Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 27
27. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GBJGNAN.
[modifier]Monsieur de Coulanges veut que je vous écrive encore à Lyon : je vous conjure, ma chère enfant, si vous vous embarquez, de descendre au Pont-Saint-Esprit. Ayez pitié de moi ; conservez-vous, si vous voulez que je vive. Vous m’avez si bien persuadée que vous m’aimez, qu’il me semble que, dans la vue de me plaire, vous ne vous hasarderez point. Mandez-moi bien comme vous conduirez votre barque. Hélas ! qu’elle m’est chère et précieuse cette petite barque que le Rhône m’emporte si cruellement ! J’ai ouï dire qu’il y avait eu un dimanche gras, mais ce n’est que par ouï dire ; et je ne l’ai point vu. J’ai été farouche au point de ne pouvoir pas souffrir quatre personnes ensemble. J’étais au coin du feu de madame de la Fayette. L’affaire de Mellusine est entre les mains de Langlade[1], après avoir passé par celles de M. de la Rochefoucauld et de d’Hacqueville. Je vous assure qu’elle est bien confondue et bien méprisée par ceux qui ont l’honneur de la connaître. Je n’ai pas encore vu madame d’Arpajon[2] ; elle a une mine satisfaite qui m’importune. Le bal du mardi gras pensa être renvoyé ; jamais il ne fut une telle» tristesse[3] ; je crois que c’était votre absence qui en était cause. Bon Dieu ! que de compliments j’ai à vous faire ! que d’amitiés ! que de soins de savoir de vos nouvelles ! que de louanges l’on vous donne ! Je n’aurais jamais fait, si je voulais nommer tous ceux et celles dont vous êtes aimée, estimée, adorée ; mais, quand vous aurez mis tout cela ensemble, soyez assurée, ma fille, que ce n’est rien en comparaison de ce que je suis pour vous. Je ne vous quitte pas un moment ; je pense à vous sans relâche, et de quelle façon ! J’ai embrassé votre fille, et elle m’a baisée et très-bien baisée de votre part. Savez-vous bien que je l’aime cette petite, quand je songe de qui elle vient ?