Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 225

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 466-469).

225. — DE Mme  DE SÉVIGNÉ À Mme  DE GRIGNAN.[modifier]

À Paris, vendredi 12 avril 1680.

Vous me parlez de madame la Dauphine ; le chevalier doit vous instruire bien mieux que moi. Il me paraît qu’elle ne s’est point condamnée à être cousue avec la reine : elles ont été à Versailles ensemble ; mais les autres jours elles se promenaient séparément. Le roi va souvent l’après-dîner chez la Dauphine, et il n’y trouve point de presse. Elle tient son cercle depuis huit heures du soir jusqu’à neuf heures et demie : tout le reste est particulier, elle est dans ses cabinets avec ses dames : la princesse de Conti y est presque toujours ; comme elle est encore enfant, elle a grand besoin de cet exemple pour se former. Madame la Dauphine est une merveille d’esprit, de raison et de bonne éducation ; elle parle fort souvent de sa mère avec beaucoup de tendresse, et dit qu’elle lui doit tout son bonheur, par le soin qu’elle a eu de la bien élever : elle apprend à chanter, à danser ; elle lit, elle travaille ; c’est une personne enfin. Il est vrai que j’ai eu la curiosité de la voir ; j’y fus donc avec madame de Chaulnes et madame de Kerman : elle était à sa toilette, elle parlait italien avec M. de Nevers[1]. On nous présenta ; elle nous fit un air honnête, et l’on voit bien que si on trouvait une occasion de dire un mot à propos, elle entrerait fort aisément en conversation : elle aime l’italien, les vers, les livres nouveaux, la musique, la danse : vous voyez bien qu’on ne serait pas longtemps muette avec tant de choses dont il est aisé de parler, mais il faudrait du temps : elle s’en allait à la messe, et madame de Maintenon et madame de Richelieu[2] n’étaient pas dans sa chambre. La cour, ma chère enfant, est un pays qui n’est point pour moi ; je ne suis point d’un âge à vouloir m’y établir, nia souhaiter d’y être soufferte ; si j’étais jeune J’aimerais à plaire à cette princesse : mais, bon Dieu, de quel droit voudrais-je y retourner jamais ? Voilà mes projets pour la cour. Ceux démon fils me paraissent tout rassis et tout pleins de raison ; il gardera sa charge paisiblement, et fera de nécessité vertu : la presse n’est pas grande à soupirer pour elle, quoiqu’elle soit si propre à faire soupirer : c’est qu’en vérité l’argent est fort rare, et qu’il voit bien qu’il ne faut pas faire un sot marché ; ainsi, mon enfant, nous attendrons ce que la Providence a ordonné. Vraiment, elle voulut hier que M. d’Autun fit aux Carmélites l’oraison funèbre de madame de Longueville[3], avec toute la capacité, toute la grâce et toute l’habileté dont un homme puisse être capable. Ce n’était point Tartufe[4], ce n’était point un pantalon ; c’était un prélat de conséquence, prêchant avec dignité, et parcourant toute la vie de cette princesse avec une adresse incroyable, passant tous les endroits délicats, disant et ne disant pas tout ce qu’il fallait dire ou taire. Son texte était : Fallax pulchritudo, mulier timens Deum laudabitur. Il fit deux points également beaux ; il parla de sa beauté, et de toutes ces guerres passées d’une manière inimitable : et pour la seconde partie, vous jugez bien qu’une pénitence de vingt-sept ans est un beau champ pour conduire une si belle âme jusque dans le ciel. Le roi y fut loué fort naturellement ; et M. le Prince encore fut contraint d’avaler des louanges, mais aussi bien apprêtées, quoique dans un autre goût que celles de Voiture. Il était là ce héros, et M. le Duc, et les princes de Conti, et toute la famille, et beaucoup de monde ; mais pas encore assez, car il me semble qu’on devait rendre ce respect à M. le Prince sur une mort dont il avait encore les larmes aux yeux. Vous me demanderez pourquoi j’y étais ? C’est que madame de Guénégaud par hasard, l’autre jour chez M. de Cbaulnes, me promit de m’y mener avec une commodité qui me tenta : je ne m’en repens point ; il y avait beaucoup de femmes qui n’y avaient pas plus affaire que moi. M. le Prince et M. le Duc faisaient beaucoup d’honnêtetés à tous ceux qui composaient cette assemblée.

Je vis madame de la Fayette au sortir de cette cérémonie ; je la trouvai tout en larmes : il était tombé sous sa main de l’écriture de M. de la Rochefoucauld, dont elle fut surprise et affligée. Je venais de quitter mesdemoiselles de la Rochefoucauld aux Carmélites, où elles avaient aussi pleuré leur père : l’aînée surtout a figuré avec M. de Marsillac. C’était donc à l’oraison funèbre de madame de Longueville qu’elles pleuraient M. delà Rochefoucauld : ils sont morts dans la même année : il y avait bien à rêver sur ces deux noms. Je ne crois pas en vérité que madame de la Fayette se console, je lui suis moins bonne qu’une autre ; car nous ne pouvons nous empêcher de parler de ce pauvre homme, et cela la tue ; tous ceux qui lui étaient bons avec lui perdent leur prix auprès d’elle. Elle a lu votre petite lettre ; elle vous remercie tendrement de la manière dont vous comprenez sa douleur.

Vous ai-je dit comme madame de Coulanges fut bien reçue à Saint-Germain ? Madame la Dauphine lui dit qu’elle la connaissait déjà par ses lettres ; que ses dames lui avaient parlé de son esprit ; qu’elle avait fort envie d’en juger par elle-même. Madame de Coulanges soutint très-bien sa réputation, elle brilla dans toutes ses réponses ; les épigrammes étaient redoublées, et la Dauphine entend tout. Elle fut introduite l’après-dîner dans les cabinets avec ses trois amies : toutes les dames de la cour étaient enragées contre elle. Vous comprenez bien que par ces amies elle se trouve naturellement dans la privauté : mais où cela peut-il la mener ? et quels dégoûts quand on ne peut être des promenades, ni manger (avec les princesses) ? Cela gâte tout le reste : elle sent vivement cette humiliation ; elle a été quatre jours à jouir de ces plaisirs et de ces déplaisirs. Vous avez raison de plaindre M. de Pomponne quand il va dans ce pays-là, et même madame de Vins qui n’y a plus de contenance : elle est toute replongée dans sa famille, et accablée de ses procès. Elle vint l’autre jour dîner joliment avec moi ; elle paraît fort touchée de votre amitié : vous ne sauriez nous ôter l’espérance ni l’envie de vous recevoir, chacun selon nos degrés de chaleur. Vous. êtes à Grignan, ma chère bonne, vous êtes trop près de moi, il faut que je m’éloigne.


  1. Philippe Mancini Mazarin, duc de Nevers.
  2. Ses dames d’honneur.
  3. Anne-Geneviève de Bourbon, fille de Henri de Bourbon, second du nom, prince de Condé, morte le 15 avril 1679.
  4. L’évêque d’Autun (Gabriel de Roquette) passait dans ce temps-là pour être l’original que Molière avait eu en vue dans le Tartufe.