Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 204

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 418-419).

204. — DE Mme  DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSY.[modifier]

AParis, ce27 juin IC79.

Je n’ai pas le mot à dire à tout le premier article de votre lettre, sinon que Livry c’est mon lieu favori pour écrire. Mon esprit et mon corps y sont en paix ; et quand j’ai une réponse à faire, je la remets à mon premier voyage. Mais j’ai tort, cela fait des rctardements dont je veux me corriger. Je dis toujours que si je pouvais vivre seulement deux cents ans, je deviendrais la plus admirable personne du monde. Je me corrige assez aisément, et je trouve qu’en vieillissant même j’y ai plus de facilité. Je sais qu’on pardonne mille choses aux charmes de la jeunesse, qu’on ne pardonne point quand ils sont passés. On y regarde de plus près ; on n’excuse plus rien ; on a perdu les dispositions favorables de prendre tout en bonne part ; enfin, il n’est plus permis d’avoir tort ; et dans cette pensée, l’amour- propre nous fait courir à ce qui nous peut soutenir contre cette cruelle décadence, qui, malgré nous, gagne tous les jours quelque terrain.

Voilà les réflexions qui me font croire que dans l’âge où je suis on se doit moins négliger que dans la fleur de l’âge. Mais la vie est trop courte ; et la mort nous prend, que nous sommes encore tout pleins de nos misères et de nos bonnes intentions.

Je loue fort la lettre que vous avez écrite au roi ; je la trouve d’un style noble, libre et galant qui me plaît fort. Je ne crois pas qu’autre que vous ait jamais conseillé à son maître de laisser dans l’exil son petit serviteur, afin de donner créance au bien qu’où a à dire de lui, et d’ôter tout soupçon de flatterie à son histoire.

Ce que ma chère nièce m’a écrit me paraît si droit et si bon, que je n’en veux rien rabattre : il est impossible qu’elle ne m’aime pas à le dire comme elle le dit.

A madame de Coligny.

Je vous en remercie, ma chère nièce, et je voudrais, pour toute réponse, que vous eussiez entendu ce que je disais de vous l’autre jour à madame de Vins, belle-sœur de M. de Pomponne très-aimable aussi : je vous peignis au naturel, et Lien. Il y a très-peu de personnes qui puissent se vanter d’avoir autant de vrai mérite que vous.

Notre pauvre ami est abîmé dans son procès. Il le veut traiter dans les règles de la raison et du bon sens ; et quand il voit qu’à tous moments la chicane s’en éloigne, il est au désespoir. Il voudrait que sa rhétorique persuadât toujours, comme elle le devrait en bonne justice ; mais elle est inutile contre la routine et le désordre qui règnent dans le palais. Ce n’est point façon d’amour que le zèle qu’il a pour sa cousine, c’est pure générosité : mais c’est façon de mort que la fatigue qu’il se donne pour cette malheureuse affaire. J’en suis affligée ; car je le perds, et je crains de le perdre encore davantage.

Ma fille ne s’en ira qu’au mois de septembre. Elle se porte mieux ; elle vous fait mille amitiés, à vous, madame, et à vous, monsieur. Si vous la connaissiez davantage, vous l’aimeriez encore mieux.