Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 13

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 65).

13. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE.[modifier]

23 juin(1668).

Votre souvenir m’a donné une joie sensible, et m’a réveillé tout l’agrément de notre ancienne amitié. Vos vers m’ont fait souvenir de ma jeunesse, et je voudrais bien savoir pourquoi le souvenir de la perte d’un bien aussi irréparable ne donne point de tristesse. Au lieu du plaisir que j’ai senti, il me semble qu’on devrait pleurer : mais, sans examiner d’où peut venir ce sentiment, je veux m’ attacher à celui que me donne la reconnaissance que j’ai de votre présent. Vous ne pouvez douter qu’il ne me soit agréable, puisque mon amour-propre y trouve si bien son compte, et que j’y suis célébrée parle plus bel esprit de mon temps. Il faudrait, pour l’honneur de vos vers, que j’eusse mieux mérité tout celui que vous me faites. Telle que j’ai été, et telle que je suis, je n’oublierai jamais votre véritable et solide amitié, et je serai toute ma vie la plus reconnaissante comme la plus ancienne de vos très-humbles servantes.

La marquise de Sévigné.