Lettres de Fadette/Quatrième série/31

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Imprimé au « Devoir » (Quatrième sériep. 87-89).

XXXI

Nos désirs et nos devoirs


Je lisais, l’autre jour, que, lorsque notre vie nous paraît compliquée et nos fardeaux trop lourds à porter, c’est que nous n’avons pas su les soulever adroitement, et qu’il existe un « système » qui remettrait partout de l’ordre et rétablirait l’équilibre entre nos forces et nos épreuves.

Je me suis dit en souriant que c’est bien facile d’écrire des théories. Je n’ai tout de même pas continué ma lecture, suivant une petite habitude à moi d’accrocher une pensée au passage, de la poser devant moi afin de l’examiner à loisir sous tous ses aspects.

J’ai le vilain orgueil de la regarder d’abord à mon point de vue : j’ai heureusement la sincérité de reconnaître souvent qu’il est puéril, étroit ou faux.

C’est à retenir par les ailes les pensées qui voltigent autour de soi, pour voir de qui elles viennent et à quoi elles tendent, que l’on apprend le mieux à connaître ses faiblesses et ses ignorances. Je vous recommande ce petit exercice aussi agréable qu’utile.

Donc, à la réflexion, il a raison, ce sage. Instinctivement nous demandons l’unité dans notre vie, et quand elle devient compliquée, c’est que notre volonté contrarie ce besoin d’unité et cherche à échapper à la loi gênante qui nous retiendrait dans l’ordre.

Ce « système » préconisé par le philosophe, ne serait-ce pas de mettre d’accord nos désirs et nos devoirs ?

Trop souvent nos désirs s’élancent vers l’inaccessible pendant que le devoir nous retient rudement en face des tâches ennuyeuses, et voilà déjà de quoi faire des journées bien lourdes à traîner jusqu’au soir.

Nous avons également un grand besoin d’harmonie, et quand des voix fausses s’élèvent en nous, les dissonances nous crispent l’âme. Il faudrait accorder toutes nos voix, et ne pas permettre à l’imagination, à la sentimentalité, à la lâcheté, de nuire à l’unisson sans laquelle nous ne faisons rien qui vaille.

Il y aurait aussi à ajouter au « système » la volonté de comprendre ce que nous faisons dans la vie et pourquoi nous le faisons. Quand les enfants étudient l’alphabet, ils goûtent un plaisir médiocre à nommer une M. ou une F. Ils ignorent à quoi servent ces distinctions, et même à quoi les lettres leur seront utiles.

Quand, en les unissant, ils découvrent les mots, c’est déjà un petit plaisir qui les conduit graduellement à la grande joie de lire. Quand notre âme ne voit dans le grand livre de la Vie que des petits faits, des actions détachées les unes des autres et qui ne signifient qu’un peu de joie, d’ennui ou de peine, elle s’ennuie profondément, car elle est mécontente de ne pas comprendre à quoi servent ces gestes.

Il faut qu’elle apprenne à épeler, puis à lire dans la vie ce que Dieu a voulu qu’elle fût pour chacun de nous, et comment il veut que nous accomplissions ses desseins. Alors seulement elle voit la nécessité de sa tâche, elle éprouve la satisfaction de la remplir et elle est fière de l’honneur, du très grand honneur que Dieu lui fait en l’associant à son œuvre. Elle sent l’importance de son rôle, tout modeste qu’il paraisse, puisqu’il est celui que Dieu lui a choisi spécialement.

Votre « système », monsieur le philosophe, est donc tout simplement le « système » chrétien, qui en régissant notre âme dans ses profondeurs, rend notre vie simple et harmonieuse, et nous permet de soulever facilement nos fardeaux avec la force que nous prête Celui qui nous demande de les porter pour faire sa volonté.