Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 211

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 431-434).

211. — DE Mme  DE SÉVIGNÉ À Mme  DE GRIGNAN.[modifier]

À Livry, jeudi au soir 2 novembre 1679.le vous écris ce soir, ma très-chère, parce que j’ai envie d’aller

demain matin à Pomponne. Madame de Vins m’en priait l’autre jour si bonnement, que je m’en vais la voir, et M. de Pomponne, que l’on gouverne mieux en dînant un jour à Pomponne avec lui, qu’à Paris en un mois. Vous voulez donc que je me repose sur vous de votre santé, et je le veux de tout mon cœur, s’il est vrai que vous soyez changée sur ce sujet : ce serait en effet quelque chose de si naturel que cela fut ainsi, et votre négligence à cet égard me paraissait si peu ordinaire, que je me sens portée à croire que cette droiture d’esprit et de raison aura retrouvé so, place chez vous. Faites donc, m a chère enfant, tout ce que vous dites ; prenez du lait et des bouillons, mettez votr-e santé devant toutes choses ; soyez persuadée que c’est non-seulement par les soins et par le régime que l’on rétablit une poitrine comme la vôtre, mais encore parla continuité des régimes ; car de prendre du lait quinze jours, et puis dire, J’ai pris du lait, il ne me fait rien ; ma fille, c’est se moquer de nous, et de vous-même la première. Soyez encore persuadée d’une autre chose, c’est que sans la santé on ne peut rien faire, tout demeure, on ne peut aller ni venir qu’avec des peines incroyables : en un mot, ce n’est pas vivre que de n’avoir point de santé. L’état où vous êtes, quoi que vous disiez, n’est pas un état de consistance ; il faut être mieux, si vous voulez être bien. Je suis fort fâchée du vilain temps que vous avez, et de cous vos débordements horribles : je crains votre Durance, comme une bête furieuse.

On ne parle point encore de cordons bleus : s’il y en a, et que M. de Grignan soit obligé de révenir, je le recevrai fort bien, mais fort tristement ; car enfin, au lieu de placer votre voyage comme vous avez fait, c’eût été une chose bien plus raisonnable et plus naturelle que vous eussiez attendu M. de Grignan ici : mais on ne devine pas ; et comme vous observiez et consultiez les volontés de M. de Grignan, ainsi qu’on faisait autrefois les entrailles des victimes, vous y aviez vu si clairement qu’il souhaitait que vous allassieï avec lui, que, ne mettant jamais votre santé en aucune sorte de considération, il était impossible que vous ne partissiez, comme vous avez fait. Il faut regarder Dieu, et lui demander la grâce de votre retour, et que ce ne soit plus comme un postillon, mais comme une femme qui n’a plus d’affaires en Provence, qui craint la bise de Grignan, et qui a dessein de s’établir et de rétablir sa santé en ce pays.

Je crois que je ferai un traité sur l’amitié ; je trouve qu’il y a mille choses qui en dépendent, mille conduites à éviter pour empêcher que ceux que nous aimons n’en sentent le contre-coup ; je trouve qu’il y a une infinité de rencontres où nous les faisons souffrir, et où nous pourrions adoucir leurs peines si nous avions autant de vues et de pensées qu’on doit en avoir pour ce qui tient au cœur. Enfin, je ferais voir dans ce livre qu’il y a cent manières de témoigner son amitié sans la dire^ ou de dire par ses actions qu’on n’a point d’amitié, lorsque la bouche traîtreusement assure le contraire. Je ne parle pour nersonne, mais ce qui est écrit est écrit.

Mon fils me mMde des folies, et il me dit qu’il y a un lui qui m’adore, un autre lui qui m’étrangle, et qu’ils se battaient tous deux l’autre jour à outrance, dans le mail des Rochers. Je lui réponds que je voudrais que l’un eût tué l’autre, afin que je n’eusse pointtrois enfants ; que c’étaitce dernier qui me faisaittout le mal de la maternité, et que s’il pouvait l’étrangler lui-même, je serais trop contente des deux autres. J’admire la lettre de Pauline ; est-ce de son écriture ? Non ; mais pour son style, il est aisé à reconnaître : la jolie enfant ! Je voudrais bien que vous pussiez me l’envoyer dans une de vos lettres ; je ne serai consolée de ne la pas voir que par les nouveaux attachements qu’elle me donnerait : je m’en vais lui faire réponse. Je quitte ce lieu à regret : la campagne est encore belle : cette avenue et tout ce qui était désolé des chenilles, et qui a pris la liberté de repousser avec votre permission, est plus vert qu’au printemps dans les plus belles années. Les petites et les grandes palissades sont parées de ces belles nuances de l’automne dont les peintres font si bien leur profit. Les grands ormes sont un peu dépouillés, et l’on n’a point de regret à ces feuilles picotées : la campagne en gros est encore toute riante ; j’y passais mes journées seule avec des livres ; je ne m’ennuyais que comme je m’ennuierai partout, ne vous ayant plus. Je ne sais ce que je vais faire à Paris ; rien ne m’y attire, je n’y ai point de contenance ; j’y vais avec chagrin ; le bon abbé dit qu’il y a quelques affaires, et que tout est fini ici ; allons donc. Il est vrai que cette année a passé assez vite ; mais je suis fort de votre avis pour le mois de septembre ; il m’a semblé qu’il a duré six mois, tout des plus longs. Je vous manderai, en arrivant à Paris, des nouvelles de mademoiselle de Méri. Je n’eusse jamais pensé que cette madame de Charmes eût pu devenir sèche comme du bois : hélas ! quels changements ne fait point la mauvaise santé ! Je vous prie de faire de la vôtre le premier de vos devoirs : après celui-là, et M. de Grignan auquel vous avez fait céder les autres avec raison, si vous voulez bien me donner ma place, je vous en ferai souvenir. Je me trouve fort heureuse si je ne ressemble non plus à un devoir que M. de Grignan, et si vous pensez que c’est mon tour présentement à être un peu consultée.