Lettres (Spinoza)/XXXV. Spinoza à ****

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Traduction par Émile Saisset.
Œuvres de Spinoza, tome 3CharpentierIII (p. 447-448).

Lettre XXXV.

(Réponse à la précédente).


MONSIEUR **** 1,

B. DE SPINOZA.



MONSIEUR,


J’ai dit dans ma lettre sur l’infini que les mathématiciens ne concluent pas l’infinité des parties de leur multitude ; car pour raisonner de la sorte, il faudrait qu’une multitude plus grande fût impossible ; il fau drait que la multitude en question surpassât toute multitude donnée. Or, il n’en est pas ainsi, puisque, dans l’espace total compris entre les deux cercles non concentriques supposés, il y a deux fois plus de parties que dans la moitié de cet espace ; ce qui n’empêche pas que le nombre des parties contenues dans cette moitié ne surpasse, tout aussi bien que le nombre des parties contenues dans l’espace total, tout nombre assignable.

Vous pensez qu’il est difficile, en partant de la notion de l’espace, tel que Descartes le conçoit, c’est-à-dire comme une masse en repos, de démontrer l’existence des corps. Pour moi, je ne dis pas seulement que cela est difficile, je dis que cela est impossible. Car la matière, étant donnée en repos, persévérera dans son repos autant qu’il sera en elle, et ne pourra être mise en mouvement que par une cause extérieure plus puissante. C’est pourquoi j’ai osé dire autrefois que les principes des choses naturelles imaginés par Descartes sont inutiles, pour ne pas dire absurdes.


La Haye, 5 mai 1676.