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Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 236

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 495-498).

236. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

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Aux Rochers, mercredi 26 juin 1680.

Quand je trouve les jours si longs, c’est qu’en vérité, avec cette durée infinie, ils sont froids et vilains ; nous avons fait deux admirables feux devant cette porte ; c’était la veille et le jour de la Saint-Jean : il y avait plus de trente fagots, une pyramide de fougères qui faisait une pyramide, d’ostentation ; mais c’étaient des feux à profit de ménage, nous nous y chauffions tous ; on ne se couche plus sans fagot, on a repris ses habits d’hiver ; cela durera tant qu’il plaira à Dieu. Vous n’êtes point sujets à ces sortes d’hivers ; dès que votre bise est passée, le chaud reprend le fil de son discours, et Rochecourbières n’est pas interrompu. Savez-vous comme écrit Montgobert ? elle écrit comme nous ; son commerce est fort agréable. Elle me parlait la dernière fois d’un déjeuner qu’elle devait donner dans sa chambre, où vous deviez survenir ; tout cela est tourné plaisamment. Faites-la écrire pour vous, ma très-chère, et reposez-vous en me parlant ; cela me fait un bien que je ne puis vous dire. Je donne à examiner cette question à Rochecourbières, si cette joie que j’ai de ne guère voir de votre écriture est une marque d’amitié ou d indifférence. Je recommande cette cause à Montgobert ; c’est que je suis toujours charmée de la confiance, et c’en est une que de croire fermement que j’aime mieux votre repos que inon plaisir, qui devient une peine dès que je me représente l’état où vous met cette écritoire.

Je fais ici des promenades qui me font sentir l’amertume de votre absence, plus tristement encore que vous ne pouvez sentir la mienne au milieu de votre république ; car assurément la compagnie de Grignan est si bonne et si grande, qu’elle doit vous donner plus de dissipation que le milieu de Paris. Votre petit bâtiment est achevé ; on vous en mandera des nouvelles. En voulez-vous savoir de madame de la Hamelinière[1] ? Elle a été ici sept jours entiers, elle ne partit qu’hier, après que j’eus pris ma médecine. J’envie bien les chevaux gris qu’elle lit paraître dans ma cour : la familiarité de cette femme est sans exemple ; elle s’en retourne chez M. le marquis de la Roche-Giffard, d’où elle venait ; elle a son équipage ; elle ne parle que de lui. La scène est à vingt lieues d’ici, mais cela ne l’embarrasse pas. Votre bon cousin ne laisse pas de l’adorer, et d’adorer aussi M. le marquis. On parlerait longtemps là-dessus ; les choses singulières me réjouissent toujours. Je vous assure que je fus fort touchée du plaisir de voir partir ce train ; j’étais dans mon lit, mais je fus très-bien instruite du bruit du départ ; je ne souhaite point qu’il me vienne d’autres visites : j’ai mille petites choses à faire, et j’ai à lire, car il ne faut point parler de lire avec cette compagnie-là. Je m’en vais reprendre mes conversations toutes pleines de votre père (Descartes). Mais une bonne fois, ma très-chère, mettez un peu votre nez dans le livre de la Prédestination des Saints, de saint Augustin, et du son de la persévérance : c’est un fort petit livre, il finit tout. Vous y verrez d’abord comme les papes et les conciles. renvoient à ce Père, qu’ils appellent le docteur de la grâce ; ensuite les lettres des saint Prosper et Hilaire, où il est fait mention des difficultés de certains prêtres de Marseille, qui disent tout comme vous ; ils sont nommés semipélagiens[2]. Voyez ce que saint Augustin répond à ces deux lettres, et ce qu’il répète cent fois. Le onzième chapitre du Don de la persévérance me tomba hier sous la main ; lisez-le, et lisez tout le livre, il n’est pas long ; c’est où j’ai puise mes erreurs ; je ne suis pas seule, cela me console ; et en vérité’je suis tentée de croire qu’on ne dispute aujourd’hui sur cette matière avec tant de chaleur que faute de s’entendre.

Je serais fort heureuse dans ces bois, si j’avais une feuille qui chantât : ah ! la jolie chose qu’une feuille qui chante ! et la triste demeure qu’un bois où les feuilles ne disent mot, et où les hiboux prennent la parole ! je suis une ingrate, ce n’est que les soirs, et j’y entends mille oiseaux tous les matins. Vous n’en avez point où vous êtes, et vous ne faites qu’observer, comme vous disiez l’autre jour, de quel côté vient le vent ; votre terrasse doit être une fort belle chose : j’y suis souvent avec vous tous, et mon imagination sait bien où vous trouver dans cette belle et grande principauté.

Il me paraît que mon fils est à Fontainebleau, sans être à la cour. On me mande de plusieurs endroits qu’il est toujours dans une grande, grande maison, où il paraît qu’il se trouve bien, puisqu’il n’en sort point. Vous savez que ce n’est pas ainsi qu’on fait sa cour, on ridiculise cette conduite fort aisément. Voilà le voyage de Flandre assuré ; si les dauphins (les gendarmes) y vont, c’est une dépense à quoi l’on ne s’attendait pas.

Le chevalier m’a écrit une très-bonne et honnête lettre. J’ai fait réparation à M. d’Évreu-x ; je n’ai plus rien à demander à ces Grignans-là : pour l’aîné, c’est une autre affaire ; tant qu’il aura ma fille si loin de moi, j’aurai toujours bien des choses à démêler avec lui. Il me semble que vous devez avoir maintenant M. l’archevêque, et que vous êtes plus disposée que jamais à jouir de cette bonne et solide compagnie. Vous voilà donc privée de celle de M. Rouillé ; vous le regretterez ; mais ce n’est plus votre affaire, du moment que le lieutenant général cède \a place au gouverneur (M. de Vendôme). Je sens présentement le plaisir de voir le coadjuteur à la tête de cette assemblée avec un nouveau gouverneur et un nouvel intendant ; il y fera des merveilles ; et cela me paraît de la dernière importance pour vous. L’étoile est changée, le sort est rompu pour les Grignans, et peut-être pour l’aîné ; ni bonheur ni malheur, rien n’est de longue durée en ce pays-là ; j’en excepte les prisonniers et les exilés[3], qui sont hors du commerce. Madame de Vins m’écrit qu’elle a un plaisir sensible du cercle que nous faisons ; vous lui parlez de moi, elle vous en parle ; je lui parle de vous, elle m’en parle : ainsi nous tournons autour d’elle ; elle me dit cela fort agréablement. Elle est à Pomponne, où elle apprend la philosophie de votre père. Le hasard a fait que Gorbinelli, par moi, leur a donné un homme admirable pour enseigner le droit au fils aîné : cet homme sait tout, c’est un esprit lumineux[4] ; c’est une humeur et des mœurs à souhait : ils sont charmés de cet homme ; cette belle marquise en fait son profit : elle est bien heureuse d’être aussi raisonnable qu’elle est, et de n’être point sujette à se pendre. Madame de Mouci me mande qu’elle est persuadée que madame de Lavardin ne s’accommodera jamais avec les jeunes gens : elle les attendait ce jour-là : ils revenaient delà cour : elle était toute troublée de ce dérangement, c’est qu’elle est toute renfermée en elle-même : je connais une autre mère qui ne se compte pour guère ; elle a raison ; et qui est toute transmise à ses enfants, et ne trouve de vraie douceur que dans sa famille : cette mère, en vérité, aime bien parfaitement sa chère fille : ce partage n’est pas à la mode de Bretagne. On me mande que M. de Cheverni, qui est Clermont, afin que vous ne vous y trompiez pas, sera dans deux ans un des plus grands seigneurs de France : c’est ainsi que la fortune se joue. Je ne sais plus ce qu’est devenu le mariage de M. de Molac ; je suis fort aise qu’ils n’aient point eu cette petite de Pomponne ; ils l’auraient assommée pour lui apprendre à devenir la fille d’un disgracié. Dieu vous conserve les bonnes et solides pensées qu’il vous donne ! vous parlez si sagement de tous les plaisirs et de tout ce qui n’est point en votre puissance, que la philosophie chrétienne n’en sait pas davantage : fen connais de plus misérables[5]. Vous êtes, en vérité, et bien aimable, et bien estimable, et bien aimée, et bien estimée.


  1. Une parente ridicule qui était venue lui rendre visite.
  2. Ces hérétiques croyaient que l’homme pouvait, par ses propres forces, mériter la foi, et la première grâce nécessaire pour le salut.
  3. Fouquet, Lauzun, Bussy-Rabutin, Vardes, etc
  4. Expression empruntée à MM. de Port-Royal.
  5. Dernier vers du fameux sonnet de Job, par Benserade.