Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 124

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 266).

124. — DE Mme  DE SÉVIGNÉ À Mme  DE GRIGNAN.[modifier]

À Livry, ce 1er juin 1674.

Il faut, ma bonne, que je sois persuadée de votre fonds pour moi, puisque je vis encore ; c’est une chose bien étrange que la tendresse que j’ai pour vous ; je ne sais si contre mon dessein j’en témoigne beaucoup, mais je sais bien que j’en cache encore davantage. Je ne veux point vous dire l’émotion et la joie que m’a données votre laquais et votre lettre. J’ai eu le même plaisir de ne point croire que vous fussiez malade ; j’ai été assez heureuse pour croire ce que c’était. Il y a longtemps que je l’ai dit, quand vous voulez, vous êtes adorable ; rien ne manque à ce que vous faites. J’écris dans le milieu du jardin comme vous l’avez imaginé, et les rossignols et les petits oiseaux ont reçu avec un grand plaisir, mais sans beaucoup de respect, ce que je leur ai dit de votre part ; ils sont situés d’une manière qui leurôte toute sorte d’humilité. Je fus hier deux heures toute seule avec les hamadryades ; je leur parlai de vous, elles me contentèrent beaucoup par leur réponse. Je ne sais si ce pays tout entier est bien content de moi, car enfin, après avoir joui de toutes ses beautés, je n’ai pu m’em pêcher de dire :

Mais, quoique vous ayez, vous n’avez point Calixte. Et moi je ne vois rien quand je ne la vois pas.

Cela est si vrai que je repars après dîner avec joie. La bienséance n’a nulle part à tout ce que je fais ; c’est ce qui est cause que les excès de liberté que vous me donnez me blessent le cœur. Il y a deux ressources dans le mien que vous ne sauriez comprendre. Je vous loue d’avoir gagné vingt pistoles ; cette perte a paru légère, étant suivie d’un grand honneur et d’une bonne collation. J’ai fait vos compliments à nos oncles et cousines ; ils vous adorent, et sont ravis de la relation. Cela leur convient, et point du tout en un lieu où je vais dîner ; c’est pourquoi je vous la renvoie. J’avais laissé à mon portier une lettre pour Brancas ; je vois bien qu’on l’a oubliée. Adieu, ma très-chère et très-aimable enfant, vous savez que je suis à vous.


125. — DE Mme  DE SÉVIGNÉ À Mme  DE GRIGNAN.[modifier]

À Livry, lundi 27 mai 1675.

Quel jour, ma fille, que celui qui ouvre l’absence ! comment vous a-t-il paru ? Pour moi, je l’ai senti avec toute l’amertume et