Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 224

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 465-466).

224. — DE Mme  DE SÉVIGNÉ À Mme  DE GRIGNAN.[modifier]

À Paris, samedi au soir 6 avril 1680.

Vous allez apprendre une nouvelle qui n’est pas un secret, et vous aurez le plaisir de la savoir des premières. Madame de Fontanges[1] est duchesse avec vingt mille écus de pension ; elle en recevait aujourd’hui les compliments dans son lit. Le roi y a été publiquement ; elle prend demain son tabouret, et s’en va passer le temps de Pâques à une abbaye (de Chelles) que le roi a donnée à une de ses sœurs. Voici une manière de séparation qui fera bien de l’honneur à la sévérité du confesseur. Il y a des gens qui disent que cet établissement sent le congé : en vérité, je n’en crois rien, le temps nous l’apprendra. Voici ce qui est présent : madame de Montespan est enragée ; elle pleura beaucoup hier ; vous pouvez juger du martyre que souffre son orgueil, qui est encore plus outragé par la haute faveur de madame de Maintenon. Sa Majesté va passer très-souvent deux heures de l’après-diner dans la chambre de cette dernière, à causer avec une amitié et un air libre et naturel qui rend cette place la plus désirable du monde. Madame de Richelieu commence à sentir les effets de sa dissipation ; les ressorts s’affaiblissent visiblement ; elle présente tout le monde, et ne dit plus ce qui convient à chacun : ce petit tracas de dame d’honneur, dont elle s’acquittait si bien, est tout dérangé. Elle présenta la Trousse et mon fils, sans les nommera Monseigneur. Elle dit de la duchesse de Sully : Voilà une de nos danseuses ; elle ne nomma pas madame de Verneuil : elle pensa laisser baiser madame de Lou vois, parce qu’elle la prenait pour une duchesse ; enfin, cette place est dangereuse, et fait voir que les petites choses font plus de mal que l’étude de la philosophie. La recherche de la vérité n’épuise pas tant une pauvre cervelle que tous les compliments et tous les riens dont celle-là est remplie.

M. de Marsillac a paru un peu sensible à la prospérité de la belle Fontanges ; il n’avait donné jusque-là aucun signe de vie. Madame de Coulanges vient d’arriver de la cour ; j’ai été chez elle exprès avantquede vous écrire : elle est charmée de madame la Dauphine, elle a grand sujet de l’être : cette princesse lui a fait des caresses infinies ; elle la connaissait déjà par ses lettres et par le bien que madame de Maintenon lui en avait dit. Madame de Coulanges a été dans un cabinet où madame là Dauphine se retire l’après-dîner avec ses dames ; elle y a causé très-délicieusement ; on ne peut avoir plus d’esprit et d’intelligence qu’en a cette princesse ; elle se fait adorer de toute la cour : voilà une personne à qui on peut plaire, et avec qui le mérite peut faire un grand effet.


  1. Marie-Angélique d’Escorailles.