Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 265

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 551).

265. — DE Mme  DE SÉVIGNÉ À Mme  DE GRIGNAN.[modifier]

À Paris, jour de la Toussaint 1688, à neuf

heures du soir.

Philisbourg est pris, ma chère enfant, votre fils se porte bien. Je n’ai qu’à tourner cette phrase de tous côtés, car je ne veux point changer de discours. Vous apprendrez donc par ce billet que votre enfant se porte bien, et que Philisbourg est pris. Un courrier vient d’arriver chez M. de Villacerf, qui dit que celui de Monseigneur est arrivé à Fontainebleau pendant que le père Gaillard prêchait ; on l’a interrompu, et on a remercié Dieu dans le moment d’un si heureux succès et d’une si belle conquête. On ne sait point de détail, sinon qu’il n’y a point eu d’assaut, et que M. du Plessis disait vrai, quand il assurait que le gouverneur faisait faire des chariots pour porter son équipage. Respirez donc, ma chère enfant, remerciez Dieu premièrement : il n’est point question d’un autre siège ; jouissez du plaisir que votre fils ait vu celui de Philisbourg ; cest une date admirable, c’est la première campagne de M. le Dauphin : ne seriez-vous pas au désespoir qu’il fût seul de son âge qui n’eût point été à cette occasion, et que tous les autres fissent les entendus ? Ah ! mon Dieu, ne parlons point de cela, tout est à souhait. C’est vous, mon cher comte, qu’il en faut remercier : je me réjouis de la joie que vous devez avoir ; j’en fais mon compliment à notre coadjuteur, voilà une grande peine dont vous êtes tous soulagés. Dormez donc, ma très-belle ; mais dormez sur notre parole : si vous êtes avide de désespoirs, comme nous le disions autrefois, cherchez- en d’autres, car Dieu vous a conservé votre chère enfant : nous en sommes transportés, et je vous embrasse dans cette joie avec une tendresse dont je crois que vous ne doutez pas.