinaud.)




Lettre du mamour..


Lui (Dieu).

O le plus cher des amis, le trésor des compagnons, notre ami chéri, le très-honoré, le général, le seigneur, le respectable, que le Dieu très-haut le conserve.

Après la présentation de mes salutations avec le plus vif désir (de vous voir), le but de cet écrit est : 1° de m’informer de votre glorieuse personne ; 2° hier nous convînmes avec Votre Excellence qu’au jour de la date (de cette lettre) nous resterions ensemble, pour nous voir et pour augmenter l’amitié. Au jour de la date, nous fîmes les préparatifs convenables ; mais nous sommes allés le matin à Terrah pour une affaire, et au retour nous avons vu que vous étiez parti en bonne santé. Par suite de cela, vous avez une dette à acquitter envers nous ; mais nos réclamations sont pour l’époque de votre heureux retour, lorsque nous vous reverrons dans la plus parfaite santé. Vous recevrez Salamé et Nicolas (deux serviteurs du mamour, l’un arabe, l’autre grec). Que le Dieu très-haut vous ramène sains et saufs, et puissions-nous vous revoir eux et Votre Excellence doués de la plus parfaite santé ; que le Dieu très-haut vous conserve.

Écrit le 3 de djoumadi premier de l’année 44 (ou 1244 de l’hégire, 14 novembre 1828 de J.-C.).

De la part de l’ami Mohammed, mamour de Tahta et de Djerdjé.

Le sceau porte : Mohammed son serviteur, c’est-à-dire Mohammed serviteur de Dieu.


Cette lettre qui est la traduction littérale du texte arabe, peut donner une idée du style épistolaire maintenant en usage eu Égypte. On a dû remarquer que le mamour donne à M. Champollion le titre de général. Sous un gouvernement despotique, et là où la force est tout, les distinctions militaires sont les premières de toutes, et il est naturel qu'on les prodigue à toute personne qu'on veut honorer. Voici le texte de la lettre, pour l'usage des orientalistes : nous le reproduisons avec les fautes qui sont dans l’original.


n°2. Autre lettre du Mamour..


Lui (Dieu).

O le plus cher des amis, le trésor des compagnons, notre ami chéri, le bey magnifique, que sa vie soit longue.

Après vous avoir présenté mes salutations avec le plus vif désir de vous voir, l’objet de cet écrit est : 1° de m’informer de l’état de votre glorieuse personne, et de votre tempérament agréable, élégant et fort ; 2° de faire parvenir à Votre Excellence la lettre que vous avez demandée pour Son Excellence notre frère chéri, le mamour d’Esné. Plaise au Dieu très-haut que vous voyagiez en bonne santé et que vous arriviez de même. Puissions-nous revoir Votre Excellence comblée de toutes sortes de biens ; présentez nos salutations à nos honorables amis qui sont en votre compagnie, et envoyez-nous de vos nouvelles ; que le Dieu très-haut vous conserve. Écrit le 4 de djomnadi premier, etc.

Les lettres qu’on vient de lire étaient enfermées dans une enveloppe avec l’adresse suivante :

« Qu’elle parvienne au plus honorable des amis, au trésor des compagnons, notre ami chéri, le Français fils de bey, le magnifique, qu’il vive longtemps au sein du bonheur. »

Pour que la lettre arrivât plus sûrement à son adresse, le secrétaire avait écrit au bas les chiffres 2468. Ces nombres, comme on voit, suivent une proportion arithmétique dont l'exposant est toujours deux, et ont de tout temps servi d’exercice aux calculateurs orientaux ; ils constituent une des principales combinaisons de la science des nombres, jadis tant en crédit chez les pythagoriciens et autres sages de l’antiquité. Les Arabes chez qui chaque lettre de l’alphabet a une valeur numérique, convertissant quelquefois les chiffres dans la lettre de l’alphabet qui a la valeur correspondante, et au lieu de 2468, ils écrivent b d v h dont ils font le mot Bedouh. Mais qu’on lise 2468 on Bedouh, la valeur superstitieuse attachée à ces signes n’est pas douteuse, et on doit les regarder comme une des formules talismantiques les plus estimées des Arabes, des Persans et des Turcs de nos jours.


n°3. Lettre de Champollion au Mamour.


Monsieur cher et unique ami, Monsieur Mohammed-Bey, que le Dieu très-haut le conserve !

Après les salutations précieuses et le grand désir de votre agréable présence, le motif de la présente est que, dans ce moment, nous recevons votre chère lettre, et votre discours m’a réjoui, et je remercie le Ciel de votre santé, dont je désire la continuation, et à laquelle je dois la lettre dont vous m’avez gratifié pour le commandant d’Esné, de laquelle nous vous sommes infiniment obligé. Or, ma présente servira : 1o à m’informer de votre chère santé ; 2o si vous désirez des nouvelles de la nôtre, grâce au ciel, nous sommes parfaitement bien portant, et nous en désirons autant et plus à vous, et nous ne serions jamais en état de vous manifester le grand chagrin que nous éprouvâmes de votre séparation ; mais nous prions le ciel que, comme il nous a séparés, il daigne nous réunir de nouveau, car il est le très-puissant, et alors, à notre heureux retour, s’il plaît à Dieu, et possédant votre chère présence, nous nous acquitterons de ce qui est de notre devoir. Cela et rien de plus. Que Dieu allonge votre vie. Mes salutations à qui vous croirez de convenance.

Votre ami,
CHAMPOLLION.
15 novembre 1828.


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